Avis de Adam Craponne : "Les deux années les plus capitales dans l’histoire de l’Indochine française, après 1954, étaient les plus ignorées"
Franck Michelin, né le 16 décembre 1969 à Issy-les-Moulineaux, est professeur à l’université de Tokyo. En 2015, il a été sélectionné comme lauréat du prix Shibusawa-Claudel pour une thèse de doctorat dont il nous livre là un condensé dynamique.
L’ouvrage met en exergue la situation bien complexe de l’Indochine française entre juin 1940 et juillet 1941. Non seulement, de sa mise sous tutelle progressive par le Japon, le colonialisme français ne se remettra jamais en Indochine mais cette prise de contrôle d’une partie du sud-est asiatique par les armées nippones est l’événement phare qui conduit à la déclaration de guerre du Japon aux USA. En effet ce dernier pays impose des sanctions financières et économiques de plus en plus importantes, avec en juillet 1941 un embargo sur le carburant utile aux avions japonais et un gel des avoirs financiers nippons (page 228). Ceci amène Roosevelt à exiger un retrait des Japonais de l’Indochine méridionale (donc zones frontalières avec la Chine exclues), ce que Tokyo refuse considérant que ce rejet d’un ultimatum doit amener logiquement à la déclaration de la guerre aux USA.
Les USA comparent la situation où Vichy a laissé utiliser les bases françaises en Syrie pour contrer le Royaume-Uni en Iraq et Iran à celle où depuis la Cochinchine le Japon pourrait attaquer la Malaisie anglaise et les Indes néerlandaises (page 229). Ceci alors que l’aide matérielle que les Américains fournissaient aux Chinois a très largement été perturbée par l’occupation du Tonkin en septembre 1940 par les troupes du Mikado.
Le contenu de l’ouvrage donne également des pistes pour évaluer quelle sorte de collaboration l’amiral Decoux, gouverneur de l’Indochine française, engagea avec les Japonais. Il rappelle que la Thaïlande se vit rétrocéder par traité en mai 1941, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des territoires qu’elle avait du concéder une trentaine d’années plus tôt à la France. Ceci alors que le Siam offrit à la France la dernière victoire navale de son histoire, devant l’île de Koh Chang (page 170). Ce conflit fit environ 400 morts dont près de 80% côté thaïlandais.
De la conclusion, on retiendra :
« Après la reddition du 15 août, les forces japonaises, pourtant censées maintenir l’ordre avant l’arrivée des forces d’occupation chinoises et britanniques, prennent un malin plaisir à laisser Hô Chi Minh s’emparer du pouvoir le 2 septembre, avec la complicité des Américains qui n’ont pas compris qu’ils ont affaire à un communiste. Ce jour-là, c’est devant les soldats japonais qu’il déclare l’indépendance du Viêt Nam » (page 244).
Ceci renvoie à une information précise donnée en début de l’ouvrage à savoir que ce sont six cent anciens militaires japonais qui rejoignirent le Vietminh en 1945 dont la moitié décéda dans les dix années qui suivirent. Avant que n’arrivent les conseillers militaires chinois, ce sont les officiers d’origine nipponne qui aident à encadrement les forces communistes. Ils furent rapatriés de force en 1954 par les Nords-Vietnamiens, devant laisser sur place épouse et enfants. Ce sujet est toujours tabou actuellement au Vietnam (page 26).
coup de coeur !Pour connaisseurs Peu d'illustrations
Goscha Christopher E., « Alliés tardifs : les apports techniques des déserteurs japonais au Viet-Minh durant les premières années de la guerre franco-vietnamienne », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 202-203, n° 2, 2001