Avis de Octave : "Quand le pessimiste Louis Ferdinand Célie et le saxe psychologique Marcel Proust ne manquent pas de peau"
Rappelons que pour collectionner des porcelaines, Marcel Proust était surnommé "le saxe psychologique" par l’écrivain Paul Bourget. Pour saisir le contenu de ce livre, il faut connaître les principales œuvres de Céline et Proust, être un peu familiarisé avec la pensée de Castoriadis et celle de Didier Anzieu (et particulier "Le Moi-peau"). On est face à un livre écrit par un universitaire plutôt pour des diplômés de la faculté de lettres ayant des connaissances diverses en sciences humaines.
Il est bon de rappeler que Louis-Ferdinand Céline, en bouffant aussi là du pédéraste et du juif, dénigrait Proust dans l’Entre-deux-Guerres, y compris dans ses romans (comme avec Le Voyage au bout de la nuit). Mais il disait, il est vrai en 1960:
« Proust est un grand écrivain, c'est le dernier ... C'est le grand écrivain de notre génération, quoi ... »
On pourrait avancer qu’il n’y peu de personnalités aussi antinomiques d’écrivains ayant vécu sous la IIIe République, quoique leur point commun fut d’écrire des textes s’inspirant de leur propre vécu. On sait que leur gloire littéraire ne fut pas exactement contemporaine puisque celle de Proust court de 1913 à sa mort en 1922 alors que celle de Céline démarre dix ans après cette dernière date lorsque son roman Le Voyage au bout de la nuit reçoit le prix Renaudot. Ce n’est pas la première fois quedes chercheurs associent les productions de Proust et Céline.
Ils ont vécu tous deux la Grande Guerre mais l’un dans les salons mondains d’un Paris qui sauf au début (Première bataille de la Marne) et à la fin du conflit (bombardement dû à la Grosse Bertha) voit la guerre lointaine, alors que comme Clemenceau ne cessait de répéter les Allemands sont à Noyon (soit à 120 km de la porte de La Villette par la route). Ceci ne veut pas dire que dans son œuvre Proust se montre insensible à la souffrance des soldats et des familles de ceux-ci, bien au contraire. Il dénonce le bourrage de crâne et le jusqu’auboutisme incarné par Madame Verdurin. Philippe Forest le souligne tout cela dans une conférence qui a donné lieu à une vidéo visible ici http://plus.franceculture.fr/marcel-proust-et-la-premiere-guerre-mondiale
Par contre, Céline blessé dès l’année 1914, il est affecté comme commis à l’ambassade française de Londres au cours de l’année 1915 et après un séjour dans un Cameroun repris aux Allemands depuis peu, il se retrouve à Paris (avec une mission en Bretagne au printemps 1918) comme propagandiste de la Mission Rockefeller afin de lutter contre la tuberculose.
Toutefois les deux auteurs pointent que la Première Guerre mondiale entraîne une rupture majeure dans la composition de la société française avec en particulier la disparition de ceux qui pouvaient vivre de leurs rentes et l’apparition de nombreux nouveaux riches. "Le livre des écorchés: Proust, Céline dans la Grande Guerre" n’étant pas un livre d’histoire, Hervé G. Picherit ne fait pas mention de tout ce contexte. La première partie de l’ouvrage pinte les traumatismes de l’un et de l’autre, conséquences d’une blessure plus psychologique chez Proust et plus physique chez Céline (mais les deux dimensions existent chez chacun d’eux). La deuxième partie, qui commence par citer le poème calligraphié "La petite auto" de Guillaume Apollinaire, traite directement de certaines conséquences de la Grande Guerre perçues par nos deux auteurs. On trouve là trois chapitres respectivement intitulés: "L’Église détruite", "Le Livre avalé" (avec une évocation de "La Bible") et "Le masque de l’Idole".
De la conclusion, on retiendra :
« Surtout, l’optique stéréoscopique que nous apportent les sensibilités proustienne et célinienne nous offre une perspective privilégiée sur la question du "Nous" français lorsque la Nation cesse d’être l’instance suprême de l’existence sociale. Comme ils l’ont fait dès le lendemain de la Grande Guerre, ces auteurs nous donnent toujours les moyens d’inventer des alternatives à la catégorie que constitue la Nation lorsque celle-ci est minée intérieurement par de nouvelles divisions identitaires, et que ses compétences d’autrefois sont peu à peu absorbées par des instances supranationales ». (page 364)
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