Avis de Adam Craponne : "Дes Яusses en Франция et un Fяançais en Яussie"
Il faut rendre hommage aux éditions limousines Les ardents qui ont contacté Anne Manigaud, auteure d’un mémoire de maîtrise sous la direction d'Antoine Prost et Claude Pennetier intitulé Marcel Body : Limoges-Moscou-Limoges. Itinéraire bouleversé par la Révolution russe. En effet cet ouvrage compte de façon équilibrée deux parties : la première autour de Marcel Body et la seconde autour des mutins de La Courtine.
Marcel Body était typographe à Limoges à la Belle Époque, son intérêt pour les romans de Tolstoï l’incita à apprendre auprès d’un Russe résidant à Limoges la langue de notre écrivain. Cela lui valut de faire partie de la mission militaire envoyée en Russie et de participer à la Révolution bolchévique.
Le parcours de Marcel Body est exceptionnel et cela le conduit en particulier à être diplomate en Norvège auprès de la première femme à être devenue ambassadrice Alexandra Kolontaï, le "seul homme de confiance de Staline". Cette dernière échappera aux purges staliniennes alors qu’elle a fait partie de "L'Opposition Ouvrière" en 1921-1922.
Ajoutons qu’aux nombres des auteurs on peut ajouter des membres de l’association La Courtine 1917 ainsi que Jean-Jacques Marie (auteur d’autre part en 2017 de l’ouvrage La guerre des Russes blancs 1917-1920) qui dépeint magistralement en dix pages la situation de la Russie entre 1917 et 1924 (année où Staline s’affirme) et Dominique Danthieux (à qui on doit un intéressant ouvrage Utopies en Limousin chez Les Ardents) qui fait habilement le lien entre les deux parties de l’ouvrage.
Corinne Valade petite-fille de grands-parents maternels creusois avait proposé le roman Léopoldine chez De Borée en 2016. Elle y évoque largement la réduction du camp de La Courtine. Ce camp militaire, situé aux confins de la Creuse, de la Corrèze et du Puy-de-Dôme vit le jour en 1901. Corinne Valade choisit comme héroïne une infirmière française Léopoldine qui est affectée auprès de ce contingent lorsqu'il est au camp de Mailly en Champagne. Elle va suivre ces troupes russes au camp de La Courtine et à travers ses réflexions et ses actions on va suivre l'évolution du moral et du tempérament (comme on disait à l’époque) des troupes russes depuis leur arrivée en France.
Si la Russie manque d’armement par contre elle compte beaucoup d’hommes mobilisables aussi ce sont quarante-cinq mille sujets russes qui partent se battre à partir du printemps 1916 soit sur le front d’Orient (en Grèce) soit sur le sol français. C’est Paul Doumer qui obtient cette aide humaine lors de voyage en Russie de décembre 1915 en échange de matériels de guerre.
On peut voir sur une double-page (ce qui nous change des cartes sur quart de page de certains éditeurs, il va sans dire illisibles même parfois avec une loupe) les trois parcours réalisés par ces troupes : traversée de la Sibérie - port de Dairen en Mandchourie – Saïgon – Combo- Djibouti – Canal de Suez – Marseille, Arkhangelsk – Brest ou La Rochelle, Arkhangelsk – Brest ou La Rochelle – Marseille – Salonique.
Les conditions de voyage sont très pénibles surtout pour les hommes du premier trajet, en plus des mauvaises conditions de transport, ces derniers sont vraiment très mal nourris. Très largement illustré, l’ouvrage nous montre par d’exceptionnelles photographies toutes les étapes du séjour en France (Marseille, Mailly, le front en Champagne) avant l’arrivée dans les camps de La Courtine et du Courneau à La Teste-de-Buch (près d’Arcachon). Dans ce dernier endroit ils prennent la suite de tirailleurs sénégalais dans des baraques Adrian. On suit en effet les hommes de l’ensemble de contingent jusqu’à leur rapatriement en 1920 ou 1921.
