Avis de Octave : "Petites parties de cartes géographiques (ou ludiques) entre poilus du même coin (ou de même variante de coinche)"
Le 13 novembre 2012, à l’université de Rennes, s’est tenu le colloque Petites patries dans la Grande Guerre, et moins d’un an après, nous sont livrés les contenus des interventions, on ne peut que s’en réjouir. Les presses universitaires de Rennes réalisent là une belle performance technique, elles sont d’ailleurs presque égalées en la matière par les presses universitaires de Clermont qui viennent de publier les actes du colloque tenu en octobre 2012 Enfants en temps de guerre et littérature de jeunesse que nous devrions évoquer sous peu.
Les stéréotypes régionaux existent et de plus l’on se rappelle comment Jean-Yves Le Naour nous avait conté dans La légende noire des soldats du Midi comment les soldats du Midi sont devenus des boucs émissaires au début du conflit. Le Bourguignon Pierre Perrin, mobilisé dans un régiment de la Côte-d’Or, a bien intégré le contenu de cette polémique orchestrée par le ministre de la Guerre Adolphe Messimy lorsqu’il écrit dans ses carnets en décembre 1915:
« Nous sommes relevés par le 65e, des Bretons qui, avec vingt-cinq kilomètres dans les jambes et douze heures sac au dos sans arrêt, ne se plaignent pas et s’entassent sans un mot dans les abris. C’est une race plus sympathique que nos méridionaux du 16e corps, à qui la division était rattachée ».
En fait, le 65e stationné à Nantes en temps de paix comptait une très forte proportion de Vendéens à côté de ceux originaires de la Loire-Inférieure, mais on ne peut reprocher à Pierre Perrin de n‘avoir pas interviewé les poilus de ce régiment.
L’article d’introduction, signé par trois plumes (Yann Lagadec, Ervan Le Gall et Michaël Bourlet) évoque des études locales autour de la Grande Guerre qui ont fleuri depuis 1990, dont celle de Pierre Purseigle sur la région de Béziers (intitulée Mobilisation, sacrifice et citoyenneté, elle sera bientôt évoquée ici). Il semble que beaucoup reste à faire pour dégager des généralités autour des identités régionales des combattants ou sur la façon particulière dans un espace homogène comme la zone des armées ou l’arrière des villes sont vécues les conséquences de la Grande Guerre ou imaginées les conceptions nouvelles en matière de tactique ou en équipement matériel. Alors que Jean-François Chanet et Anne-Marie Thiesse ont montré comment l’imaginaire régional nourrissait les populations hexagonales ,en particulier à la Belle Époque, l’immense tâche de montrer son impact dans certains aspects de la situation de la France durant la Grande Guerre n’en est qu’à ses balbutiements.
Les contributions contenues dans Petites patries dans la Grande Guerre portent sur la Bretagne, la Manche, le Nord-Pas-de-Calais, mais aussi l’Alsace-Lorraine (alors allemande), les USA (avec une de leur population indienne) et pour l’Empire britannique le Québec et la Nouvelle-Zélande. Nul ne sera surpris que les trois premières interventions concernent la Bretagne, la région qui instrumentalisa dès les Années folles ses sacrifices au point de grossir considérablement le nombre de ceux qui étaient morts au champ d’honneur. Yann Lagadec rappelle l’existence depuis les années 1930 d’une plaque commémorative aux Invalides en souvenir des 240 000 poilus décédés. En fait, le nombre de Bretons considérés comme morts pour la France entre 1914 et 1918 atteint 138 000 hommes, comme nous le disions en présentant l’ouvrage Mémoires d’un poilu breton d’Ambroise Harel (paru chez Ouest-France en 2013). Yann Lagadec montre chiffre à l’appui que les variations du nombre de morts par département sont en corrélation avec l’importance de sa classe ouvrière. Une bonne proportion de celle-ci a été retirée du front pour continuer à être mobilisée en partie dans les usines d’armement. Yann Lagadec poursuit en montrant qu’un très grand nombre de poilus bretons se sentent différents de ceux venus des autres régions par leur rapport à la religion catholique. Le languedocien Louis Barthas, dont les carnets furent sur le vécu des combattants un des témoignages les plus lus au cours du XXe siècle, l’historien Marc Bloch et d’autres sont convoqués pour nous montrer que le soldat breton était loin de passer pour un héros auprès des soldats des autres provinces. Ils étaient jugés essentiellement en fonction de leur addiction à l’alcool et aux conséquences que celui-ci avait sur eux, tant ponctuellement, que sur leur santé en général. On remarquait également leur mauvaise maîtrise du français. La musique, le chant et les coutumes alimentaires tiennent ici une place non négligeable dans l’univers identitaire et on pourrait aisément généraliser sur ce point pour l’ensemble des populations régionales. Un autre article portant sur les clichés photographiques de la Section photographique et cinématographique de l’Armée a l’avantage d’être largement illustré. Son auteur interroge sur l’existence de particularités bretonnes et de leur éventuelle façon d’être mises en relief dans le monde de la propagande visuelle.
