Avis de Octave : "La Première Guerre mondiale d’Hitler : histoire d’un embusqué à l’état-major"
L’auteur insiste sur le fait qu’Hitler a menti lorsqu’il a écrit dans Mein Kampf que lors de la Première Guerre mondiale il se forge son idéologie au contact de ses camarades de combat. Si nous suivons Thomas Weber sur cette idée que ce n’est pas auprès des non gradés de son régiment qu’il a pu trouver les prémisses de ses théories, nous compléterons en avançant que c’est à notre avis au contact des officiers supérieurs qu’il intègre des éléments qui vont nourrir sa vision héroïque de la guerre (un conflit permettant de se surpasser et de vivre dans une société utopique) et sa certitude que l’armée allemande a gagné sur le terrain des combats (l’arrière ayant pratiqué certaines formes de trahison). Il est même possible que, malgré le fait qu’il doive l’attribution de sa croix de fer de première classe à un officier juif converti au christianisme, Hitler ait acquis au milieu des officiers supérieurs les bases de son antisémitisme. Nous pensons que le fait que Kurt Eisner le leader de la révolution bavaroise soit d’origine juive, qu’il ait animé des grèves dans les usines d’armement de Munich durant la Grande Guerre et organisé des manifestations pacifistes ne peut que conforter Hitler dans l’idée que le Coup de poignard dans le dos (des civils de l’arrière) est bien le fait de juifs ; le livre en voulant ne se tenir qu’aux témoignages (même si c’est pour les réfuter) fait l’impasse sur l’explication des origines de l’antisémitisme d’Hitler. Si les ouvriers français du XIXe siècle détestent les juifs c’est parce qu’ils associent à ceux-ci la figure de Rothschild. Ne peut-on imaginer que pour Hitler tout juif est un Kurt Eisner en puissance (d’autant qu’Hitler a rencontré ce personnage) ? Si nous n’avions une autre critique à faire à cet ouvrage ce serait qu’il dédouane a priori les officiers monarchistes et la très grande majorité des membres des corps francs de rejet des valeurs démocratiques tout en valorisant des non-adhésions ultérieures au nazisme de certains des personnages qui fréquentèrent Hitler. Ceci permet à l’auteur de conclure qu’ils n’influencèrent en rien ce dernier. L’idéologie nationale-socialiste est un patchwork et ce n’est pas parce que ce patchwork a pu hérisser d’anciennes connaissances cultivées d’Adolf Hitler qu’ils n’ont pu contribuer à leur insu dans la construction par ce dernier de cette idéologie. Il y a une idée généralement admise aujourd’hui (et qui n’est pas développée ici) selon laquelle qu’en déclenchant la Seconde Guerre mondiale Hitler ne fait dans son esprit que mettre fin à l’armistice du 11 novembre 1918, d’ailleurs Bernados dans son journal (paru sous le titre Les Enfants humiliés) notait juste après l’Exode de 1940 : « Le maître de l’Allemagne est en réalité son esclave : il est, jusque dans l’amertume d’un triomphe jamais à ses haines, enchaîné à l’Allemagne de 1918, à la défaite et au déshonneur de son pays (…). Il tient Foch à la gorge, il aplatit entre deux bibles le visage ecclésiastique de M. Woodrow Wilson, il écrase sur la face camuse de Clemenceau sa botte de caporal où la boue des Éparges n’a pas eu le temps de sécher ».
Si cet ouvrage se contentait seulement de nous faire connaître cette partie de la vie d’Hitler (élargie à la période d’agitation révolutionnaire qui couvre la fin de l’année 1918 ainsi que le début de 1919) et les conséquences qu’elles purent avoir sur sa conduite de la Seconde Guerre mondiale, il serait déjà bien utile. Toutefois La Première Guerre mondiale d’Hitler permet également de connaître l’évolution de l’état d’esprit des soldats, sous-officiers et officiers d’un régiment bavarois sur le front occidental (peur des francs-tireurs, trêves de Noël en 1914 et 1915, tentatives de désertion, rivalités provinciales …) et de leurs rapports avec la population civile belge. D’autres points intéressants sont développés comme la place des juifs dans l’armée allemande (pour trouver des points de comparaison, on se plongera dans Les Juifs de France et la Grande Guerre de Philippe-E. Landau) et les spécificités dues à la dimension très largement catholique et rurale du régiment dans lequel sert Hitler durant tout le conflit. S’il n’y avait qu’un seul livre à lire sur toutes les publications de 2012 qui portent sur la Grande Guerre, ce serait très vraisemblablement La Première Guerre mondiale d’Hitler. Le succès de ce titre pourrait peut-être inciter à la traduction d’un ouvrage Our Friend “the ennemy“ du même auteur qui traite de la formation universitaire des élites allemandes et anglaises à la Belle Époque.
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