Écrits, genre et autorités: Enquête en Tunisie

Le premier chapitre rappelle à grands traits l’histoire sociale et politique de la Tunisie depuis le milieu du XXe siècle et à la chute de Ben Ali en 2011. On retiendra, à propos de cette période, que « Du règne de Bourguiba à celui de Ben Ali et jusqu’à aujourd’hui, les Tunisiennes sont présentées par les gouvernants comme les débitrices de l’État qui leur aurait "offert" des droits jalousés par les femmes des autres pays arabes » (page 47).

Le second chapitre fait un tour dans l’univers de l’édition. La part des ouvrages strictement littéraires est très réduite et seule la maison Élysad est selon l’auteur spécialisé dans ce domaine, et encore je nuancerais car elle a proposé des livres d’Histoire ces dernières années. Le livre scolaire étant aux mains de deux éditeurs dépendant de l’État, les éditeurs ne peuvent se faire une santé dans ce secteur, ce qui leur permettrait d’investir dans la production de romans par exemple.

Le troisième chapitre est intitulé "Censure, subventions et sanctions", il permet d’évoquer le contrôle direct et indirect de l’État sur l’édition. Un seul ouvrage littéraire a été censuré en Tunisie au milieu des années 1980, mais finalement il a pu paraître (p.82-83). Toutefois, il y a des évitements de la censure en négociant avec elle (pages 85-86, un cas extrêmement intéressant touche une pièce de théâtre qui en particulier décrit l’évolution d’une gauchiste vers l’islam politique) et des pressions auprès des libraires pour que des ouvrages ne soient pas proposés à la vente. Les achats des bibliothèques publiques sont contrôlés et sans véritable raison de qualité littéraire, mais en fonction des opinions politiques de l’auteur, le Ministère de la Culture passe de l’acquisition de 300 à 7 exemplaires. L’Union des écrivains tunisiens a toujours été contrôlée par des proches du pouvoir.

Après cette première partie permettant de comprendre le contexte de l’édition en Tunisie, un second volet commence par rapporter les influences littéraires qui ont amené la venue à l’écriture de certains auteurs tunisiens. On évoque ensuite en particulier l’univers sociologique des francophones d’un côté et des arabophones de l’autre bord, les origines familiales et la vie conjugale, le bagage intellectuel et le capital financier.

La troisième partie se nomme Résistances et aspirations à la reconnaissance et comprend quatre chapitres intitulés Misère de position et quête de reconnaissance, Résister en contexte autoritaire, L’écriture du corps entre injonctions des pairs et censure disséminée. De la conclusion, on retiendra :

« Appréhender les activités littéraires au prisme des rapports de genre a conduit à prêter attention aux catégories d’appréciation des œuvres par mes critiques – ce qui est ordinairement négligé par les travaux de la sociologie de la culture – à la réception des écrits dans le couple et la famille » (page 262)      

« Cet ouvrage s’inscrit enfin dans une sociologie des formes de gouvernementalité en régime autoritaire et une sociologie de l’engagement des carrières militantes » (page 263)   

En résumé, un joli travail d’enquête, très lisible par le commun des mortels, qui apporte beaucoup d’inédits dans son contenu et permet d’apporter une touche intéressante au portrait que l’on se fait de la Tunisie. Sans complaisance et sans dénigrement pour une période certes relativement laïque mais largement autoritaire.