Avis de Adam Craponne : "Le technique ce fut fantastique"
Ce livre est sous-titré Le singulier destin d’un visionnaire de l’école républicaine, et traite de l’enseignement technique. De 1892 à 1920, ce dernier est sous la tutelle du ministère du Commerce, Alexandre Millerand (alors président du Conseil) ramène l’enseignement technique dans le giron du ministère de l’Instruction publique et propose de lui rattacher un sous-secrétariat à l'Enseignement Technique. Le premier titulaire est d’ailleurs un non-parlementaire à savoir Pierre Coupat qui fut un ouvrier métallurgiste, socialiste possibiliste et syndicaliste à la CGT. Le dernier sous-secrétariat à l'Enseignement Technique se trouva être Alfred Jules-Julien. En effet, avec l’arrivée du Front populaire, Jean Zay devient ministre de l’Éducation nationale et il n’y a plus de sous-secrétariat à l'Enseignement Technique.
Hippolyte Luc fut sous-directeur de l’Enseignement Technique à partir de 1925 puis devint Directeur Général de l'Enseignement technique au Ministère de l'Education nationale, de 1933 à 1944. Il participa donc au développement de l'enseignement technique tant avec le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire qu’avec ceux des gouvernements de Vichy. Quoique mus par des motivations largement différentes, lui et Abel Bonnard se retrouvèrent pour promouvoir là un enseignement qui se voulait moins abstrait que celui proposé dans l’enseignement général. Leur action conduisit notamment à la loi du 4 octobre 1943, confiant à l’État le monopole de l’organisation des examens et de la délivrance des diplômes professionnels. Notons que de janvier à novembre 1918 Hippolyte Luc, alors sous-lieutenant déclaré inapte au combat, est affecté au Grand quartier général de Philippe Pétain.
Ce titre se veut porteur d’éclairages inédits sur l'histoire scolaire française, il y réussit notamment en nous faisant accéder aux relations qu’entretient Hippolyte Luc avec des ministres durant vingt ans. On peut regretter qu’un tableau ne nous permette pas de saisir l’évolution des établissements relevant du technique au cours de la IIIe république et du régime de Vichy certes mais aussi jusqu’à nos jours. Cela aurait autorisé notamment, mais pas seulement de voir que les lycées professionnels d’aujourd’hui ont pour ancêtres des collèges techniques dont l’âge de recrutement et le nombre d’années de scolarité varie (arrivée après le certificat d’études et trois ans d’études puis arrivée après la troisième et deux ans d’études). Ces mêmes collèges techniques sont eux-mêmes les enfants des Écoles Pratiques de Commerce et d'Industrie (crées en 1892) et des écoles primaires supérieures professionnelles avec un recrutement et un nombre d’années de scolarité que gardèrent les collèges techniques. Durant les IIIe et IVe République, l’orientation vers le technique est sélective (comme pour l’entrée en sixième, il y a un examen et même parfois un concours d'entrée) et ceux qui sortent de ce type d’enseignement sont fiers de l’avoir suivi (je m’appuie sur des paroles de personnes scolarisées dans les années 1940).
Orphelin, il fut placé dans l’Yonne par l’Assistance publique de Paris. Ceci explique qu’il écrivit : « Né peuple, j’étais resté peuple […] Cela explique le caractère que j’ai toujours voulu donner à mes fonctions. Il ne s’agissait pas pour moi de faire une carrière […] Le but que j’ai visé a toujours été d’améliorer autant que je le pourrais, la condition du peuple restée, dans ses grandes lignes, douloureuse, injuste ». Si Hippolyte Luc profita d’un extraordinaire ascenseur social, c’est qu’il bénéficia de certains coups de pouce comme on peut le découvrir dans cet ouvrage cosigné par Guy Brucy, Marie-Laure Las Vergnas (petite-fille d’Hippolyte Luc) et Vincent Troger. On apprécie les nombreuses illustrations.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations