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Le dernier ami de Jaurès

Le dernier ami de Jaurès
L’École des loisirs
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "Jaurès meurt aux côtés d’un jeune ami habitant la rue de la Gaîté et cela nous attriste"

De Jaurès, on apprend plus sur sa personnalité que sur sa vie car seuls les derniers jours de cette dernière nous sont évoqués. Brel dans sa chanson "Jaurès", dont l’écoute par les jeunes lecteurs permettrait d’approcher ce que fut la Belle Époque (qui fut loin d’être merveilleuse pour les métayers, ouvriers agricoles ou d’usine par exemple) nous dit : « Oui notre Monsieur, oui notre bon Maître Pourquoi ont-ils tué Jaurès? Pourquoi ont-ils tué Jaurès? ».

Ces raisons sont plus distillées qu’explicitées dans la partie romanesque de l’ouvrage et c’est mieux ainsi vu le lectorat visé. Le message est clair, si le meurtre est le fait d’un seul homme, des incendiaires ont insufflé la haine du leader de la SFIO et ont encouragé des milliers de personnes à l’abattre. D’ailleurs, Octave Fillonneau, un instituteur vendéen membre de la SFIO en 1914, a écrit un roman (paru en 1927) où il montre bien que si l’acte est l’œuvre de Villain, on peut imaginer que d’autres bras étaient prêts à commettre le même crime. Le titre de ce roman, qui désigne ainsi son anti-héros fils d’un hobereau du bocage, est "L’Irresponsable".

Il existe dans "Le dernier ami de Jaurès", à côté de ces pages de fiction, des passages didactiques en italiques qui sont censés nous permettre de suivre la course à la guerre. Visiblement l’auteure a voulu montrer qu’il y avait engrenage mais l’enchaînement qu’elle présente pose question. Elle écrit à titre d’exemple page 168 :

« [nuit du 29 au 30 juillet] Mais voilà que les Allemands bougent enfin. En effet ? Guillaume II s’est rendu compte de l’emballement des évènements et il cherche à reprendre la main. Un conflit, soit, il n’est pas hostile à cela, mais un conflit localisé à la Serbie ! Il faut à tout prix éviter l’embrasement général, d’autant que le Kaiser vient de comprendre que les Anglais seraient du côté de ses ennemis ! L’Allemagne était certainement la plus forte face à la France et à la Russie, mais le tableau n’est plus le même si les Anglais sortent de leur neutralité. Il envoie un télégramme à Nicolas II lui demandant d’arrêter la mobilisation russe. Le tsar n’attend que cela. Ainsi donc, on peut encore éviter la guerre ! Il lit le télégramme du Kaiser à son ministre de la Guerre, Soukhomlinov, et lui demande d’arrêter la mobilisation. Mais celui-ci refuse au prétexte que c’est «techniquement impossible». 

et page 121 (au sujet du premier ministre serbe): «D’abord évacuer la famille royale, décide Pasic, ensuite accepter ce que veulent les Autrichiens. Accepter tout. Capituler. S’humilier. Mais éviter la guerre».

Je pense que notre lecteur aura pu se faire de lui-même une opinion sur ce contenu-là, connaissant le consensus existant chez les historiens actuels sur le sujet. On ne lui fera pas l’injure de lui expliquer où le bât blesse. Des détails dans la fiction étonnent ; ainsi la mère du héros décide d’envoyer ce dernier vers un travail manuel, alors qu’avec des études (jusqu’à 15 ans) qui doivent lui avoir permis d’obtenir un brevet élémentaire, il peut déjà accéder à un emploi de fonctionnaire ou d’employé (il n’est pas au lycée puisque c’est prétendument un instituteur, comprendre un professeur d’école primaire supérieure qui vient la voir). Faire passer l’idée que la scolarité n’est obligatoire à l’époque que jusqu’à 12 ans et qu’arrêter des études à 15 ans est le fait d’une petite minorité dans les classes populaires n’aurait pas été inutile. L’emploi du terme de ministre de la Défense pour celui évidemment de ministre de la Guerre surprend également.

Les éléments fictionnels sont habillement assemblés. Un jeune garçon, dont on apprend à connaître les amis, rencontre pour la première fois Jaurès et assiste à son assassinat. Auparavant et après, il sera amoureux d’une fille, dite appartenant à la bourgeoisie. En résumé un récit dynamique pour sa partie fictionnelle qui doit permettre d’approcher un homme et une époque. Il y a dans ce livre des imperfections de détails et on aimerait que dans les romans, se prétendant historiques, les erreurs ne soient pas de cette dimension. Le désir sincère de rendre aussi juste que possible la perception de l’atmosphère du moment en souffre beaucoup.Le passage le plus choquant du point de vue historique est celui sur lequel se clôt l’ouvrage avec la légende du pharmacien refusant de donner ce qui aurait pu sauver Jaurès.

Octave

Note globale :

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