Avis de Adam Craponne : "Permettez-moi de vous parler de la mort de Talaat. Versez le vin, cher ami, versez le vin."
Notre titre utilise un extrait des paroles d’une chanson arménienne. Cet ouvrage est paru simultanément en anglais et français. Némésis est une déesse grecque qui renvoie à l’idée de juste vengeance. On démarre avec l’assassinat d’un Arménien à Constantinople en mars 1919. Cette page reste totalement hermétique si l’on ne se rend pas dans la partie documentaire (à la page 57) ou à la page 45 du récit en BD pour y lire que le personnage était Haroutioun Meguerditchian, un Arménien (traître à la cause de l’Arménie) qui avait fourni à Talaat Pacha une liste de 300 intellectuels de son peuple à liquider en priorité lors de la rafle du 23 avril 1915 à Constantinople.
On retrouve notre héros en mars 1921 à Berlin où il tire cette fois sur Mehmet Talaat Pacha, un des leaders du mouvement Jeunes-Turcs. Ce dernier a été ministre des Postes puis ministre de l’Intérieur et il est considéré comme le planificateur du génocide arménien de 1915. Deux ans plus tard, il accède à des responsabilités équivalentes à celle de Premier ministre. Peu avant la demande d’armistice turque du 30 octobre 1918, il démissionne et part se réfugier à Berlin où il vit sous un faux nom et en ayant quelque peu changé son apparence. Il est condamné par contumace en Turquie en 1919, son corps sera rendu en 1943 par Hitler à la Turquie ; toutefois aujourd’hui il est considéré comme un héros national en Turquie.
On assiste dans l’album au procès de Soguomon Tehliran , celui-ci démarre en juin 1921. Tehlirian est acquitté, suite à divers témoignages évoquant ce qu’on appellera plus tard "le génocide arménien" (le mot clé est forgé en 1943 aux USA par Raphael Lemkin, juriste d’origine juive polonaise). Le fait que le procès se soit déroulé en Allemagne, pays allié de la Turquie, n’ayant rien fait pour contrer diplomatiquement les agissements en question, a joué dans cet acquittement.
Le verdict du procès est interprété comme une condamnation morale des massacres perpétrés par les Turcs à l’encontre du peuple arménien. Par ailleurs Raphael Lemkin a écrit bien ultérieurement aux faits ceci : « Pourquoi un homme serait puni quand il tue un autre homme ? Pourquoi le meurtre d'un million de personnes est un moindre crime que le meurtre d'un seul individu ? ».
Cet album ne le dit pas dans sa partie documentaire, au demeurant bien bâtie et largement illustrée, mais Soguomon Tehliran vit l’Entre-deux-guerres en Yougoslavie et de 1945 jusqu’à sa mort en 1960 en Californie.
On apprécie que soit dévoilé, par le scénariste, le système de défense de l’accusé en toute objectivité. Cette BD est un document de vulgarisation de très bonne qualité, sans discours partisan maladroit. On est dans le noir et blanc, ce qui ici aide à porter un récit de noirs destins, le graphisme renvoie à un style caricatural très sobre qui ne manque pas d’élégance.
Pour tous publics Beaucoup d'illustrations
N-B : R Lemkin était présent au procès de Soghomon Tehlirian à Berlin et c'est précisément en étudiant les massacres des Arméniens qu'il a développé sa pensée sur les crimes de masse et créer le mot de génocide.
(Petite confusion entre le 1er et le 2e paragraphe où l'on croit que le héros est Meguerditchian...)