Avis de Zaynab : "On peut faire pédagogique sans faire ennuyeux"
Si cet album n’était paru je n’aurais jamais réalisé que les éditions Bamboo sont installées à Charnay-lès-Macon. Jean-Louis Andres, le maire de cette commune de sept mille habitants, élu en 2014, a sollicité Bamboo afin de proposer une BD qui ancre localement la Première Guerre mondiale. À la fin de la Belle Époque Charnay-lès-Macon comptait quasiment 2 000 habitants. Le choix du scénariste s’avéra des plus judicieux car Jean-Yves Le Naour est un historien de la Première Guerre mondiale qui a déjà produit plusieurs scénarios autour de ce conflit, par ailleurs la dessinatrice avait évoqué la Grande Guerre dans le dernier tome du Fils de l’officier. Bien que la commune, trop proche de la préfecture de Saône-et-Loire n’ait pas de collège, le lectorat visé est d’abord celui des élèves de fin d’école primaire et de collégiens. Toutefois un adulte, bourguignon ou pas, prendra un certain nombre d’information à la lecture de cet album.
Jean-Yves Le Naour a de bonnes idées originales comme celle de faire jouer deux enfants à "mon père il va faire" pour expliquer le contexte, l’une annonçant ainsi l’objectif de libérer l’Alsace-Lorraine et l’autre parlant de faire prisonnier l’empereur d’Allemagne (page 11). Dans un dialogue, adaptation d’un courrier authentique d’un fils à son père et sa réponse (présenté dans un ouvrage historique), on voit la jeune héroïne réclamer un casque à pointe à son père lorsqu’il reviendra de la guerre (page 13). Le Naour s’autorise une licence littéraire en présentant l’histoire d’Émile Desprées dans La Semaine de Suzette (page 21). Large licence car d’abord jamais, même durant la guerre, un tel récit n’aurait paru dans ce journal où ou trouvait les aventures de Bécassine et ensuite vu les opinions de la famille c’est Fillette que l'héroïne devrait lire, un périodique où aucun récit d’enfant tué par les Allemands n’est jamais paru non plus durant le conflit. L'histoire proposée relève de la littérature pour garçons et d’ailleurs à cette époque les filles lisent exceptionnellement des journaux pour garçons.
La peur de l’espionite est rendue tant par le cas de personnes avec un Italien pris pour un Allemand (page 13) que par celui des panneaux publicitaires Kub que Léon Daudet dénonça dans une des ses nombreuses lubies. Le 4 août 1914, le ministère de l’Intérieur exige d’ailleurs, dans tout l’hexagone, l’arrachage des panneaux publicitaires Maggi et Kubb situés à proximité des zones militaires et le long des voies ferrées. De la vie des soldats au front on n’apprend pas grand chose mais ce n’est pas l’objectif de l’ouvrage. Par contre la façon, dont ce village largement à l’arrière (le point du front le plus proche passe au-delà de Belfort) a vécu ce conflit, est bien développée avec en particulier le travail des femmes en particulier comme boulangère (page 19), garde-champêtre(page 19), agricultrice (page 28).
L’histoire est basée sur l’enquête d’une élève du CM 2 de la commune autour de la vie de son arrière-grand-père (mort à l’été 1914) et son arrière grand-mère certes mais aussi de sa grand-mère. Cette dernière part pour le front pour avoir des nouvelles de son père ; le motif de l’enfant se rendant sur le front est assez fréquent dans la littérature de jeunesse de ces vingt dernières années, par contre à ma connaissance c’est la seconde fois que dans une fiction on y envoie une fille comme personnage principal. C'est le cas avec Les nouvelles z’aventures d’Oscar et Mauricette, Les disparus de Verdun et par ailleurs on en trouve aussi une, en personnage secondaire, parmi un groupe dans A la gloire des petits héros. Les pages documentaires, bien illustrées de documents d’époque, sont fort intéressantes dans la mesure où nombre de sujets s’ancrent dans la réalité locale ; on a en particulier deux pages sur le monument aux morts de Charnay-lès-Macon et sur l’artiste local qui l’a réalisé avec un message globalement très patriotique.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations