Avis de Adam Craponne : "Les fascistes ça vole toujours en escadrille, d’ailleurs Ciano était aviateur"
Mussolini utilisa le palais de Venise comme quartier général et appartement privé et le lac de Garde fut une des dernières zones tenues par les fascistes italiens au printemps 1945. L’ouvrage Du palais de Venise au lac de Garde 1936-1945 est sous-titré Mémoires d’un ambassadeur fasciste. Le diplomate et écrivain Maurizio Serra propose une préface de trente pages dans laquelle il rappelle que la politique étrangère de Mussolini s’opposa aux actions de Hitler jusqu’à ce que l’Italie se voit condamner pour son invasion de l’Abyssinie et que lors de l’Anschluss il aurait pu faire front avec la France et l’Angleterre si celles-ci avaient montré un désir d’action conséquente.
Filippo Anfuso est ici présenté comme un diplomate, il est de la promotion de Galeazza Ciano (futur gendre de Mussolini). En 1938 il est devenu chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères de Galeazzo Ciano (ce dernier est à ce poste de 1936 à 1943) ; il est par la suite l’ambassadeur de la république de Salo à Berlin. Des interventions d'Anfuso et de son ambassade à Berlin pour aider compatriotes juifs ont été mises en évidence dans lors du procès Eichmann tenu en Israël en 1961.
Il adhère au mouvement fasciste très tôt, participe à la Marche de Rome et sert comme lieutenant dans le contingent italien envoyé combattre aux côtés de Franco. Avec Ciano, il est l’instigateur de l'assassinat des frères Carlo et Nello Rosselli ; exilés en France, ils sont abattus à Bagnoles-de-l'Orne le 9 Juillet 1937 par des membres de la Cagoule. Arrêté en France fin 1945, il est libéré en 1948 et se réfugie en Espagne ; acquitté lors de son procès en Italie, il est député du MSI dans les années cinquante et soixante sur des positions atlantistes et généralement de soutien critique à la démocratie-chrétienne. C’est lors de son incarcération en France qu’il écrit le premier jet du livre Du palais de Venise au lac de Garde 1936-1945. Il le complétera ultérieurement en se reportant à certains documents. Il est décédé le 13 Décembre 1963.
L’ouvrage ouvre sur les derniers jours que l’auteur passe à Berlin fin mars 1945, moment où il a du mal à expliquer le réel tournant socialiste pris par Mussolini dans les derniers temps de la république de Salo. Peu après le narrateur rejoint début avril le nord de l’Italie où il doit prendre la responsabilité du ministère des Affaires étrangères.
L’auteur garde une grande admiration pour le Duce et par exemple il raconte comment ce dernier, à son retour de la conférence de Munich le 30 septembre 1938, serait apparu comme le sauveur de la paix: « Entre Vérone et Bologne, j’aperçus des paysans agenouillés au passage du train, ce qui, dans une région d’une majesté aussi classique, devait susciter d’étranges réflexions ! À Bologne, citadelle d’un fascisme bruyamment belliqueux, Mussolini s’aperçut qu’il était devenu saint ; il en tira cette conclusion que Munich avait dépassé ses prévisions ». Cet ouvrage est capital pour connaître l’évolution des relations entre Mussolini et l’Allemagne hitlérienne, après la sortie officielle de la guerre de l’Italie à la mi-septembre 1943.
Ribbentrop fut ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich aussi est-il très commenté son action par l’auteur. On rencontre, outre les barons du régime nazi, des figures moins connues comme le Grand mufti de Jérusalem Hadj Amin al-Husseini (page 363-365). On apprécie d’ailleurs beaucoup l’index des noms propres de personne qui comprend environ 300 entrées dont par exemple Laval ou Daladier. Ciano avait compris que l'Alliance avec l’Allemagne nazie avait toutes les chances d'entraîner l'Italie dans une guerre en Europe à laquelle elle n'était pas prête, cette information est contenue dans la note page 112.
Ces très nombreuses notes rédigées par Maurizio Serra permettent de relativiser certaines affirmations de Filippo Anfuso qui a en particulier tendance à louer ceux qui ont suivi Mussolini à la république de Salo et à mettre en exergue les défauts de ceux qui se retournèrent contre Mussolini au moment du débarquement allié en Italie. Ce fut d’ailleurs le cas de Ciano et on retiendra que Mussolini refusa de le gracier après qu’un tribunal à Vérone (ville tenue par les Allemands) l’ait condamné à mort. Mussolini déclara après cette exécution : « Si je ne l'avais pas fait fusiller, on aurait dit que je voulais sauver mon gendre. Maintenant on dit que j'ai fait fusiller le père de mes petits-enfants ».
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