Avis de Octave : "Mon curé chez les poilus"
Notre titre est évidemment humoristique. Sur la couverture du livre le titre Paroles de poilus vendéens s’est vu compléter par "1914" et "1918", ces deux dates séparées par un cœur vendéen avec la stylisation de 1943. Ceci est déjà un anachronisme de coller ce symbole avec ce dessin mis avec ces contours-là sur un livre évoquant la Grande Guerre. Les éditions Geste, nées dans la mouvance de l’UPCP (Union pour la culture populaire en Poitou-Charentes-Vendée) qui a souvent bataillé pour dégager une image plurielle de la Vendée départementale (contre d’autres associations défendant une identité se revendiquant essentiellement de la Vendée militaire), nous surprennent en éditant un ouvrage avec un tel titre faisant passer l'idée combattue jusqu'à présent par l'UPCP que tous les habitants de la Vendée départementale sont très attachés au catholicisme.
Certains à l'UPCP auraient pu épargner cela à la mémoire de tous les poilus vendéens qui réfutaient ce symbole de cœur vendéen typiquement porteur des idées royalistes à l’époque de la Grande Guerre. Rappelons à ce propos que aux élections de 1910 et 1914 confondues, la Vendée élit quasiment autant de députés radicaux anticléricaux (5) que de candidats monarchistes (4), les catholiques ralliés étant au nombre de deux. Maintenant il y a peut-être un message subliminal… Si tel était le cas ce serait que pour le département de la Vendée avant 1914 la grande majorité des garçons (et pas des filles) sont scolarisés dans l’enseignement public et que ce ne sera plus le cas après-guerre. En effet qu’elles soient veuves ou ayant leur mari au front, les Vendéennes subissent des pressions de la part des curés pour mettre leur enfant à l’école privée ; ceci non seulement pour le salut de leur âme et celle de leur progéniture mais aussi pour pour prétendre toucher des aides financières du diocèse qui s’ajoutent à celles de l’État.
Les deux auteurs tenaient vraisemblablement à récupérer tous les poilus vendéens pour leur paroisse (sic). D’ailleurs le seul anticléricalisme dont il est question dans cet ouvrage est celui provenant des gouvernements. Soyons clair, un tel contenu offert ne m’aurait pas gêné sur le titre avait été Paroles de poilus vendéens catholiques et ceci n’enlève en rien à l’extrême qualité des recherches présentées, c’est seulement leur instrumentalisation peu claire qui me gêne. Ce manque de transparence dans le discours se voit aussi par exemple pour une deuxième partie intitulée "Au cœur des combats", on relève ici la mention sous le titre "Anticléricalisme, pas mort ?" (pages 54-55) d'un épisode particulier qui méritait grandement d'être mentionné. Une demande, venue de l’arrière (et non du front) et appuyée par les prétendues révélations de Claire Ferchaud (de Loublande à l’extrémité nord des Deux-Sèvres), est faite pour « arborer l’image du Sacré-Cœur sur le drapeau français ». Les auteurs nous prouvent au minimum qu’ils ne savent pas faire la différence entre anticléricalisme et laïcité.
Par ailleurs les pages 142 et 143 sur la tranchée des baïonnettes sont-elle là pour illustrer un modèle de jésuitisme ? On pourrait méchamment le penser en voyant comment les auteurs refusent d’expliquer que la Tranchée des baïonnettes tient d’une légende qu’il est bon de connaître (voir http://fr.1001mags.com/parution/special-guerres/numero-2-avr-mai-2014/page-14-15-texte-integral). Il faut savoir que cette histoire concerne le 137e RI de Fontenay-le-Comte, et que dans son élaboration joua un rôle important l’abbé Polimann d’origine lorraine, lieutenant au 137e RI avant d’être fait prisonnier et futur membre des Croix-de-Feu, député de la Meuse et membre de la Légion des volontaires français (LVF) sous l’Occupation. Dans sa diffusion et sa défense comme fait historique, un autre responsable des Croix-de-Feu et de la LVF s’est illustré, à savoir le Berrichon Jacques Péricard, celui connu pour son « Debout les morts ! ». Si le clergé vendéen a largement fait connaître cette légende, il n'a au moins pas été à l'origine de ce "pieux mensonge". Georges T. Rand, riche banquier américain, finança la construction d'un mémorial au-dessus de cette tranchée, afin de la conserver. Dans La route de la Grande Guerre en Wallonie, on verra que la Belgique a rendu hommage aux poilus vendéens (informations non reprises dans l'ouvrage qui nous intéresse).
Il existe (et j'en connais personnellement) parmi les professeurs d'histoire de l'enseignement privé de véritables historiens avec en particulier la déontologie adéquate. Il ne faudrait pas généraliser autour de deux auteurs qui construisent un ouvrage avant tout militant, sans l'annoncer et en faisant l'impasse sur ce qui pourrait ternir l'image de certains catholiques. On ne devrait pas avoir à signaler, pour expliquer cette dérive, que Roger Albert a reçu en 2010 le prix Charette (et non Charente comme le dit cet ouvrage et à ce jour la page internet http://www.gesteditions.com/auteurs/albert-roger/) avec un ouvrage sur la Jeunesse agricole catholique en Vendée et que Louis Renaud a été professeur dans l’enseignement catholique.