Michaël Bourlet, que nous avions déjà rencontré pour le compte-rendu de La Belgique et la Grande Guerre paru en 2012, s’attache aux poilus chtimis. Outre qu’ici l’identité régionale passe par l’étape d’un fort ancrage dans des petits pays dont l’ensemble relève de la mosaïque, nombre de combattants ont de la famille en zone occupée par les Allemands. Comme pour les Bretons, il est recherché dans les témoignages des poilus du Nord-Pas-de-Calais ce qui les assemble (langue, tradition, musique, nourriture …) et par quels attributs spécifiques les autres, qu’ils soient civils ou militaires, les identifient.
Odile Roynette est l’auteure de Les mots des tranchées: L’invention d’une langue de guerre 1914-1919. Elle pose la question de la maîtrise de la langue française orale et écrite pour non seulement les Bretons, mais l’ensemble des populations de l’hexagone. Elle revisite l’enquête de Dauzat sur le vocabulaire des poilus parue sous le titre L’argot de la guerre que nous avons déjà évoquée, et celle de Gaston Esnault (qui a vécu dans le Finistère jusqu’à 19 ans) intitulée Le poilu tel qu’il se parle. Elle s’intéresse sur la façon dont ils ont pu recueillir leurs informations et sur la place des mots relevant du régionalisme dans ces ouvrages. Le solde est maigre, on peut considérer que pétoire et biniou sont les seuls à avoir été admis là et uniquement par le Breton Gaston Esnault. Pourtant, comme l’écrit le Brestois Adolphe Le Goaziou à Albert Dauzat, chaque régiment a son argot et nombre d’entre eux ont intégré des mots bretons qui se glissent dans une phrase en français. Il estime que quatre mots ou expressions sont compris quasiment dans toutes les unités d’infanterie, à savoir « butun » (tabac), « gwin » (vin), « bana » (pain), « pika eun taol » (tirer un coup). En effet, dans la seconde partie du conflit, il y a eu un fort brassage dans la composition des régiments et contrairement au début de la guerre, il y a des Bretons dans toutes les unités.
Nous avons fait le choix dans notre présentation de nous centrer sur les Bretons car de nombreux textes leur sont consacrés en partie ou en presque totalité. Ce serait faire injure aux autres contributeurs de croire que c’est parce que les autres textes sont moins intéressants. En résumé, voilà un ouvrage qui apporte des données factuelles et ouvre des perspectives pour développer de nouvelles idées sur les vécus des populations civiles ou militaires à partir d’angles de vue originaux.
Les stéréotypes régionaux existent et de plus l’on se rappelle comment Jean-Yves Le Naour nous avait conté dans La légende noire des soldats du Midi comment les soldats du Midi sont devenus des boucs émissaires au début du conflit. Le Bourguignon Pierre Perrin, mobilisé dans un régiment de la Côte-d’Or, a bien intégré le contenu de cette polémique orchestrée par le ministre de la Guerre Adolphe Messimy lorsqu’il écrit dans ses carnets en décembre 1915:
« Nous sommes relevés par le 65e, des Bretons qui, avec vingt-cinq kilomètres dans les jambes et douze heures sac au dos sans arrêt, ne se plaignent pas et s’entassent sans un mot dans les abris. C’est une race plus sympathique que nos méridionaux du 16e corps, à qui la division était rattachée ».
En fait, le 65e stationné à Nantes en temps de paix comptait une très forte proportion de Vendéens à côté de ceux originaires de la Loire-Inférieure, mais on ne peut reprocher à Pierre Perrin de n‘avoir pas interviewé les poilus de ce régiment.
L’article d’introduction, signé par trois plumes (Yann Lagadec, Ervan Le Gall et Michaël Bourlet) évoque des études locales autour de la Grande Guerre qui ont fleuri depuis 1990, dont celle de Pierre Purseigle sur la région de Béziers (intitulée Mobilisation, sacrifice et citoyenneté, elle sera bientôt évoquée ici). Il semble que beaucoup reste à faire pour dégager des généralités autour des identités régionales des combattants ou sur la façon particulière dans un espace homogène comme la zone des armées ou l’arrière des villes sont vécues les conséquences de la Grande Guerre ou imaginées les conceptions nouvelles en matière de tactique ou en équipement matériel. Alors que Jean-François Chanet et Anne-Marie Thiesse ont montré comment l’imaginaire régional nourrissait les populations hexagonales ,en particulier à la Belle Époque, l’immense tâche de montrer son impact dans certains aspects de la situation de la France durant la Grande Guerre n’en est qu’à ses balbutiements.
