Notre titre est pris à Michelet qui caractérisait ainsi Jeanne d’Arc dans son combat contre l’envahisseur et un pouvoir jugé par elle illégitime. Peut-on caractériser l’Épuration, frappant ceux qui mirent leur plume, leur art ou leur voix (comme Hérold-Paquis) à dénoncer les juifs et la Résistance, en ces termes ? C’est au lecteur de se faire une opinion à partir de l’ouvrage très documenté qu’offre ici l’auteur.
Pierre Assouline est un homme qu’on peut souvent écouter sur les radios du domaine public et le 10 mai 2017 il était présent sur France-Culture dans l’émission La compagnie des auteurs pour parler de la parution en Pléiade des textes de Georges Perec. Ce dernier, né en 1936 de parents juifs polonais, a une mère déportée en 1943 bien que veuve d’un mari mort pour la France le 16 juin 1940.
D’entrée l’auteur avance que pour comprendre ce qui se joue dans l’Épuration, il faut se rappeler de tous les dénis de justice qui se produire en France pendant quatre ans (voir en particulier ce qui est dit sur ce site dans la présentation d’Écrits d’exil : contribution à l’histoire de la période 1939-1945). Pierre Assouline précise que son étude exclut les intellectuels qui eurent des responsabilités dans les gouvernements de Vichy ou furent des chefs de partis collaborationnistes. Bien qu’il ne le cite pas on pense dans le premier exemple à Abel Bonnard ministre de l’Éducation nationale (surnommé "la Gestapette" pour ses goûts sexuels) et dans le second à Georges Albertini ou Georges Soulès dit Raymond Abellio (du Mouvement social révolutionnaire aux côtés de Deloncle et Jean Fontenoy).
L’essentiel de l’ouvrage est composé d’une copieuse éphéméride (d’une bonne soixantaine de pages) allant du 21 août 1944 à la fin 1945 d’un chapitre intitulé "Les intellectuels face à leurs responsabilités: peut-on écrire sans conséquence" et d’un autre "Qu’est-ce-qu’une épuration réussie ?".
Photographie absente de l'ouvrage
On sait par exemple que Robert Brasillach appelait régulièrement à tuer Georges Mandel dans Je suis partout, ce qui lui coûta d’ailleurs une grâce du général de Gaulle. L’annexe 3 reproduit d’ailleurs la pétition adressée au chef de l’État pour obtenir sa grâce, avec comme seul argument l’attribution du titre de mort pour la France au père de l’écrivain.
Certes dans les années vingt, Aragon écrivait un poème où il appelait à faire feu sur Léon Blum ; ceci amène à bien distinguer ce qui sépare la littérature du journalisme. Au Comité national des écrivains, chargé de prononcer des interdictions de publier pour certains auteurs, Aragon eût d’ailleurs un rôle capital.
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En s’exprimant dans des médias comme la presse et la radio ces intellectuels sortaient du champ littéraire et leur incitation à la dénonciation et au meurtre était bien prise au premier degré dont il relevait effectivement. Cette époque permit de mettre en lumière la responsabilité qu’avaient les intellectuels lorsqu’ils incitaient à attenter à la vie des personnes. Ils profitaient d’ailleurs de l’abolition du décret Marchandeau qui punissait l’injure et la diffamation par voie de presse dès les débuts de l’Occupation.
Ce n’est pas parce que les collaborateurs économiques passèrent largement à la trappe de l’Épuration que l’on doit regretter que les intellectuels aient été condamnés. Il est vrai que selon le lieu géographique et la période où a lieu le jugement les sanctions varient beaucoup pour le même ordre des faits, mais c’est le cas pour tous ceux qui sont accusés de collaboration. On retiendra toutefois cette réflexion parlante (sinon totalement véridique et ne tenant pas compte du fait que pour certains les Allemands exigeaient un travail, alors que d’autres agissaient de leur plein gré) de Jean Galtier-Boissière:
« Des journalistes sont en prison pour avoir célébré à raison d’un franc la ligne, le Mur de l’Atlantique. Mais les entrepreneurs qui ont gagné des milliards en le construisant se promènent sur les boulevards. Il valait mieux le faire que d’en parler. » (page 148)
L’auteur donne des documents fort intéressants dans les annexes comme la liste des écrivains ou journalistes sanctionnés par le Comité national des écrivains, l’ordonnance relative à l’épuration des gens de lettres et artistes, une lettre de Camus à Marcel Aymé (précisant qu’il est contre la peine de mort et c’est uniquement pour cela qu’il a signé l’appel à la grâce de Brasillach). On est fort heureux de l’existence d’un index des noms de personnes.