Avis de Georgia : "Le Pierrot lunaire saute d'une étoile à l'autre"
Le soleil brille sur les Cévennes par temps chaud et tout en haut sur le plateau des Montals, près de l'Espérou qui culmine à 1400 mètres d'altitude, il faudrait une sacrée bonne raison pour redescendre dans la fournaise de la vallée. Mais pour les hommes du maquis de Mandagout, le courage et l'esprit de sacrifice ne manquent pas. En 1944, la manœuvre est de freiner la débâcle de l'armée allemande qui fuit la Résistance, de faire sauter les ponts, d'éclater les routes par lesquelles hommes et matériel de la Wehrmacht reculent et de provoquer des embuscades meurtrières. Harceler, tel est le mot d'ordre. Tous les maquis sortent de leurs cachettes. Aigoual-Cévennes, Mandagout et bien d'autres encore.
La libération est proche et pourtant, on traque toujours le juif, le communiste ou encore le franc-maçon responsable dit-on de la faillite de la Troisième République. On les hait et on les méprise en même temps. Surtout, la race juive qui est devenue pour l'Allemagne l'ennemi à abattre. Quand il n'y en aura plus un, tout ira mieux, disent les dignitaires nazis. Or, ce n'est pas du tout l'avis d'Eric Cordier. Le jeune homme est né en 1920 à Strasbourg. Il nage dans un univers artistique puisque ses parents sont musiciens. Mais il ne les voit guère. Germaine la pianiste et Francis le violoniste virtuose sont toujours en tournée. L'Europe leur ouvre les bras ; ils se produisent également sur la Riviera où les plus beaux casinos de la Côte d'Azur les accueillent. Une dolce vita excitante d'entre-deux-guerres, où plaisir et amitiés intellectuelles se nouent tandis que le petit Eric grandit à Marseille, cajolé par une nourrice attentive.
L'art qui ne se satisfait que provisoirement de mondanités va offrir l'occasion à la famille Cordier de se réunir. En 1934, Francis Cordier participe à un concours pour devenir premier violon de l'orchestre radio-symphonique de la ville de Marseille. Son fils Eric peut enfin les retrouver et c'est dans la ville phocéenne que deux ans plus tard, il obtiendra deux licences en philosophie et en allemand qui l'aideront plus tard à jouer les espions auprès des nazis. Mais pour l'heure, si le bonheur est fugace, il est néanmoins présent. Il se brise net en 1939 quand la France déclare la guerre à Adolf Hitler. Plus rien ne sera comme avant.
Les artistes et intellectuels dans les années quarante sont parfois aussi juifs et il faut les protéger. Car l'Allemagne nazie n'a que faire de l'art quand il ne sert pas les intérêts du Troisième Reich.Il faut cacher ces esprits brillants dans des endroits inoccupés, à l'abri des regards allemands assassins mais aussi des marseillais soupçonneux et enclins à dénoncer. Tous ne le font pas. Mais beaucoup seraient amenés à le faire s'ils en avaient l'occasion. L'époque est trouble. On ne peut faire confiance à personne. Ces artistes, ces bolcheviks et antinazis ont besoin de faux papiers pour partir. Eric se lance à corps perdus mais avec prudence dans cette mission hautement risquée pour le bien public. Des dizaines d'intellectuels et d'artistes, de scientifiques et créateurs de tous ordres seront sauvés et exfiltrés via l'Espagne vers la liberté. C'est toujours ceux-là que le Troisième Reich n'aura pas. Mais par prudence, le réseau est mis en sommeil quand son chef Varian Frey est prié de rentrer aux Etats-Unis, sa terre natale.
Désoeuvré mais pas démobilisé pour autant, Eric Cordier se tourne vers l'action souterraine en épaulant le réseau Inventor, sous la houlette des services secrets britanniques, le SOE. Winston Churchill l'a créé pour venir en aide à la Résistance Française. Il est aussi appelé le Special Operations Exécutive. Le jeune homme avec sa connaissance de la langue allemande leur sert d'informateur. Et encore là, sous le collimateur des nazis, les agents doivent mettre en sommeil Inventor. Eric Cordier reçoit le conseil de ses amis de quitter Marseille pour se mettre à l'abri. Marié depuis 1943 avec Simone Abric, une protestante dont la famille résiste héroïquement, Eric rejoint Le Vigan et sa femme, institutrice. Grâce à l'appui logistique de Fernand Abric, son beau-père qui possède une entreprise de transports, ils vont lutter ensemble pour protéger les juifs réfugiés et aider les maquis des Cévennes à agir.
Ce roman de Richard Seiler repose avant tout sur une histoire vraie, celle du maquis de Mandagout. Seul le nom des personnages a été modifié. L'auteur nous raconte la vie du maquis et ses valeurs de confraternité, évoque les longues marches dans la montagne afin de récupérer le matériel, les armes et les vivres que leur délivrent les avions alliés. Les parachutages se font de nuit et sont hasardeux. La peur de chaque précieux instant d'être découverts sont dans tous les esprits. Il faut changer de planque quand le danger se fait trop grand, trop menaçant. Il y a aussi et surtout l'attente insupportablement longue et le soulagement quand survient sur les ondes radiophoniques le message très personnel donné par la Résistance à leur unique attention.
Puisque le maquis de Mandagout est dirigé par un pasteur, l'occasion est donnée à Richard Seiler de revenir sur le rôle déterminant des cellules protestantes de résistance. Le nombre exponantiel des maquisards dans les Cévennes permet aussi d'expliquer que si les rangs grossissent, c'est parce que les juifs doivent se cacher mais surtout parce que les allemands ont imposé au gouvernement de Vichy le STO (service de travail obligatoire en Allemagne) qui fait fuir des milliers de français et les contraint à se cacher au cœur de massifs montagneux, dans des fermes isolées ou d'anciennes bergeries laissées à l'abandon. Ce que les nazis nomment l' Anordnung (ou arrangement) d'un proche d'Adolf Hitler, Fritz Sauckel surnommé le « négrier de l'Europe » débute en janvier 1943.
Le débarquement sur les côtes de Provence prévu pour le 15 août 1944 sonne l'heure de la confrontation finale. Le 12 août 1944, De Gaulle à Alger a donné son feu vert. La fameuse division fantôme, la onzième Panzerdivision surnommée la Gespensterdivision fait marche forcée dans l'autre sens. En même temps, afin de leur nuire, les maquis descendent des Cévennes pour stopper leur repli. Le 14 août, dans le village de Nant, le choc est frontal, brutal. Le lendemain, la division fantôme investit le mas des Pommiers, refuge des maquisards qui ont eu le temps de s'enfuir. Elle brûle tout, maison et dépendances de l'agriculteur venu en aide au maquis, granges et enclos et embarque le bétail. Il faudra attendre la fin août 1944 pour que les Cévennes soient enfin débarrassées des nazis.
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