Avis de Georgia : "Les pérégrinations de Lucifer"
Je pourrais vous conter l'histoire de Josef Mengele et réécrire ce que l'on trouve en ce moment dans pléthore d'articles concernant le récit romancé d'Olivier Guez, toujours en lice pour obtenir le prix Goncourt 2017. Je ne le ferais pas. Laissez-les dire ce qu'ils veulent. Laissez-les rappeler ce que fut l'ange de la mort, terrible et séduisante image du mal. L"ange exterminateur se promenait dans le camp d'Auschwitz détendu et à l'aise dans son uniforme de capitaine SS impeccable, ses bottes de nazi cirées et un sourire qui révélait les dents du bonheur.
Il sentait bon l'eau de Cologne et chantonnait des airs de Wagner ou de Puccini tandis qu'il agitait le bras pour indiquer aux prisonniers dans quelle file se mettre. La colonne de la mort grossissait à vue d'oeuil, enflait et débarrassait le troisième Reich des races jugées inférieures, des sous-hommes, de ceux que la nature n'avait pas gâté et qui ne pourraient survivre de toute façon. Il leur rendait service en somme.
En ce temps-là, l'Allemagne était surtout préoccupée de biologie humaine et travaillait avec acharnement à la pureté de la race, de sa race. Josef Mengele eut toute sa vie le sentiment d'avoir sauvé des vies, d'avoir su éradiquer des maladies grâce à ses recherches, les enfants cobayes furent sacrifiés pour la bonne cause. Il y croyait dur comme fer. L'ancien capitaine SS était en paix avec ces élucubrations, convaincu de servir le Troisième Reich en veillant à la survie et la progression de la race teutonique.
Jamais il ne devait déroger à cette règle immuable. Il incarnait le soldat médecin de l'Allemagne nazie. Il ne faisait jamais que son travail, trier et expertiser, condamner et expérimenter. Même à la fin de son existence lamentable, devant son fils Rolf qui lui demandait s'il avait vraiment jeté au feu des bébés, il répétait qu'il n'avait fait que son devoir et n'avait absolument rien à se reprocher.
A la fin de la guerre, l'Europe détruite, exsangue, décapitée se mit à soigner ses blessures et une politique défaillante qui avait aidé les nazis plus que de raison. En pleine reconstruction, pour ces nations déshumanisées, la traque des nazis n'était pas d'actualité. Les bourreaux eurent tout loisir de fuir. Les pays d'Amérique latine tels que l'Argentine, le Paraguay, la Bolivie et le Brésil espéraient dans une confrontation meurtrière opposant russes et américains. Attendre et voir venir pour ramasser les morts.
L'Argentine des Perón des années 50 accueillit le médecin tortionnaire ainsi qu'Adolf Eichmann et tant d'autres. Le couple présidentiel maîtrisait cette immigration et la favorisait. Helmut Gregor obtint ses papiers. Josef s'appellerait Helmut désormais. Il bénéficiait des bons soins de tout un réseau d'anciens nazis et d'une famille riche qui toute sa vie financera ses cavales et ses pérégrinations à travers l'Amérique latine.
Car ces pays étaient en perpétuelle évolution et révolution, un général chassait l'autre et les Perón ne protégeront plus Helmut. Ils ont fui. Josef Mengele fréquente modérément Riccardo Klement, alias Adolf Eichmann, tant il le dégoûte, cet ordonnateur de l'Holocauste incapable de tenir une activité quelle qu'elle soit. Riccardo regrette son passé et le fait savoir. Les services secrets israéliens, le redoutable Mossad le repère et le fait enlever le 11 mai 1960 afin de le juger à Jérusalem. La traque des anciens tortionnaires allemands est relancée. Josef Mengele se réfugie la même année au Brésil.
Dès lors, Josef Mengele ne sera plus qu'une bête traquée, l'homme à abattre afin de rendre justice à ses nombreuses victimes, un rat comme le suggère Olivier Guez. La guerre des Six Jours préoccupe désormais Israël , état neuf et fragile et lui offre un répit. On le dit ici quand il se trouve là. Pour se faire oublier, il plonge dans les brousses chaudes du Brésil, loge dans des taudis et cohabite avec une famille de hongrois qui le déteste mais encaisse l'argent de sa famille.
Les deux parties du roman intitulées le pacha et le rat témoignent de la déchéance sociale et physique d'un homme égoïste, plus affligé par la perte de ses diplômes universitaires après guerre que par l'avenir de son pays. Olivier Guez se montre sans concessions, son style délesté de toutes fioritures inutiles fait mouche. Il n'y avait rien à dire de plus. Rien. Pas même une note d'espoir en fin de livre. Méfiance, l'homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes.
Pourquoi écrire sur un homme qui collectionnait les yeux bleus et martyrisait de jeunes enfants ? Peut-être parce que la descente aux enfers d'un homme sadique qui se tenait droit sur la rampe de triage, décidant de la vie et de la mort d'hommes, de femmes et d'enfants innocents qui courbaient la tête avant que d'aller mourir n'est que pure justice et non une vengeance comme l'ange exterminateur s'obstinait à considérer sa traque. Le 7 février 1979, il se noie à Bertioga au Brésil. En mars 2016, ses ossements sont remis aux médecins de l'université de São Paulo à des fins d'expérimentation. Incroyable fin pour celui qui pratiquait des expériences insensées. Mais au moins, durant ces analyses, il était mort. Ses victimes n'eurent pas cette chance. Un livre d'utilité publique qui mériterait que les Goncourt fassent un geste en sa direction où qu'ils se trouvent.
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