En fin de compte les auteurs ont étudié le discours et le parcours de poilus qui résident début 1914 pour l’essentiel dans le canton de La Châtaigneraie et si ce n’était le cas dans des communes d’un autre canton limitrophe de celui cité. On est dans un espace de transition du point de vue politico-religieux entre un bocage au nord très marqué par l’influence des curés et la plaine ainsi que le Marais poitevin réunis dans une forte tradition républicaine. Ils se sont intéressés souvent à des hommes sur lesquels les familles avaient gardé durant environ un siècle des documents.
Traiter de "peau d’âne" le certificat d’études aurait mérité de préciser que cette expression est liée au fait que ce premier diplôme était délivré sur un papier imitant le vélin. Or le vrai vélin se fait sur peau de veau, d’où ensuite passage de veau à l’âne pour se moquer des prétentions des détenteurs de tout diplôme. Un enfant scolarisé sur sept l’obtient dans les écoles publiques du secteur géographique étudié et il serait bon de le retenir. L’ouvrage ne le précise pas mais avant 1914 dans les écoles catholiques on a l’équivalent avec le certificat de l’évêque. Progressivement dans l’Entre-deux-guerres, les élèves du privé méritants sont présentés au certificat d’études. Dans une première partie très intéressante, les auteurs nous ont dégagé un certain nombre de caractéristiques de ces hommes du point de vue non militaire.
La seconde partie est centrée sur la présence des soldats choisis et plus largement des bataillons vendéens dans les combats. Ceci est évidemment l’occasion d’évoquer le 137e RI de Fontenay-le-Comte capturant le premier drapeau allemand le 27 août 1914 près de Bulson dans les Ardennes du fait de l’action de deux natifs de Bretagne, le dernier Turquaud s’était installé à La Châtaigneraie à la Belle Époque. Ce sont toutes les étapes du conflit que vit le soldat français sur le sol hexagonal qui nous sont ici retranscrits à travers le filtre vendéen. On insiste à juste titre sur les deux batailles de la Marne (1914 et 1918), Verdun et la Somme. Ne sont pas oubliés le sort des prisonniers et le cas des fusillé pour l’exemple (page 158). On revient également sur la tâche des maires d’annoncer les décès au champ d’honneur (page 58).
Parfois l’iconographie porte seule des aspects aujourd’hui méconnus comme la présence des soldats russes sur le front français (toutefois nous coller une image de Nicolas II devant des soldats agenouillés n’est pas très pertinent) ; on a aussi des vues fort passionnantes prises côté allemand. On a trois chapitres espacés qui auraient gagné à être regroupés, à savoir celui sur le front d’Orient, celui sur les prisonniers de guerre et celui sur la découverte de la France et l’Europe. On a un témoignage intéressant d’un marsouin de La Châtaigneraie (ou de ses environs) sur le torpillage en février 1916 au cap Matapan (une des extrémités du Péloponnèse) du Provence II qui transportait des troupes vers Salonique. Nous rajouterons personnellement que l’enseigne de vaisseau Marie Henri Vesco qui commande Provence II est le frère d’une auteure de littérature de jeunesse de sensibilité très catholique prénommée Edmée qui donna dans la mobilisation idéologique des enfants. On a deux doubles-pages à la fois sur Clemenceau et sur de Lattre de Tassigny, le passage le plus intéressant est celui où le curé de Mouilleron-en-Pareds raconte la sourde hostilité de la population de ce village en 1906 lorsqu’en tant que ministre de l’Intérieur Clemenceau se rend là. Plusieurs pages plus loin, on abordera la question de l’inauguration du monument de Sainte-Hermine destiné à rappeler le rôle de Clemenceau dans le conflit.
La troisième partie aborde les répercussions à l’arrière de la Grande Guerre et commence par l’aspect hospitalier. On poursuit autour de la dureté de l’absence, la propagande (cartes postales, affiches), la censure, les pénuries alimentaires, les conseils des paysans au front à leur épouse pour s’occuper de la ferme. Les conditions dans lesquelles sont reçues l’armistice sont heureusement complété par la mention de l’occupation temporaire de certaines parties de l’Empire ottoman et plus durable de la Syrie et du Liban, puis par la décision de Clemenceau d’envoyer en 1919 des troupes françaises contre les soviétiques. Les conséquences du conflit sur la démographie avec en corollaire l’appel à la main-d’œuvre étrangère sont bien pointés. Les traces diverses de la Grande Guerre sont bien mises en avant et on apprécie de voir reproduit le vitrail de l’église Saint-Maurice-des-Noues où un soldat en tenue bleu horizon voit son sacrifice assimilé à la passion du Christ. L’ouvrage se clôt sur divers éléments assez statistiques qui permettent en particulier de savoir sur quel front sont décédés les poilus du canton de La Châtaigneraie. En résumé cet ouvrage est fort intéressant pour son iconographie abondante et variée, son travail conséquent de recherches et a un contenu bien centré sur la valorisation du catholicisme à travers ce conflit.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations
http://www.lepopulaire.fr/limoges/armee-conflit/2016/12/04/il-y-a-cent-ans-francais-et-allemands-saffrontaient-dans-une-lutte-a-mort-pour-verdun_12194629.html