Avis de Adam Craponne : "La quête de l’indépendance personnelle dans la perspective du salut national"
Le roman Ankara se compose de trois parties : avant la bataille de Sakarya (qui en septembre 1921 se traduit par une retraite des Grecs vers Smyrne), les années qui suivent la déclaration de la République (jusqu'en 1926), les années du culte de la personnalité pour Atatürk à 1943. Rappelons que c’est sous l’ère républicaine que la capitale est transporté de Constantinople vers Ankara, cette dernière ville est donc le symbole du changement sociétal de la Turquie. Le récit vit aux rythmes des changements qui agitent tant l'héroïne, que la nouvelle capitale et le nouveau pays (jusqu'en 1918, on est dans l'Empire ottoman).
L’héroïne Mme Selma, passe sa vie avec un homme différent à chaque époque. Elle est l'épouse d'un chef de banque pendant les années de la lutte d’indépendance puis d’un officier supérieur retraité et fréquente enfin un homme de lettres.
Atatürk prônant l'usage de l'alphabet latin (image absente du texte)
L’ouvrage permet d’approcher de façon sensible présente les inquiétudes, les attitudes et les comportements divers de Turcs face à une modernisation de leur société. À un moment où se posent des questions sur l'avenir de la Turquie et en particulier sa dimension européenne et sa culture islamique, il est capital de connaître ce tournant de cette histoire. On relève quelques passages significatifs
« Postée devant la fenêtre, la femme de Nazif ne savait s’il fallait rire ou pleurer :
- Mais enfin, à quoi rime tout ce vacarme ? Regarde, je crois bien que c’est notre propriétaire qui bat sa femme.
Nazif rétorqua, imperturbable :
- Elle aura sans doute oublié de servir le petit déjeuner à temps » (page 19)
« La qualité la plus caractéristique du patriote turc occidentaliste est justement de donner un style et un cachet turcs à l’occidentalité. (…) L’occidentalisation est un principe rigoureux. Elle ne peut avoir une fonction fondatrice et créatrice qu’à condition d’être au service de la volonté nationale, de la culture nationale et de la morale nationale » (page 118).
« Quand Selma disait à son mari : "Je voudrais travailler. Mais pas pour gagner ma vie", elle pensait exactement le contraire. Pour elle, la liberté de la femme signifiait ne plus être tributaire de l’homme en quoi que ce fût, ne plus rien attendre de lui, être indépendante » (page 132).
« D’une part, l’éveil des idées et des sciences qui étaient en germe depuis la réforme de l’alphabet, en 1928, avaient trouvé leur plein essor grâce aux recherches historiques et linguistiques, et d’autre part, un combat avait été rondement mené pour le développement économique basé sur les principes du salut national » (page 154).
L’auteur a été député et ambassadeur de son pays, en particulier en Albanie et Tchécoslovaquie, dans les années 1930 ; ayant des préoccupations sociales (réclamant en particulier une réforme agraire conséquente), dont il fait part dans son journal Kadro, il dérange certains secteurs du Parti républicain du peuple au pouvoir, aussi bien que lié à Atatürk (Mustafa Kemal) ce dernier fait cesser la publication de son journal.
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