Les Américains, en refusant la proposition de Clemenceau faite quasiment dès sa nomination comme nouveau Président du conseil (page 162) de ramener les troupes russes par une traversée de l’Océan atlantique puis des USA d’est en ouest et enfin de l’Océan pacifique, sont aussi responsables des désastreuses conditions de maintien des Russes en France après la répression qui a lieu au camp de La Courtine en septembre 1917. Deux choses sont à noter selon nous, tout d’abord la Russie est alors dirigée par le gouvernement Kerensky avec des émissaires de ce dernier en France qui refusent aux mutins le retour en Russie et ensuite que les événements de La Courtine se déroulent à un moment de transition gouvernementale entre Ribot et Painlevé.
Rappelons que ces troupes russes avaient participé à l’offensive Nivelle les 16 et 19 avril 1917 et avait subi à ces circonstances de lourdes pertes. Une brigade russe est arrivée le 28 juin à La Courtine et on suit pas à pas l’évolution des évènements qui conduisent des artilleurs puis les biffins français à intervenir à la mi-septembre 1917.
Une fois de plus les photographies sont nombreuses et de très bonne taille, on peut voir ainsi en pleine page Afanassi Globa (Афанасий Глоба) leader du mouvement de cette mutinerie ; j’aurais bien aimé savoir ce qu’il était devenu et malgré mes recherches sur internet en utilisant google traduction, je regrette de ne pas avoir trouvé cette réponse. Le secrétaire de l’association La Courtine 1917 nous dit personnellement que Rémi Adam, dans le numéro hors série des Cahiers de La Courtine 1917 “1917-1920: les soldats russes de l’Ile d’Aix”, écrit: « On le retrouvera d’ailleurs dix plus tard à Moscou, à l’occasion du sixième anniversaire de la mutinerie de La Courtine organisé par l’association des anciens soldats du corps expéditionnaire russe en France et à Salonique. Preuve qu’il avait bien rejoint à son tour, lors de son rapatriement, la Russie des bolchévicks.»
J'ai trouvé mention, notamment dans les pages 104, 108, 147 et 178 de ce livre, de la présence parmi les mutins, du futur maréchal de l’armée soviétique Rodion Yakovlevich Malinovski qui se trouve dans la Moldavie récemment annexée au moment où Hitler et ses alliés roumains attaquent l’URSS. Sa fille raconte, dans un interview en russe, que pour impressionner les Français pas un des soldats russes envoyés ne devaient avoir une taille inférieure à moins d’un mètre soixante-treize (très nettement au-dessus de la hauteur moyenne des Français de l’époque), alphabétisés (on peut penser que cela facilita la propagation des idées révolutionnaires) et orthodoxes (d’où l’absence par exemple de Baltes, de Bouriates et d’Azerbaïdjanais). Les Belfortains, que nous saluons toujours à l'occasion, trouveront page 189 un cliché représentant Stéphane Gravilenko qui, vraisemblablement pour des raisons sentimentales, a choisi de rester en France. La photographie, où il est son épouse et d'autres Russes du Territoire, appartient à un de ses descendants.
Pour tous publics Beaucoup d'illustrations
https://fr.rbth.com/art/histoire/2016/11/09/le-corps-expeditionnaire-russe-en-france-naufrage-des-livres-dhistoire_646175
http://www.dailymotion.com/video/xwfneh_ecoutez-marcel-body_news
Une stèle pour les mutins de La Courtine
http://www.somme14-18.com/event/exposition-alexandre-zinoview-historial-grande-guerre
film russe de Lev POUCH et Goskinprom GRUZII, datant de 1931. Historial de la Grande Guerre à Péronne, samedi 11 novembre 2017. Entrée libre - Durée 1h00 - Sur réservation : program@historial.org ou au 03 22 83 14 18
http://1917.hypotheses.org/category/expositions
https://fr.rbth.com/histoire/80327-grande-guerre-france-pilote-russe-argueeff