Avis de Zaynab : "Les soldats italiens se carapatent après la bataille de Caparetto"
Voilà théoriquement un très bon roman historique pour élèves du secondaire ; il est paru en 2015 dans sa version originale sous le titre de Fuori Fuoco. Toutefois il manque des pages documentaires pour en comprendre complètement le sens. En effet il est question ici de la participation de l’Italie à la Première Guerre mondiale. Il aurait été nécessaire d’expliquer qu’en 1914 l’Italie est alliée de l’Autriche et l’Allemagne mais qu’elle n’entre pas en guerre à leurs côtés car elle a souscrit à une alliance défensive or c’est l’Autriche qui déclare la guerre à la Serbie et l’Allemagne qui fait de même avec la Russie et la France.
Deuxièmement il aurait fallu une carte montrant l’évolution du front italien durant la Première Guerre mondiale avec mention des villes citées dans le récit, à savoir Udine dans le royaume d’Italie et Grado en Autriche mais occupée de l’été 1915 au début de l’automne 1917 par les Italiens. Ceci en expliquant bien qu’en 1914 des régions de l’Autriche sont peuplées par des populations italiennes, le Trentin est passé aux Habsbourg en 1363 et Trieste en 1382 alors que d’autres cités sont devenues autrichiennes lorsque Napoléon a mis fin à la République de Venise comme Grado et le sont restées après 1866. Bref une carte de la formation du royaume d’Italie de 1860 à 1919 aurait été aussi utile. La seule vraie contextualisation géographique par rapport à la Première Guerre mondiale est insuffisante et bien floue pour un petit francophone:
« Depuis de nombreuses années Grado était sous domination autrichienne, tout comme Cormons, Gorizia et Trieste. C’était pour reprendre ces villes que l'Italie s’était dans la guerre contre l'Autriche». (p. 22)
En bref on a ici une situation historique fort intéressante à savoir que la toute jeune fille Jolanda vivait en Autriche avant la déclaration de guerre, aussi avait-elle appris à parler l’allemand en allant à l’école. Son père est un ouvrier italien et les familles ce pays resté neutre sont expulsées. Elles retournent donc dans le village d’origine situé non loin de la frontière autrichienne.
Le père et les frères partent comme soldats et au bout de quelques mois la mère, née dans une ville touristique voisine de langue italienne mais restée autrichienne Grado après 1866, est accusée d’espionnage. Les deux filles partent dans un village voisin toujours aux mains de l’Italie, où la personne qui s’occupe d’elles leur révèle pourquoi leur grand-mère maternelle s’est fâchée avec leur mère. Il se trouve que l’on est fin 1917, et cela méritait d’être expliqué que l’armée autrichienne vient de reprendre Grado ; ceci explique pourquoi la grand-mère est réfugiée dans ce même village. On apprend le fin mot de l’histoire familiale alors que l’armée autrichienne occupe la région ; comme la narratrice parle allemand elle épargne à sa famille beaucoup de soucis avec les soldats étrangers. On perçoit bien les suites du désastre de Caparetto et l’occupation autrichienne perdure jusqu’à l’aristice autrichien du 3 novembre 1918.
Voilà un très bon roman historique sur un sujet peu abordé dans des ouvrages accessibles en français. Il est dommage qu’aucune des trois pistes possibles pour le rendre pleinement accessible n’ait été explorée. On pouvait adapter la traduction en y introduisant ponctuellement une phrase explicative, mettre quelques notes en bas de page ou proposer un dossier documentaire en entrée de l’ouvrage. J’ajouterai que peu de jeunes lecteurs apprécieront le choix de mettre des photographies vierges à l’ancienne totalement vierges comme si le temps avait tout effacer ou présentées comme entièrement floues. Je doute beaucoup que les légendes, au contenu très intéressantes, soient lues. Il existe assez de documents photographiques que l’on aurait pu proposer à un lectorat de jeunes francophones qui manque de points d’appui pour imaginer les situations décrites. Avec en plus une couverture qui laisse croire que l’on va avoir les clichés en question, on aura une belle frustration à l’arrivée…
En résumé, voilà un ouvrage qui convient bien à un lectorat adulte francophone qui malheureusement ne le lira pas vue l’orientation de l’éditeur. Ce dernier fête justement ses trente ans et il s’est fait remarquer par la grande qualité de ses ouvrages, y compris ces romans historiques (voir les deux présentés sur le site) ; une exposition se tiendra à partir du 24 février au 14 avril 2017 et un colloque aura lieu le 2 mars à la médiathèque parisienne Françoise Sagan (qui a d’ailleurs hérité du fonds de L’Heure joyeuse). Voir à ce sujet http://www.lajoiedelire.ch/wp-content/uploads/2017/01/lettre_info_colloque_expo.pdf
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