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Pieds-noirs: Accords d’Évian, le grand fiasco

Pieds-noirs: Accords d’Évian, le grand fiasco
Archipel. 320 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Un ouvrage de nostalgérie pas d’algéropédagogie"

Le 18 mars 2022, on commémorera le soixantième anniversaire de la signature du cessez-le-feu en Algérie. Ce livre est en fait une édition revue et corrigée de l’ouvrage Pieds-Noirs, les bernés de l’Histoire paru en 2014. La préface est de Boualem Sansal, un écrivain algérien d’expression française né en 1949 ; nombre de ses ouvrages  sont censurés en Algérie car il a un regard très critique sur la gouvernance de cet état. Il rappelle d’une part que la modernisation de l’Algérie a été faite par et pour les Français, privant les musulmans de droit et de prospérité économique et par ailleurs que les dirigeants de ce pays devraient arrêter de se plaindre des méfaits passés de la colonisation. Il appelle, entre la communauté des pieds-noirs et les Algériens musulmans, à la fin d’un : « discours de sourds, discours victimaire, discours accusateur, discours revanchard » (page 13). Il  souhaite « voir ce que nous pourrions faire pour une réconciliation totale et définitive. La guerre est finie, il faut maintenant inventer la paix et le vivre ensemble » (page 15).

 

Près d’un tiers de l’ouvrage est consacré  à l’histoire de la colonisation française  en Algérie et en conséquence propose le récit de l’implantation de la population européenne en Algérie (d’ailleurs issue de diverses communautés) ainsi que la situation particulière des israélites (reconnus citoyens français à part entière depuis octobre 1870). Il est rappelé en particulier que d’octobre 1940 à octobre 1943, les juifs algériens furent privés de cette citoyenneté. C’est d’autre part une brève histoire de la présence juive en Algérie avant 1830 qui est évoquée ; les enfants d’Israël étant ponctuellement mais régulièrement soumis à des pogroms d’avant la lettre, venant du russe ce mot n’apparaissant en français qu’au tout début du XXe siècle).     

 

Alain Vincenot nous fait connaître des témoignages divers dans cette partie, comme ceux en 1816 d’un consul général américain, de Guy de Maupassant, d’Amédée Froger maire de Boufarik dans la Mitidja en 1930 (ce dernier sera d’ailleurs tué en 1956 par Ali la pointe et lors de son enterrement il y eut une très conséquente ratonade), de Paul Reynaud ministre des colonies en 1931. L’auteur nous donne également l’avis sur les évènements de personnes tel celui de l’écrivain Georges-Marc Benamou (âgé de cinq ans à la date de l’indépendance). Certaines réflexions montrent une vision très idéaliste de l’œuvre dite civilisatrice des Européens en Algérie allant de pair avec un profond discrédit pour les Arabes du pays.

 

La reproduction de l’auteur, sans les commenter, de certaines renseignements donne une vision biaisée des évènements, telle l’affirmation (qui n’arien d’une information objective) que les musulmans se seraient réunis en masse devant les monuments aux morts le 11 novembre 1958 pour que l’Algérie reste française.  L’impasse est faite, par l’auteur, sur la situation globale en Algérie et on ne trouve pas ainsi mention du fait que deux millions de musulmans ruraux sont présents dans des camps de regroupement au moment de l’indépendance; cette pratique, mise en place en 1957, est dénoncée deux ans plus tard par Michel Rocard qui pointe, outre le problème de la privation de liberté, les carences alimentaires et l’insalubrité de ces lieux.

 

Des évènements en lien avec la Guerre d’Algérie sont bien mis en exergue (dont certains attentats du FLN comme celui du Milk Bar en 1956) et c’est l’occasion de citer Albert Camus qui se désole en 1956 de la violence d’alors et craint la montée en puissance d’une sauvagerie. Il est mentionné qu’en juin 1958 le général de Gaulle, alors président de conseil de la IVe république, crie « Vive l’Algérie française ».  

