Avis de Alexandre : "Le jeune prolétaire est trop grave pour être confié à un socialiste, surtout en temps de guerre"
Dans cette fiction nous savions depuis le début que le caporal Peyrac était militant socialiste à la Belle Époque. Le tome quatre montre qu’il écrit en décembre 1914 (soit environ un mois avant le premier assassinat de femme qui nous préoccupe) : « Mes nouveaux compagnons sont d’attachants blancs-becs, verbe haut et regards effrontés de gosses au vice précoce qu’on envoie ici pour se « régénérer ». Ah, les beaux citoyens de demain ! Ils étaient voleurs, les voilà tueurs ! Ce sont eux, pourtant qui me sauvent et me maintiennent en lisière de la vie. Si j’arrive à les ramener entiers, ils feront sauter cette société-immondice qu’on les a chargés de défendre ». En nous livrant ces pensées au début du tome 4 l’auteur nous prépare à mieux comprendre les raisons, surprenantes pour un lecteur du début du XXIe siècle, des meurtres.
Là, où tout historien de la Première Guerre mondiale lui tirera son chapeau, c’est que les motivations avancées sont parfaitement en phase avec la mentalité des combattants français de la Grande Guerre (telle que cette mentalité est approchée aujourd’hui). Dans ce registre une affirmation des plus pertinentes sur l’état d’esprit de certains combattants des derniers jours pourrait être : « Longtemps, j’ai cru que le devoir fondait l’homme. Je me demande aujourd’hui s’il n’est pas simplement une tromperie magnifique de l’esprit pour mener le corps où il ne veut pas ». Le dénouement qui a lieu, entre parenthèse juste après une offensive, le 11 novembre 1918 se situe dans un endroit forcément non loin de Verdun et de Metz (le front n’ayant pas progressé au niveau des Vosges durant les derniers mois de guerre) : « Est-ce que je me bats pour l’Alsace et la Lorraine ? C’est le théâtre où j’opère en ces premiers jours de novembre 1918, et je dois bien avouer qu’il n’est, comme tous les autres, qu’une scène de souffrances et de fureur qui désormais me fait horreur ». Dire que le nom du meurtrier des quatre femmes qui périssent en Champagne près du front en 1915 surprendra ceux qui connaissent la série serait s’aventurer, par contre ce sont les motifs qui sont magistralement amenés. Les raisons avancées par le scénariste confirment qu’il a bien saisi le message des historiens universitaires d’aujourd’hui dans ses aspects consensuels sur l’esprit qui anima les poilus.
L’importance des chars dans la réussite de l’offensive menée par les Alliés en l’été 1918 est bien mise en valeur et le graphisme sait mettre en avant aussi bien les caractères des hommes que les univers du front, d’un camp de prisonniers en Allemagne ou de l’arrière (on note que Rouen constitue une étape importante vers la résolution de l’énigme). Kris livre dans un excellent interview réalisé par Jérôme Verroust en avril 2010, pour son site internet intitulé « Le 36e RI : des Normands dans la Grande Guerre ». L’auteur de cette BD explique que son inspiration provient d’un passage des Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 où le narrateur dit avoir commander une bande de jeunes délinquants « engagés volontaires ou forcés » de dix-sept ans. Pour certaines séries on peut se contenter de lire un résumé du premier ou second tome, il est ici nécessaire de parcourir l’ensemble des volumes et j’ajouterai même que relire les trois premiers tomes, juste avant d’attaquer le dernier n’est pas un luxe.
http://www.historia.fr/agenda/histoire-vivante/1917-2017-ev%C3%A8nement-%C2%AB-berry-au-bac-le-camp-des-chars-fran%C3%A7ais-%C2%BB