Avis de Adam Craponne : "La Savoie loin du front, mais près du conflit"
Mino Faïta nous avait déjà offert "Les fusillés innocents durant la Grande guerre, morts pour et par la France" où il se centrait sur les soldats fusillés pour l’exemple du 14e corps d’armée, car il comprend les troupes alpines, auxquelles l’auteur s’était déjà intéressé. Dans "La mobilisation des champs et des usines durant la Grande Guerre" Mino Faïta et Jean-François Vérove s’intéressent toujours aux Savoyards (nombreux dans les troupes alpines) mais cette fois c’est l’économie de guerre qui est leur sujet de réflexion et donc la vie des civils mais aussi la question des permissions accordées pour des travaux agricoles à certains soldats ou de mobilisés dans les usines. L’ouvrage traite, pour la période de la Première de deux sujets de façon distinctive : le travail aux champs et le travail en usine.
Pour l’évolution des campagnes françaises durant la Première Guerre mondiale, on dispose de deux bons romans (avec une action en Poitou) d’Ernest Pérochon "Les gardiennes" (le terme désigne effectivement les paysannes qui prennent en charge l’exploitation agricole jusqu’alors dirigée par leur mari) et "La Parcelle 32". Un assez long extrait de ce dernier ouvrage est cité ici page 75. « Les campagnes de Savoie n'ont, bien sûr, pas été touchées par des combats qui se déroulent au loin, mais l'agriculture savoyarde a subi la guerre de plein fouet puisqu'elle est fortement sollicitée par les pouvoirs publics pour se mettre au service de la victoire finale ». (page 11)
Nous suivons les énormes mutations des ces deux secteurs qui se traduisent entre autres par une place capitale des femmes dans la production, l’appel à la main d’œuvre étrangère (y compris indochinoise et chinoise), l’utilisation intensive et nouvelle parfois de l’électricité et un dirigisme économique de la part de l’état impensable avant 1914 (sont présentées les actions d’Albert Thomas et Étienne Clémentel en la matière). « Naissant en même temps que l’hydroélectricité ; l’électrométallurgie et l’électrochimie, figurent à juste titre parmi les principaux piliers industriels de nos deux départements. Ces deux pôles, inégalement distribués sur le territoire, mais fortement caractérisées par la qualité et les quantités de leurs fabrications, vont vite devenir l’ossature de l’effort de guerre de l’industrie savoyarde » (page 102) L’ouvrage n’oublie pas de poser d’autres problèmes, comme ceux de l’inflation ou des conditions de travail.
Du fait de l’interdiction des importations de certains produits considérés comme de luxe (donc coûteux en devises) certaines firmes s’installent en Savoie, c’est le cas avec des firmes genevoises liées à l’horlogerie et en matière d’entreprises suisses « l’affaire la plus intéressante est une usine suisse de roulement à billes appartenant à la société Schmidt-Roost-Oerlinkon. Chassée de Delle, dans le Territoire de Belfort, en pleine zone d’hostilités, elle est transférée en 1916 à Annecy où elle bénéficie d’énergie bon marché au Fier, d’approvisionnement d’aciers spéciaux en provenance d’Ugine et de l’ouverture du marché français » (page 119) Les auteurs soulignent que certains tournants pris alors dans la production ont encore des conséquences au XXIe siècle : « Même diminués, menacés, effacés même par des choix destructeurs, certains héritages demeurent un siècle après, en témoignent encore la vallée de l'Arve du décolletage, puis l'hydroélectricité, une production d'énergie plus que jamais à l'ordre du jour par son exemplarité » (page 143-144)
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