 

Rappelons personnellement Pierre Popie, avocat libéral et militant pour l’indépendance algérienne est en janvier 1961 la première victime de l’OAS, une organisation créée officiellement en février de la même année, soit un an après l’échec de la Semaine des barricades et un mois après le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie. Le coût humain des attentats de cette organisation terroriste n’est pas présenté  ni les conséquences de ces violences. Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury, commissaire central d’Alger assassiné par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) le 31 mai 1961, pointait que les morts causés par cette organisation terroriste pro-Algérie française n’avaient jamais été honorés dans les hommages officiels. L'OAS a tué en Algérie au moins 2.200 personnes dans près de 13.000 explosions au plastic. En métropole, le nombre total de ses victimes est estimé à 71 morts et 394 blessés dont le maire socialiste d’Évian parce qu'il avait accepté que la conférence pour la signature des accords de paix se tienne dans sa ville. Je n’ai pas les chiffres des exactions des ultras de l’Algérie française avant la création de l’OAS ni des morts lors de ratonades après sa fondation.   

 

Si on ne peut que suivre l’auteur sur les conditions désastreuses de la non-application des Accords d’Évian et donc sur les suites en Algérie de leur annonce, on aurait aimé qu’il laisse dire que ce sont les actions de l’OAS en Algérie du début 1961 à l’été 1962 qui ont rendu très difficile le maintien des Européens en Algérie. Dans les dernières pages dette partie, on trouve la scandaleuse déclaration de Gaston Deferre appelant les réfugiés d’Algérie à quitter la ville dont il est maire (page 149).              

 

Plus d’un tiers de l’ouvrage donne la parole à des personnes qui vivaient en Algérie et avaient entre une dizaine et une quarantaine d’années. Les témoins s’attachent plus ou moins à retracer l’histoire de la présence de leur famille en Algérie et les conditions dans lesquelles se firent leur départ de ce pays et leur installation en métropole, voire ailleurs comme en Israël ou en Espagne. Le souvenir du débarquement des Alliés en 1942 est parfois évoqué.

 

On apprend aussi par exemple que le monument à la mémoire des légionnaires morts de la conquête de l’Oranais autour de 1900 a été déplacé de Saïda à Bonifacio en Corse. D’autres côtés anecdotiques sont intéressants comme la naissance de la boisson orangina à Boufarik  autour de 1950.

 

On relève la mention, dans un récit, du professeur André Mandouze (né en Corse) de l’université d’Alger ; ce partisan de l’indépendance algérienne sera  l’organisateur de l’enseignement supérieur algérien. Le témoin, d’origine israélite, raconte qu’en empêchant l’agression de ce dernier en 1956, elle "gagne" de figurer sur la liste que les ultra de l’Algérie française comptent éliminer. C’est pourquoi elle part poursuivre ses études universitaires en métropole quelques mois plus tard.  On apprécie la douzaine de pages proposant une chronologie de l’Algérie française depuis le débarquement de 1830 jusqu’à la date de l’indépendance en juillet 1962. On apprécie beaucoup les documents d’époque proposés.

 

La fin de l’Algérie française a ouvert une crise du nationalisme français car elle a été perçue comme un rapetissement de la France ; elle a laissé nombre de pieds-noirs  dans le ressentiment vis-à-vis des gouvernements. Globalement complaisant avec les partisans de l’Algérie française, ce livre ne fait pas œuvre dans le sens de la réconciliation comme l’annonçait bien témérairement Boualem Sansal. 

 

L’objectif n’est pas d’expliquer à la masse des pieds-noirs que ceux qui les ont trahis, ce sont avant tout les dirigeants qu’ils se sont donnés. Ces derniers ont refusé toute évolution du statut des musulmans après la Seconde Guerre mondiale et après le référendum sur l’autodétermination ont préféré basculé dans  le terrorisme plutôt que de préparer les conditions pour la cohabitation entre les communautés européenne et indigène. 

Adam Craponne

Note globale :

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