Avis de Octave : "Guerre de mots, maux de guerre"
On notera que Michel Tournier est un enfant venu sur le tard d’un poilu mutilé de guerre à l’âge de vingt ans et que ce livre lui est dédié. Cet ouvrage est excellent et va bien au-delà de ce que son titre laisse croire. En effet c’est l’ensemble des mots français, apparus depuis la déclaration de la guerre, dans le domaine de la guerre et de ses conséquences (restrictions, saisies, épidémies, objets techniques, censure …) et du combat politique ainsi que syndical qui est présenté. Ceux qui ont apprécié notre présentation de Pierre Brizon pacifiste : Député socialiste de l’Allier, pélerin de Kienthal de Pierre Roy chez Créer, retrouveront repris ici de nombreux extraits de l’ouvrage Nous crions grâce, 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916 (aux Éditions ouvrières).
L’esprit jusqu’au-boutiste évoqué dans le roman Gusse de François Barberousse trouve également ici ses détracteurs, réunissant pour une fois Briand et Clemenceau : « Que notre beau parleur d’Aristide y vienne un peu … [dans la tranchée] et il ne voudra peut-être pas aller jusqu’au bout » « (au sujet de Clemenceau) Jusqu’au bout de quoi ?? Veut-il l’anéantissement complet de plusieurs générations ? N’y a-t-il pas assez de sang versé ? ». En effet après son refus de voter des crédits militaires et diverses prises de position hostiles à la poursuite du conflit, Brizon reçoit un flot très important de lettres. Pour montrer l’évolution du vocabulaire Maurice Tournier prend également ses exemples dans des romans comme Le Feu de Barbusse ou Ceux de 14 de Genevoix. Ainsi dans le premier tome c’est l’ensemble des mots destinés à qualifier les hommes de l’arrière et ceux qui au front se défilent qui est exploré et pour cela à la page 93 sont pris dans Ceux de 14 : « Durozier, caché dans un coin sombre de la grange (…) On l’avait bien dit qu’il se planquerait … dégonfleur ».
Les chapitres suivent un ordre chronologique mais lorsqu’un sujet apparu en 1914-1918 connaît un développement parallèle durant la Seconde Guerre mondiale, comme l’opposition défaitiste/jusqu’au-boutiste, il n’apparaît qu’une fois. De même ce qui touche à l’attentisme en politique est regroupé dans la période de l’Occupation face aux choix d’engagement ou non dans la Résistance pour ceux qui refusent de collaborer, toutefois il est rappelé que l’on parle beaucoup d’attentistes entre 1933 et 1935 pour désigner ceux qui au parti socialiste SFIO hésitent à rejoindre le Parti socialiste de France sous la houlette de Déat. La bibliographie du tome 1 se retrouve (comme celle du tome 2) dans le second volume ; le sens des nombreuses abréviations désignant la petite cinquantaine des titres de livres les plus abondamment cités dans les deux tomes n’est proposé que dans le dernier volume. Les annexes fournissent une chronologie politique et militaire de 1914 à 1945 avec pour la période 1913-1919 des repères chronologiques très précis. On aurait aimé un index des noms de personnes cités, soit pour retrouver les propres phrases de ceux-ci, soit pour voir avec quels mots ils sont associés. Si dans le premier volume nos amis d’outre-quievrain ne trouveront rien de spécifique les concernant, par contre pour ce qui touche l’extrême-droite wallonne et flamande, ils connaîtront les mouvements propres à la Belgique de 1936 avec Rex de Degrelle à 1944 avec les Gardes wallonnes du même Degrelle. Toutefois cela n’est pas la suite de l’utilisation d’exemples pris dans l’univers de ce pays et la conclusion est qu’un ouvrage du même type que celui-ci serait à construire pour le français parlé en Belgique.