Avis de Octave : "Un petit Gervais comme fromage pour la presse française fin août 1914"
En 1914 l’état-major français a trouvé d’autres boucs émissaires : les soldats du Midi. Il faut dire que dans les géographies universitaires de la première partie du XXe siècle et dans certaines géographies départementales scolaires à la fin de ce même siècle le caractère des habitants est décrit. Si dans le second cas, l’ouvrage étant destiné à des natifs, ce sont plutôt sous forme de qualités que les mentalités apparaissent, dans le premier exemple par contre on dit vertement quels défauts sont colportés sur les locaux.
Ne vous précipitez pas sur les petites géographies départementales d’Adolphe Joanne, publiées entre 1870 et 1914 et rééditées dans les années 1990, car au chapitre population ce géographe se dispense de toute remarque de ce genre. Mais par ailleurs grâce à une recherche personnelle dans l’ouvrage La France pittoresque écrit par Abel Hugo (le frère de Victor) en 1835, on lira au sujet des habitants du Var (après des renseignements d’ordre morphologique du point de vue physique) :
« Incapables d’un long travail, ils n’ont que le premier feu ; ils supportent avec peine le chaud et le froid, plus facilement le froid et la faim, ce qui est un effet du climat. Leur caractère est la légèreté, l’inconstance et la timidité dans les entreprises. Ardents, inflammables, exagérés, ils sont francs et braves, on les irrite par la violence. Le peuple est plus superstitieux que fanatique. Dans les classes élevées, on trouve la corruption des mœurs des grandes villes, sans en rencontrer l’urbanité ; on remarque en général plus d’esprit que de lumière, plus d’imagination que de jugement ».
Le ministre de la Guerre Adolphe Messimy demande des comptes à l’état-major sur les reculs successifs de l’armée française qui, après être entrée en Alsace et Belgique, se trouve maintenant repliée guère devant Paris, Provins, Bar-le-Duc et Verdun. Le 21 août 1914 près de Nancy des soldats lorrains et des militaires provençaux cèdent sous le poids de l’artillerie allemande. Joffre au lieu de remettre en cause stratégies et tactiques de l’armée française décide d’accuser de lâcheté une partie des soldats. Les Lorrains qui défendent leur sol (et aspirent selon la propagande à retrouver leurs frères de Thionville, Metz et Sarreguemines) sont a priori intouchables ; ce sont donc les hommes du XVe corps, au recrutement méridional, qui vont servir de boucs émissaires.
Le ministre de la Guerre Adolphe Messimy dicte quasiment le contenu d’un article pour le numéro du 24 août du « Matin », c’est le sénateur Auguste Gervais qui tient la plume. Si le premier est alors député de l’Ain, le second ancré à Issy-les-Moulineaux (dont il est maire) est sénateur de la Seine.
Si certains journaux reprennent les informations et crient haro sur le baudet, tous regrettent le scoop (ou aurait dit alors plutôt la primeur ou l’exclusivité) offert au Matin. On est surpris de voir que pour une fois L’Action française ne dénonce pas les traîtres, il est vrai que Maurras, né à Martigues, se sent humilié et a l’habileté d’écrire à propos de Gervais « L’homme ou le corps qui lâche pied devant l’ennemi mérite le peloton d’exécution, mais un homme d’État qui lâche le secret dont il a le dépôt mérite le fouet ». En revanche Georges Clemenceau sénateur du Var (mais ancien député de la Seine et Vendéen d’origine) écrit : « Notre 15e corps a cédé à un moment de panique, et s’est enfui en désordre (…) On connaît la nature impressionnable des Méridionaux. (….) Qu’on les encadre et qu’on les mène au plus fort du feu, pour leur donner, sans retard, la chance de réparation à laquelle leur passé leur donne droit ».
Gervais est toutefois assez rapidement lâché par Messimy et Joffre qui se fendent de communiqués alambiqués rendant hommage aux troupes du Midi dans leurs combats du dernier quart du mois d’août sans évoquer précisément ceux du 20 et 21. Les fromages Gervais, accusés d’appartenir à la famille du sénateur s’empressent de publier des encarts publicitaires dans nombre de journaux provençaux (en particulier Le Journal de Nice du 25 août) où « ils déclinent tout lien de parenté avec le sénateur du même nom ».
Jean-Yves le Naour montre ensuite vers quels fantasmes et légendes s’ancrent les accusations portées et rapportent aussi les brimades sur des soldats méridionaux qui s’en suivirent car leur détestable réputation se nourrit continuellement de petits échos durant toute la durée de la guerre. En 1925, parce qu’il commandait le XVe corps accusé de fuite par Joffre, le général de Castelnau en déplacement à Marseille doit faire face à une émeute lors de sa venue car on lui reproche d’avoir lancé ses troupes face à une artillerie allemande qui les a décimés et il est jugé (cette fois à tort) responsable des rumeurs de manque de combativité de ses soldats d’alors.