Avis de Alexandre : "Un ouvrage qui survole le sujet?"
Dans un journal pour enfants Les trois couleurs, qui n’a paru que de fin 1914 à fin 1919, le contenu des récits est très orienté sur les histoires mettant en scène les aviateurs. Ce sont les nouveaux chevaliers du conflit et on peut même voir un Alsacien qui trouve comme excuse de servir dans l’armée allemande, le fait que c’est dans l’aviation. Il s’agit de l’histoire en images d’Ami-Ruce intitulée "Le carnet de bord d’un as : le récit du prisonnier" paru page 2 dans l’édition du 12 juillet 1917.
Alors que l’infanterie française vit dans la boue et parmi les poux en subissant, une bonne partie de l’année, une guerre industrielle où les seules réelles actions individuelles relèvent des coups de main dans la tranchée adverse pour faire ramener quelques prisonniers (en tuant à l’arme blanche un nombre plus considérable des camarades de ces derniers), l’aviateur constitue le contre-exemple du poilu. Finalement, comme on l’apprend dans l’introduction de l’ouvrage ce sont 90 000 hommes qui sont passées par l’aviation durant la Grande Guerre dont 16 800 pilotes et 2 000 observateurs. Je connais même des militaires qui firent entre 1914 un début de guerre dans la cavalerie, une suite dans l’infanterie et une fin dans l’aviation ; ce fut le cas de mon grand-oncle.
Au début du conflit l’aviation militaire emplit des missions d’observation, elle ne s’oriente que progressivement vers la chasse et le bombardement. Déjà fin août 1914, lors de la bataille de Tannenberg sur le front russe, des renseignements cruciaux furent recueillis grâce à des appareils d'observation. Dans les deux grandes batailles de l’année 1916 sur le front occidental, à savoir Verdun et La Somme, elle va jouer un rôle très important.
Le premier combat aérien a eu lieu en fait le 8 septembre 1914 ; le capitaine russe éperonna avec son avion austro-hongrois. Les deux pilotes Piotr Nesterov et Franz Malina périrent. Le 5 octobre 1914, sur un biplan de type Voisin III, le sergent Joseph Frantz, pilote du Voisin III n° 89, son mécanicien et mitrailleur le caporal Louis Quenault abattent un appareil de reconnaissance allemand Aviatik BII dans le ciel de Jonchery-sur-Vesle près de Reims. L’avion allemand avait à son bord comme pilote le sergent Wilhelm Schlichting et comme observateur le lieutenant Fritz von Zangen.
Ronald Hubscher s’est appuyé sur des archives et sur les entretiens oraux réalisés dans les années 1970 et 1985 auprès d’acteurs. La recherche porte uniquement sur les pilotes ayant combattu dans les armées françaises. Ceci explique en particulier que le résumé de l’interview de l’Italien Jacques Armano soit présenté pages 310 et 311. On aurait aimé d’ailleurs un chapitre consacré à ces aviateurs de toutes nationalités qui vinrent défendre la France, nous nous permettons de signaler entre autres (parce que non cités) le chinois Étienne Tsu (considéré en Chine comme le premier pilote de guerre du pays), l’aviateur péruvien Jean Bielovucic (de mère française) né en 1889 et mort en 1949, le Cubain Jean Baptiste Dominique Firmin Sanchez Toledo ou l’Argentin Vicente Almandos Almonacid qui est surnommé le "roi du bombardement de nuit" (il créera et organisera la flotte aérienne du Paraguay lors de la Guerre du Chaco). Toutefois quelques pilotes américains volontaires (engagés avant l’entrée en guerre de leur pays) sont cités page 259 ; ils étaient présents sur la base de Luxeuil en Franche-Comté (le front passe au sud de l’Alsace à une distance qui n’est pas énorme).
Cette illustration n'est pas dans l'ouvrage
Une trentaine d’illustrations de bonne taille (parfois sur toute une double-page) viennent compléter le propos. Un index des personnes citées est très apprécié, on a aussi un index des lieux. On y trouve en particulier Marcel Jeanjean qui fut pilote ; on lui doit l’illustration de nombreux ouvrages de littérature de jeunesse de l’Entre-deux-guerres aux années 1960 dont en 1919 (avec de nombreuses rééditions) le célèbre Sous les cocardes, scènes de l'aviation militaire, un ouvrage préfacé par le capitaine Madon (un des as de l'aviation). Certains apparaissent de nombreuses fois comme René Anxionnaz aviateur et futur inventeur en aéronautique qui est né le 12 mars 1894.
Ronald Hubscher s’attache à montrer la jeunesse des aviateurs et le fait qu’ils étaient globalement d’un milieu favorisé. On aurait pu mettre en lumière l'idée que le recrutement se fait pour une bonne partie parmi les anciens cavaliers. L’auteur s’intéresse aussi aux opinions politiques des aviateurs sans dire grand-chose de pertinent. Nous ajouterons que l’on sait que justement le milieu des cavaliers, dont sont issus nombre d’aviateurs comptaient de nombreux officiers et sous-officiers très antiparlementaires. La classification au centre de Jean-Michel Renaitour (page 105) est déjà fort discutable à partir de son élection en 1928 comme député, elle mérite d’être revu par le qualificatif de "centre gauche" au minimum et est très inappropriée pour l’immédiate après-guerre où ce personnage était un militant très actif du parti socialiste SFIO. À juste titre l’auteur signale comme autres aviateurs, devant parlementaires pour quelques années entre 1919 et 1940, Fonck (Vosges) et Heurtaux (Seine-et-Oise) bien plus à droite que Renaitour. Il évoque aussi Fraissinet dans un dialogue avec le général de Gaulle totalement improbable dans le contexte cité (pages 104-105), il aurait été bon de préciser que c’est bien après (de 1958 à 1962) qu’il fut député du Centre national des indépendants.
Non seulement l’auteur nous évoque la vie militaire des aviateurs mais également leur état d‘esprit à quoi s'ajoutent les rivalités entre les as et les autres, les pilotes de chasse, pilotes de bombardiers ainsi que pilotes des escadrilles de défense de Paris, entre pilotes en général et observateurs… Les relations entre personnel naviguant et mécanicien sont empruntes de préjugés de classe. Albert Duval officier de marine déchoit aux yeux des autres lorsqu’il se propose de devenir mécanicien (page 251). Parmi les belles ascensions hiérarchiques, très peu d’exemples sont cités. Nos rajouterons celles que nous connaissons bien celle de deux aviateurs, l’un brigadier en 1914 dans la cavalerie terminant sa carrière comme colonel et premier directeur de l’École des pupilles de l’air (Paul Blaize) et l’autre engagé comme simple soldat début 1915 à dix-sept ans trois mois finissant au même grade en Indochine (René Pélisse). Il est à noter que d’observateurs durant la Grande Guerre, ils passent à pilote dans les Années folles.
Pour connaisseurs Quelques illustrations