Avis de Adam Craponne : "Le mal que font les hommes vit après eux, le bien est souvent enseveli avec leurs cendres (William Shakespeare )"
Dans son numéro du 4 septembre, le "Times" de Londres rapporte le noyau des faits qui nous est conté ici. Un second article, accompagné de plusieurs photos, paraît dans le magazine américain "Life" le 2 octobre 1944. Pascal Cauchy écrit :
« Mais ce coup double des deux magazines appartenant au même groupe de presse démultiplie la diffusion d’un événement qui n’est pourtant pas au cœur de la guerre qui se joue en Europe et en Asie. Quand on sait que "Life" tire à près de quatre millions d’exemplaires, il est assez singulier qu’un épisode de l’épuration France ait pu retenir l’attention des rédacteurs des deux plus importants newsmagazines de la planète. » (page 14)
L’ouvrage ne commence à nous évoquer les personnalités, dont il veut nous parler, qu’à la page 142 (et encore de façon floue), soit à plus de la moitié du livre. Avant et c’est l’intérêt du livre, il nous dresse un portrait de Grenoble, à la veille du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale puis sous les occupations italiennes puis allemandes (qui démarre fin juillet 1943 après l’arrestation de Mussolini à Rome). Il est à noter que le principal journal du département "Le petit Dauphinois" a publié le 19 juin 1940 le texte de la proclamation du général de Gaulle à la BBC. Si les Isérois captent d’ailleurs fort difficilement Radio-Londres, par contre ils ont un accès aisé et non parasité à Radio Sottens (future Radio Suisse Romande) ; René Payot commente ici, avec un regard aiguisé, chaque vendredi la situation internationale.
Ceci permet de faire l’état des forces du côté évidemment des troupes d’occupation mais aussi des mouvements collaborateurs (le PPF de Doriot par exemple puis évidemment la Milice) et de la Résistance, mais aussi des forces de police et de gendarmerie pour l’ensemble de l’Isère. Il aurait été bon de rappeler que dès octobre 1940 l’enseignant Jean Thieulé, en liaison avec sa collègue Marie Reynouard du lycée de jeunes filles (citée pages 61 et 71), distribue des tracts dès octobre 1940. Notre grand-oncle le colonel Paul Blaize le fait libérer en mars 1942 car Jean Thieulé est alors professeur à l’école des pupilles de l’air qui a été ouverte à la rentrée 1941 avec pour directeur Paul Blaize. Le premier a été arrêté pour faits de résistance, et Paul Blaize est intervenu auprès du bureau des menées antinationales de l’État-Major de Lyon.
Ceci aurait en plus était l’occasion de signaler la présence dans cette ville de cette école, conséquence de la défaite de 1940. Notons d’ailleurs que d’une main Vichy encourage la presse, pour expliquer la défaite de 1940, à dénoncer la couardise des aviateurs français et leur peur de salir leur bel uniforme (sic) et l’autre, recensant le nombre d’orphelins laissés par ceux des aviateurs qui sont morts au combat, se sent obliger de leur ouvrir un établissement spécial. On retrouvera des informations plus précises sur Jean Theulé aux pages 67 et 68 de l’ouvrage "Les déportés en Isère: La mémoire (1945-1995)" de Karin Dupinay-Bedford.
L’ouvrage ne manque pas de distiller au passage de multiples informations d’ordre général, ainsi on apprend que le PPF n’est autorisé en zone sud que le 28 décembre 1941 ou que le port de l’étoile jaune est obligatoire en zone occupée le 7 juin 1942. Notons que Pétain s'opposa au port de l'étoile jaune en zone libre mais que la mention "Juif" sur les papiers d'identité. Par ailleurs autour des pages 80, on montre bien comment Laval entend se poser comme chef de la Milice ; ceci en accord avec les statuts de la Milice :
« Le chef du Gouvernement est le chef de la Milice française. La Milice française est administrée et dirigée par un secrétaire général nommé par le chef du Gouvernement. Le secrétaire général représente la Milice française à l'égard des tiers ».
C’est aussi l’occasion de voir combien des femmes comme Mireille Provence (pseudonyme artistique de Simone Waro) et Maud Champetier de Ribes, les deux condamnés à mort en 1944 (mais la première graciée par le général de Gaulle) ont pu fournir des renseignements afin de préparer le démantèlement du maquis des Glières en Haute-Savoie (page 132) réalisé fin mars 1944.
Le 10 juin 1944 le capitaine Stéphane prend d’assaut l’école de la Milice à Uriage et on peut connaître les négociations entre la Milice et la Résistance qui se nouent suite à cette affaire. Le 22 août 1944 Grenoble est libérée du fait du départ des Allemands dans la nuit, et les pourparlers autour des miliciens faits prisonnier à Uriage n’ayant pas abouti, il s’agit de juger les prisonniers faits en juin.
Rappelons que la règle édictée par le Comité national de la Résistance est qu’une fois fait la preuve qu’un homme a été milicien, il doit être passé par les armes. On juge donc Georges Azama 19 ans de Perpignan, Jacques Gombert d’Antibes 18 ans fils d’un haut responsable de la Milice, Maurice Perriault 20 ans originaire du Creusot, Robert Musnier de Pleignes 18 ans fils d’un général secrétaire général au ministère des anciens combattants de Vichy, d’une famille de Poitiers (avec un frère dans l’armée du général de Lattre, engagé après le débarquement), Bernard Chany 20 ans vient de Lyon, Fernand Bouvery de Mays du Limousin (avec un frère dans l’armée du général de Lattre, présent en Afrique du nord dès 1940), le jurassien Joseph Piroutet, Paul Galinié de Castres qui dit avoir démissionné de la Milice quelques jours avant, le vaguemestre Robert Avril 26 ans qui n’a jamais pu rentrer chez lui après sa démobilisation en juillet 1940 car il était originaire de La Rochelle en zone interdite, le mécanicien breton Théophile Cléro. L’auteur ne nous donne l’âge précis que pour les plus jeunes.
Quasiment tous ont a un très bon niveau d’études pour l’époque, ce qui explique leur présence dans ce centre de formation de la Milice ; ceux qui ne l’ont pas étaient sur des tâches matérielles en rapport avec le fonctionnement du centre. La question cruciale est d’arriver à prouver pour eux que sans arme au moment de l’attaque des résistants, et à défaut ils n’ont pas pu ou voulu tirer sur les assaillants. Par ailleurs presque tous disent avoir été trompés sur les qualités des résistants qu’on leur a présentés comme des terroristes de plus commandés par des juifs ou des espagnols rouges. On compte six condamnés à mort, les travaux forcés à perpétuité tombent Piroutet et Galinié, deux prennent une peine de cinq ans de travaux forcés à perpétuité (ce sont Robert Avril et Théophile Cléro). Bénéficiant tous de réductions de peine, les quatre derniers sont déjà libres en 1953 quand arrive l’amnistie. L’auteur conclut en s’interrogeant sur les conditions dans lesquelles se firent l’épuration en France.
Pour connaisseurs Aucune illustration