Avis de Ernest : "Salonique nid de moustiques et un haut massif des Rhodopes où d’engelures on écope"
Notre titre est une allusion à un film de l’Entre-deux-guerres appelé Salonique nid d’espions, avec Louis Jouvet dans le rôle du commandant Simonis, l'agent allemand (à voir là https://www.youtube.com/watch?v=BwGt3axBoGA). Le titre complet du livre est Les désorientés. Expérience des soldats français aux Dardanelles et en Macédoine 1915-1918. Certes on disposait des mémoires du général Sarrail, d’une description de l’incendie de Salonique sous la plume de Nicolas Pitsos dans La terre, l’or et le sang. L’année 1917 et d’une autre par François-Xavier Lobry dans Journal du temps de guerre, mais jamais on avait aussi bien approché, que dans Les désorientés, à la fois la vie quotidienne du contingent français présent à Salonique et dans les montagnes avoisinantes, de la population locale et des rapports entre les indigènes et les soldats de l’hexagone (une grande incompréhension mutuelle mais aucune haine) .
L’ouvrage commence par nous donner le côté positif de cette expédition en Grèce, à savoir un coup de fouet aux recherches archéologiques dans le nord de la Grèce car sous l’impulsion du général Sarrail des archéologues français mobilisés forment des Grecs. L’auteure poursuit en évoquant à la fois l’imaginaire lié à la Grèce qui est en fait un succédané de celui prêté à l’univers maghrébin et le parcours qui mène les troupes des ports provençaux à la Grèce.
Les opérations militaires contre les alliés orientaux de l’Allemagne commencent aux Dardanelles et Francine Saint-Ramond raconte cette désastreuse expédition franco-anglaise. On est surpris d’apprendre combien de personnalités connues dans l’Entre-deux-guerres ont participé soit à l’aventure des Dardanelles ou à celle de Salonique. Pierre Drieu La Rochelle et Lucien Lamoureux par exemple, même si pour ce dernier seuls certains Bourbonnais comprendront (faute de précisions) qu’il s’agit du député de l’Allier très proche ami de Pierre Laval. L’auteure s’appuie sur de nombreux témoignages, comme le titre le laissait supposer.
On a une fine évocation de la retraite catastrophique des Serbes à travers l'Albanie, cet évènement fut bien entendu masqué par la censure de l'époque. Les conditions d'intervention des anglo-français en Grèce sont complexes et un témoin rapporte: "On dit beaucoup que nous défendons la Grèce : il faut avouer, pour être vrais, que nous la défendons malgré elle, et pour être plus juste, ne pas oublier qu’il y a huit jours, nous avons eu l’impression très nette que c’est elle qui nous avait défendus. Rien n’empêchait les Bulgares de franchir la frontière sur nos talons […] ce n’est certainement pas par sympathie, c’est une simple affaire d’intérêt bien entendu."
Cinq chapitres permettent d’approcher l’univers de Salonique et des montagnes environnantes où passe le front. C’est là que beaucoup de lecteurs découvriront que l’on se bat dans des points situé à 2 000 m d’altitude et que l’hiver produit des températures là à peu près du niveau de celles que connaissent les poilus qui combattent dans les sommets vosgiens. Ces chapitres se nomment : La guerre en Macédoine, Survivre en Macédoine, Salonique le poumon de l’armée de Macédoine, Pourquoi sonnes-nous ici ? Que faisons-nous ici ?, Une crise morale profonde [mais] le rêve oriental survit.
L’ouvrage frôle les cinquante illustrations, on peut juste regretter que ne nous soient pas présentées deux caricatures du roi de Bulgarie décrites verbalement. Pour les amateurs de cartes postales, l’auteur confirme ce que nous avions déjà ressenti personnellement à savoir que nombre des lieux présentés sont commentés par des légendes fantaisistes. Elle nous fait découvrir de plus là le recyclage de monuments espagnols ou maghrébins comme des bâtiments balkaniques et que si nombres de civils grecs ont des têtes d’Arabes, voir de noirs, c’est que l’on a pris dans les stocks des photos coloniales de la Belle Époque.
coup de coeur !Pour tous publics Beaucoup d'illustrations