Avis de Octave : "Pour le général Berthelot la plus belle plante aux Balkans se nomme la Roumanie"
L’auteur avait déjà donné trois ouvrages qui avaient évoqué essentiellement ou un peu moins directement les relations entretenues la France et la Roumanie durant la Première Guerre mondiale. Si Bucarest était surnommée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale “le Petit Paris des Balkans“, c’est que l’influence française dans ce pays se manifesta dès la naissance en 1859 de l’union de la Valachie et de la Moldavie qui allait donner trois ans plus tard à la Roumanie. En conséquence près de 250 pages traitent de la période allant d’août 1916 à avril 1919 pour cette région. Cette troisième section démarre le mois où la Roumanie déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie, au moment où cette dernière fait difficilement face à l’offensive Broussilov en Galicie et se termine avec l’évacuation d’Odessa et Sébastopol par les forces françaises. La diplomatie des Alliés dans ses objectifs de stratégies périphériques obtenait là son deuxième succès puisque quelques mois plus tôt elle avait obtenu l’engagement de l’Italie contre cette même Autriche-Hongrie. La voie détournée vers la victoire était en marche car le pari de l’effondrement des Bulgares, Turcs et soldats de la double monarchie serait payant et deviendrait un des éléments qui entraînerait l’Allemagne à demander la fin des hostilités. Toutefois l’effondrement de l’armée russe (présente en Roumanie), concomitante aux troubles révolutionnaires, se traduit par l’occupation de Bucarest et de la majeure partie du royaume ; aussi la Roumanie se voit contrainte de signer un armistice en décembre 1917. Durant plus d’un an le général Berthelot dirige la mission militaire alliée en Roumanie.
Si son évacuation par Mourmansk le ramène dans l’hexagone en avril 1918, ce n’est que pour six mois, puisque les succès des armées de Franchet d’Espèrey en Macédoine se prolongent par la création de l’Armée du Danube sous la direction du général Berthelot. L’action de ce dernier se révèle capitale dans la nouvelle assise territoriale de la Roumanie dans une double direction : occupation de la Transylvanie et d’une partie du Banat (l’autre revient à la Yougoslavie) et maintien de la Bessarabie (qui a voté son rattachement au royaume) dans le royaume face aux armées rouges. Les Roumains en remerciement de la défense de leurs intérêts offrent une propriété en Transylvanie au général Berthelot et le village dans laquelle est située celle-ci prend le nom de Général Berthelot. Une BD en langue roumaine est sortie en 2008 pour présenter notre personnage. L’ouvrage montre comment Clémenceau demande aux troupes françaises en Roumanie d’appuyer les armées blanches russes et les forces du jeune état ukrainien. Berthelot sur le terrain essaie de faire comprendre au Président du Conseil que ses troupes ne veulent pas apporter ces soutiens (se rappeler de la mutinerie menée par André Marty) et qu’il n’a pas les moyens de tenir des villes comme Odessa ou Sébastopol faute de pouvoir nourrir leur population.
Composition de l'ouvrage
Cet ouvrage est composé de quatre parties et les trois autres parties ne sont pas moins intéressantes. Le premier ensemble permet de mieux connaître les origines familiales et les premières années du personnage étudié qui se déroulent dans la Loire et le Rhône. En allant jusqu’en 1914 cette partie développe l’idée que l’État-major français connaissait le plan Schlieffen depuis 1904 (passage des armées allemandes par la Belgique pour attaquer la France) et montre comment le culte de l’offensive pesait très largement a contrario. Le deuxième ensemble nous fait vivre au milieu de l’état-major de Joffre durant les deux premières années de guerre ; ceci permet un nouvel éclairage en particulier sur les batailles des Frontières, les limogeages de généraux, de la Marne et de Verdun (pour son commencement) avec le rôle de Berthelot dans la reprise de Mort-Homme. Le dernier ensemble traite de la période 1919-1931, son intérêt principal est de nous plonger dans les conditions de retour de l’Alsace-Lorraine car le général Berthelot est gouverneur militaire de Metz de 1919 à 1922. L’ouvrage de Jean-Noël Grandhomme est copieux puisqu’il atteint 970 pages et un index des noms propres se révèle précieux. Il reste fort abordable par le grand public car il restitue globalement bien l’atmosphère, les tenants et les aboutissements de ce qui est exposé. Pour la première partie il aide le lecteur à saisir le rapport de la population à son armée pour la Belle Époque en citant largement L’Est républicain, en lien au fait que de 1911 à début 1914 Berthelot commande un régiment à Bar-le-Duc dans la Meuse.
Républicains de gauche
Toutefois le discours tenu par ce quotidien n’est pas un contre-point à la vision des officiers supérieurs sur la société mais bien plutôt une vulgarisation de leur discours. Il aurait été souhaitable de bien préciser que ce journal républicain fut antidreyfusard et que son idéologie n’est plus dans les années 1910 celle de la gauche modérée (comme il est écrit) mais bien celle des républicains de gauche (comme Poincaré). Il est dommage que cette étiquette donnée par ailleurs à Lebrun et Poincaré ne soit pas expliquée ; on a affaire à des élus hostiles à l’impôt sur le revenu et pour la loi des trois ans de service militaire. Républicains modérés, même s’ils ne sont pas modérément républicains, ils sont très nettement au centre droit de l’échiquier politique. On se rappelle à ce propos d’un mot d’esprit de Joseph Barthélémy, il est vrai dans l’Entre-deux-guerres ; toutefois dès la naissance d’un parti socialiste unifié en 1905 avec le désistement concomitant des républicains de gauche pour le candidat de droite, cela se vérifie. Cet adage est qu’ « un républicain de gauche est un homme du centre que les malheurs du temps obligent à siéger à droite ». On n’oubliera pas que Poincaré est élu président de la République en 1913 par toute la moitié droite des deux hémicycles, le candidat de la gauche étant Jules Pams élu radical des Pyrénées orientales parrainé par Clemenceau.
Photographie : Voyage de M. Albert Thomas et du général Berthelot sur le front roumain, mai 1917. Photographe : inconnu. © ECPAD Source : centenaire.org
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