Avis de Patricia : "Selon Lénine, la connaissance du monde permet sa transformation sociale"
Lars Lih avait déjà donné en 2015 une biographie sur Lénine aux Prairies ordinaires. C’est un chercheur et universitaire canadien anglophone et russophone, toutefois l’ouvrage nous intéressant présentement n’a pas connu d’édition en langue anglaise. Intelligemment le glossaire est placé au début de l’ouvrage, on y trouve une vingtaine de mots comme "hégémonie", "vlast" (avec un sens de "pouvoir"), "praktik" (pluriel "praktiki", désignant un militant actif de base en contact constant avec les masses) ou "kto-kovo" (formule qualifiant la logique de la NEP).
Lars Lih entend montrer la continuité de la pensée de Lénine. Vladimir Ilitch Oulianov pensait être fidèle aux idées révolutionnaires que portait la social-démocratie avant 1914 en particulier celles d’alors de Kautsky (ancien secrétaire d'Engels, dont il sera l'un des exécuteurs testamentaires). Les pensées de Staline, Kamenev et Zinoviev faisaient corps avec celle de Lénine en 1917 d’après Lars Lih. Pourtant l’Histoire nous apprend que les deux derniers votèrent contre le principe de l’insurrection le 10 octobre 1917 contrairement à Trotsky qui de plus avait approuvé les Thèses d'avril de Lénine.
De l’introduction, on peut retenir : « l’hégémonie représente un lien décisif entre le bolchévisme prérévolutionnaire et le bolchévisme au pouvoir. Il faut remarquer ici que la tactique de l’hégémonie était elle-même fondée sur la croyance dans la puissance du message – ici la puissance du message envoyé par le prolétariat socialiste à la paysannerie révolutionnaire non-socialiste. Ce message a permis au prolétariat et à son parti d’exercer une direction de classe (rukovodstovo) qur la paysannerie ; ce qui a eu une importance cruciale » (page 31). Lars Lih relève la discontinuité fondamentale entre le bolchévisme d’avant et d’après-guerre en matière de liberté politique. Pour Lénine après 1917 les messages d’opposition à sa politique mettent en danger l’efficacité de ses propres actions.
Après l’introduction, l’auteur propose quatre chapitres centrés sur la date de parution d’un écrit phare de Lénine, cependant il n’en présente pas seulement les origines, le contenu et l’actualité du contenu mais également les répercussions possibles au-delà de la date de parution du texte en question. Les chapitres sont respectivement intitulés : 1902 "Inquiétude au sujet des ouvriers" ou miracles ordinaires, 1914 "Repenser le marxisme" ou revendiquer agressivement son absence d’originalité ?, 1917 "Réarmement du parti" ou ajustement bolchévique ?, 1920 "Forcer l’avenir" ou défendre le vlast ouvrier et paysan. On peut dire que le premier mouvement est l’étape social-démocrate, le second est le niveau bolchévique, le troisième degré est celui de la prise de pouvoir et la dernière phase est l’instauration d’une société qui se donne pour avenir l’instauration et la consolidation du pouvoir des communistes.
Parmi les idées reprises dans la conclusion on retiendra celle-ci, qui se révéla fort efficace pour progresser vers un pouvoir homogène aux mains des communistes et montre que le débat autour des idées de Lénine était possible, par de militants de terrain (et non entre les seuls dirigeants), au sein du parti jusqu’en 1918 : « Les agitateurs devaient-ils soulever les foules en criant (par exemple) : "Nous exigeons la publication des traités secrets", Lénine a répondu par la négative. L’utilisation de cette méthode faisait naître des illusions sur les gouvernements capitalistes qui ne cadraient pas avec le message. Les praktiki ont répondu, exaspérés, que les revendications étaient une méthode essentielle pour une agitation efficace. Cette question est devenue le seul débat de fond suscité par les Thèses d’Avril de Lénine et s’est soldée par une victoire de fait des praktiki » (page 340).
Rappelons que Lénine est mort le 21 janvier 1924 à Vichnie Gorki et qu’en 2024 on commémore donc le centième anniversaire de sa mort. Hélène Carrère d’Encausse, loin de partager les idées de Lénine (elle fut un soutien aux candidatures de Barre puis Chirac à l’Élysée) qualifia Vladimir Ilitch Oulianov d’« inventeur politique exceptionnel, le seul de ce siècle ». Le contenu de cet ouvrage, sous-titré Les messages des bolcheviks ne s’adresse donc pas aux seuls militants mais à un large public entendant comprendre les ressorts originels de l’univers soviétique.
Pour connaisseurs Aucune illustration