Avis de Benjamin : "Jacquous au combat et famille au boulot, crévindiou!"
L’ouvrage évoque les Périgourdins durant la Grande Guerre en partie à travers la correspondance retrouvée et déposée aux archives départementales de la Dordogne de Paul Nogué ; sa présentation est faite aux pages 120 à 122. Il était au moment de la déclaration de guerre le directeur du journal le Combat bergeracois, sa mobilisation entraîne l’arrêt de publication de ce périodique. C’est le Journal de Bergerac qui reprend les abonnements en cours du Courrier bergeracois. Caporal cycliste, il appartient à la classe 1902 ; il sert au 340e RI en casernement à Grenoble en 1914. Cette unité combat en Italie en 1917. Par ailleurs il évoque des officiers supérieurs du 108e RI basé à Bergerac (page 167).
Wikipedia nous apprend que Jean Allard-Méeus est membre de l'Action française et qu’il est selon la légende celui qui incita les nouveaux saint-cyriens qui l'entouraient à prêter le serment de monter aux tout prochains combats, "en casoar et gants blancs". Le général Humbert, major de la promotion de Montmirail, à laquelle appartenait Allard-Méeus, indiquera bien après-guerre que cette anecdote du serment collectif a été inventée (ajoutons personnellement que Maurice Barrès la popularisa largement), d’ailleurs à l’insu même de Jean Allard-Méeus mort pour la France fin août 1914. Il est toutefois raisonnable de penser qu’un petit groupe de ces officiers eut une discussion privée où ils envisagèrent cette action.
Alain de Fayolle, né en 1891 à Tocane-Saint-Apre au nord de Périgueux, appartenait à cette promotion et il avait fait ses études au collège Saint-Joseph à Périgueux. Alain de Fayolle est en fait le seul à être monté au combat en casoar et gants blancs le jour de sa mort le 22 août 1914 à Névraumont en Belgique (pages 206 à 208). On a d’ailleurs en pleine page une belle illustration de Job montrant Alain de Fayolle touché en plein front.
Adolf Hitler n’était pas caporal, comme on l’a colporté, mais soldat de première classe ; il est cité comme gradé page 201 à propos de la bataille de la Somme de l’été 1916. En effet les auteurs évoquent également l’évolution générale du conflit et les conditions de combat après avoir situé le contexte dans lequel la guerre est déclarée.
Les conditions de vie à l’arrière dans le Périgord sont décrites en s’appuyant beaucoup sur les rapports réalisés par les sous-préfets et les préfets du département. Le travail des femmes dans les champs et dans les usines est bien évoqué ; les auteurs mentionnent un fait inédit à savoir que le Sénat a adopté le 19 octobre 1919 un texte demandant à ce que femmes et jeunes filles qui se sont particulièrement dévoués pendant le conflit reçoivent la reconnaissance de la Nation (page 103). Si cette reconnaissance officielle n’est vraisemblablement pas venue en 1919, elle a eu au moins le mérite de laisser des courriers de maires qui présente en particulier des agricultrices et institutrices.
Au début du conflit la presse avait consacré des articles à des paysannes, boulangères et enseignantes en primaire ; les auteurs citent des extraits d’article où sont valorisés les premières mais aussi une jeune femme qui à dix-huit ans prend en charge la tâche de maréchal-ferrant à Monpazier (page 103). Rappelons que le roman Les Gardiennes d’Ernest Pérochon, adapté à l’écran, met en valeur ces actions ; on a aussi sur le même sujet des articles de René Bazin qui ont été réédité récemment chez Édilys. Pour ce qui est des conditions de travail des femmes dans les usines d’armement, c’est un article page 111 de Marcelle Capy (tiré vraisemblablement selon nous de La Vague) qui sert pour l’approche. Le Journal de Bergerac du 1er octobre 1916 donne par ailleurs le cas de deux fils de 14 et 11 ans qui assurent l’exploitation du domaine agricole de leur père mobilisé (page 100).
Il est fort judicieux de pointer qu’avec la mobilisation des médecins et pharmaciens, les civils sont privés de suivi médical ce qui entraîne une hausse de la mortalité. Il est remarquable que le docteur américain John F. Park soit venu des USA pour soigner gratuitement les malades de l’arrière dans la région de Bergerac et en particulier à Beaumont-du-Périgord alors qu’il est âgé de vingt-sept ans en 1915 (page 76). Ceci nous rappelle que des médecins, ambulanciers, infirmières des Etats-Unis vinrent à tour de rôle pour une période de trois mois soigner les poilus et que l’hôpital américain de Neuilly se transforma en ambulance.
Les auteurs signalent également la présence d’un médecin originaire du Paraguay qui résidait en Suisse au moment de la déclaration de guerre. Des informations originales, comme celles ayant trait à l’interdiction des postes TSF permettent de se faire une idée de qui en possédait et d’apprendre par une publicité (page 66) que ceux-ci permettaient de recevoir des informations de l’agence Havas.
Il est fort louable de consacrer un chapitre entier à la poudrerie nationale de Bergerac, et de préciser que le choix de son implantation fin 1915 est dû à l’action d’Albert Clavelle né le 1er janvier 1865 à Mouleydier en Dordogne, un des premiers si ce n’est le premier membre d’un gouvernement au titre de technicien (généraux exceptés) et non de parlementaire (page 230). Le socialiste Albert Thomas, sous-secrétaire d'Etat à l'artillerie et à l'équipement militaire, le choisit comme secrétaire général à l’été 1914. Dans divers gouvernements entre décembre 1916 et 1920 il prend le portefeuille de sous-secrétaire d'Etat aux transports, de Ministre des Travaux publics et Transports, de sous-secrétaire d'Etat aux transports et de Ministre des Travaux publics et Transports.
Une impasse est faite sur des faits importants, qui auront un retentissement national au printemps 1918, s’étant déroulé à la toute fin 1917 à la poudrerie de Bergerac. Par ailleurs dans le cas d’une ouvrière licenciée pour avoir mené une grève à la poudrière, on regrette de ne posséder que les éléments biographiques fantaisistes qu’elle livre à la police (pages 240-241). D’autres grèves en particulier dans les chemins de fer et les manufactures de tabac sont évoquées page 112.
L’hostilité des poilus vis-à-vis des soldats américains est bien mise en exergue et explicitée : ils tardent à partir au front, ils dépensent sans compter, ils courtisent nos femmes. Les roman Les Gardiennes et Les fils Magascar (ce dernier est prévu d’être réédité en 2019) d’Ernest Pérochon soulignent cette mésentente.
Les nouvelles armes que sont les gaz, les tanks et les avions trouvent des développements et c’est l’occasion de faire découvrir des pilotes de guerre, des photographes et des mécaniciens originaires de la Dordogne comme le comte Charles de Lambert et Numa Dehilote qui prend des clichés sur le front des Balkans.
L’effort pour l’illustration est très conséquent toutefois, aussi intéressant soit-il, il a bien plus une dimension nationale et internationale (donc générale) que locale avec en particulier de nombreux dessins d’humour tirés du journal Le Pays de France où s’expriment Ray Ordner (et pas Rey Ordener comme indiqué pages 154 et 259 car il s’agit de Raymond Ordner issu d'une famille juive d'origine polonaise) dont on nous donne trois productions, Albert Guillaume, Sauvayre (et en aucun cas Sauvaure) et Fernand Gottlob (et non Sottlob comme le croient les auteurs) par ailleurs illustrateur de romans traduits du russe. Les auteurs montrent d’ailleurs une sympathie certaine envers la Russie qui les conduit à ne pas développer les maladresses du tsar qui facilitent la décision de l’Allemagne de déclarer la guerre à la Russie.
Beaucoup reste encore à écrire sur la vie à l’arrière en Dordogne, par exemple sur les drames sentimentaux lorsqu’un poilu est averti qu’il est trompé par son épouse, voir à ce sujet l’article "Conséquences galantes et laborieuses de la Grande Guerre vues par Alexandre Boisserie, écrivain et instituteur périgordin" paru dans le tome CXLIV de 2017 du Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord. Par ailleurs il y aurait à mettre en valeur l’évolution des anciens militants de la SFIO, à côté de la ligne jusqu’au-boutiste de l’institutrice Suzanne Lacore (sous-secrétaire d’état dans le premier gouvernement de Léon Blum en 1936) d’autres, parfois démissionnaire en raison de leur opposition au tournant belliciste de leur parti, menèrent une action pacifiste qui leur valut des perquisitions chez eux. L’ouvrage de Michel Bernard et Joëlle Le Pontois-Bernard a le mérite de proposer les pistes essentielles pour se faire une idée de la façon dont au front et à l’arrière, les habitants de la Dordogne ont pu vivre la Première Guerre mondiale. L’ouvrage est autoédité, le mail des auteurs est michel.bernard[@]nordnet.fr.
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