Les contributions contenues dans Petites patries dans la Grande Guerre portent sur la Bretagne, la Manche, le Nord-Pas-de-Calais, mais aussi l’Alsace-Lorraine (alors allemande), les USA (avec une de leur population indienne) et pour l’Empire britannique le Québec et la Nouvelle-Zélande. Nul ne sera surpris que les trois premières interventions concernent la Bretagne, la région qui instrumentalisa dès les Années folles ses sacrifices au point de grossir considérablement le nombre de ceux qui étaient morts au champ d’honneur. Yann Lagadec rappelle l’existence depuis les années 1930 d’une plaque commémorative aux Invalides en souvenir des 240 000 poilus décédés. En fait, le nombre de Bretons considérés comme morts pour la France entre 1914 et 1918 atteint 138 000 hommes, comme nous le disions en présentant l’ouvrage Mémoires d’un poilu breton d’Ambroise Harel (paru chez Ouest-France en 2013). Yann Lagadec montre chiffre à l’appui que les variations du nombre de morts par département sont en corrélation avec l’importance de sa classe ouvrière. Une bonne proportion de celle-ci a été retirée du front pour continuer à être mobilisée en partie dans les usines d’armement. Yann Lagadec poursuit en montrant qu’un très grand nombre de poilus bretons se sentent différents de ceux venus des autres régions par leur rapport à la religion catholique. Le languedocien Louis Barthas, dont les carnets furent sur le vécu des combattants un des témoignages les plus lus au cours du XXe siècle, l’historien Marc Bloch et d’autres sont convoqués pour nous montrer que le soldat breton était loin de passer pour un héros auprès des soldats des autres provinces. Ils étaient jugés essentiellement en fonction de leur addiction à l’alcool et aux conséquences que celui-ci avait sur eux, tant ponctuellement, que sur leur santé en général. On remarquait également leur mauvaise maîtrise du français. La musique, le chant et les coutumes alimentaires tiennent ici une place non négligeable dans l’univers identitaire et on pourrait aisément généraliser sur ce point pour l’ensemble des populations régionales. Un autre article portant sur les clichés photographiques de la Section photographique et cinématographique de l’Armée a l’avantage d’être largement illustré. Son auteur interroge sur l’existence de particularités bretonnes et de leur éventuelle façon d’être mises en relief dans le monde de la propagande visuelle.
Michaël Bourlet, que nous avions déjà rencontré pour le compte-rendu de La Belgique et la Grande Guerre paru en 2012, s’attache aux poilus chtimis. Outre qu’ici l’identité régionale passe par l’étape d’un fort ancrage dans des petits pays dont l’ensemble relève de la mosaïque, nombre de combattants ont de la famille en zone occupée par les Allemands. Comme pour les Bretons, il est recherché dans les témoignages des poilus du Nord-Pas-de-Calais ce qui les assemble (langue, tradition, musique, nourriture …) et par quels attributs spécifiques les autres, qu’ils soient civils ou militaires, les identifient.
Odile Roynette est l’auteure de Les mots des tranchées: L’invention d’une langue de guerre 1914-1919. Elle pose la question de la maîtrise de la langue française orale et écrite pour non seulement les Bretons, mais l’ensemble des populations de l’hexagone. Elle revisite l’enquête de Dauzat sur le vocabulaire des poilus parue sous le titre L’argot de la guerre que nous avons déjà évoquée, et celle de Gaston Esnault (qui a vécu dans le Finistère jusqu’à 19 ans) intitulée Le poilu tel qu’il se parle. Elle s’intéresse sur la façon dont ils ont pu recueillir leurs informations et sur la place des mots relevant du régionalisme dans ces ouvrages. Le solde est maigre, on peut considérer que pétoire et biniou sont les seuls à avoir été admis là et uniquement par le Breton Gaston Esnault. Pourtant, comme l’écrit le Brestois Adolphe Le Goaziou à Albert Dauzat, chaque régiment a son argot et nombre d’entre eux ont intégré des mots bretons qui se glissent dans une phrase en français. Il estime que quatre mots ou expressions sont compris quasiment dans toutes les unités d’infanterie, à savoir « butun » (tabac), « gwin » (vin), « bana » (pain), « pika eun taol » (tirer un coup). En effet, dans la seconde partie du conflit, il y a eu un fort brassage dans la composition des régiments et contrairement au début de la guerre, il y a des Bretons dans toutes les unités.
Nous avons fait le choix dans notre présentation de nous centrer sur les Bretons car de nombreux textes leur sont consacrés en partie ou en presque totalité. Ce serait faire injure aux autres contributeurs de croire que c’est parce que les autres textes sont moins intéressants. En résumé, voilà un ouvrage qui apporte des données factuelles et ouvre des perspectives pour développer de nouvelles idées sur les vécus des populations civiles ou militaires à partir d’angles de vue originaux.
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