Avis de Adam Craponne : "Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise ( Brecht)"
Cet ouvrage est recommandé par l’Institut La Boétie, celui créé par Jean-Luc Mélenchon et Clémence Guetté (député LFI de Créteil depuis 2022 et vice-présidente de l’Assemblée nationale depuis juillet 2024) qui assure la postface de ce titre, il n’est pas à confondre avec son homonyme qui lui est un ancêtre de l’Institut Montaigne (ce dernier ayant largement soutenu Emmanuel Macron en 2017). Dans sa postaface, Clémence Guetté propose d’utiliser les savoirs proposés dans cet ouvrage afin d’engager des combats comme la lutte contre le sexisme, ou le racisme et la LGBTI-phobie. Ces thèmes nourrissant l’idéologie des militants du Rassemblement national, elle offre ainsi au des pistes pour faire reculer l’écoute de la réception des discours d’extrême-droite.
La préface est de Johann Chapoutot, un historien spécialiste d'histoire du nazisme et de l'Allemagne contemporaine. Le titre choisi rappelle d’ailleurs celui d’un article nommé "La résistible ascension de l’extrême droite en Allemagne" paru en 1998 dans la revue Pouvoirs et consultable là https://revue-pouvoirs.fr/La-resistible-ascension-de-l/, lui-même renvoyant à l’ouvrage La Résistible ascension du F. Haine déjà disponible en 1996. Cependant la formulation d’origine est attribuable à Brecht qui aux USA écrit en 1941 la pièce de théâtre La résistible ascension d’Arturo Ui. Il s’agit utiliser une parabole pour représenter les diverses étapes de l'ascension d'Hitler au pouvoir en Allemagne.
Dans d’autres écrits, Johann Chapoutot avance que le national-socialisme se donne pour objectif de « revenir à l’origine, à ce qu’était l’Homme germanique, son mode de vie et son attitude instinctuelle à l’égard des êtres et des choses ». Se dégage une conception raciste de l’histoire, qui entraîne la nécessité d'une lutte pour la préservation de la race, menacée par un péril biologique.
Il rappelle ici comment les médias aux mains de Bolloré ont démoli le programme du Nouveau Front populaire et ont fait passer les candidats de LFI pour des islamo-gauchistes. Si la comparaison entre les hésitations de politique économiques du parti radical-socialiste de l’Entre-deux-guerres et celles du Parti socialiste sous la Ve République n’est pas infondée par contre la comparaison n’a plus aucun fondement au niveau des participations gouvernementales avec des hommes venus de la droite. Pour mémoire si le parti radical tombe si facilement dans les bras de la droite, c’est que Paul Faure secrétaire de la SFIO s’oppose à toute participation gouvernementale de la SFIO dans un cabinet avec un président du conseil radical.
Johann Chapoutot n’ostracisme pas François Ruffin. Toutefois dans cette préface, on trouve quelques partis pris exprimant la stratégie politique de LFI, ponctuellement certains auteurs de cet ouvrage défendront plus ou moins explicitement les idées portées par le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Ainsi pour nous, mais pas pour certains de nos auteurs dans une stratégie indigéniste, de même que ceux qui condamnent certaines actions d’Israël ne sont pas pour autant des islamo-gauchistes, ceux qui par exemple s’offusquent par exemple de l’extension du port du voile aux sportives françaises ne sont pas pour autant des alliés de l’extrême-droite dans le combat islamophobe de cette dernière.
Selon Johann Chapoutot, on est passé de la République des professeurs (je dirais plutôt d’ailleurs des avocats), à celle des énarques puis avec le macronisme à celle des gestionnaires. Ces derniers sont souvent issus « du pire des écoles de commerce, où l’on entretient d’accablants poncifs sociaux-darwiniens, individualistes, consuméristes ainsi que les plus navrantes sottises macro-économiques ». Une autre citation nous a frappé : « La République, ce n’est pas une structure formelle, des normes juridiques que l’on tord pour son profit égoïste, ou un appareil répressif d’État qui frappe, nasse et mutile. La République, et c’est bien la gauche qui le rappelle sans cesse, c’est une culture, c’est une méthode, ce sont des principes fondamentaux qui ont une histoire longue — celle des combats pour la justice légale et sociale ».
Nous avons également relevé : « Des philistins effarés ont clamé que la hausse du SMIC ou de l'imposition des riches allait ruiner la France, comme la semaine de quarante heures et les congés payés en 1936, ou l'abolition de l'esclavage en 1794, ou encore l'interdiction du travail des enfants en 1841, dont les libéraux dénonçaient avec componction les méfaits économiques. Il se trouvait, à l'époque déjà, des experts stipendiés pour vaticiner l'apocalypse, comme il se trouvait déjà des milliardaires, comme Francois Coty en France ou Alfred Hugenberg en Allemagne, pour créer un appareil de propagande médiatique puissant qui diffame, à longueur de colonnes ou de plateaux, la gauche. L'offensive Bolloré, qui mêle un libéralisme économique agressivement et bêtement darwinien a une entreprise missionnaire de refondation nationale catholique du pays, a lancé sur les ondes ses nervis: un histrion grotesque et grossier, ancien comique obscène, pour le Lumpenproletariat, et un quarteron plus bourgeois, composé de trois présentatrices qui ont abjuré le journalisme depuis longtemps, et d'un ancien reporter de bord de terrain, laborieux soutier du journalisme sportif, connu pour ses reportages racistes, et métamorphosé en polémiste à pochette ».
Suivent près de vingt contributions, réparties en trois volets nommées successivement : Conquérir le pouvoir, Mettre au pas la société et Maintenir l’ordre bourgeois. Ces articles ont pour auteurs : Ugo Palheta, Clémence Guetté, Johann Chapoutot, Cassandre Begous, Marlène Benquet, Vincent Berthelier, Samuel Bouron, Charlène Calderaro, Zoé Carle, Aurélie Dianara, Didier Fassin, Félicien Faury, Fanny Gallot, Yann Le Lann, Mathieu Molard, Stefano Palombarini, Pauline Perrenot, Salvatore Prinzi.
De ces textes, on retiendra particulièrement:
« Les élections du mois de juin 2024 ont été ainsi marquées par une troisième vague de ralliement à l’extrême droite : après la petite bourgeoisie thatchérienne des années 1980, puis une fraction des classes moyennes inférieures apeurées par la perspective d’une dégradation sociale, c’est maintenant une fraction importante des classes aisées et de la grande bourgeoisie qui rejoint le Rassemblement national ».
« Les résultats obtenus par le FN puis le RN au sein des catégories populaires lors des principales élections semblent à première vue témoigner d’un important ralliement à l’« extrême droite » des ouvriers et employés qui votent. Aux présidentielles de 2017, Marine Le Pen est déjà la première option politique de ces deux catégories socio-professionnelles. Elle a recueilli les suffrages de 39 % des ouvriers et 30 % des employés. Au sein de ces fractions de classe, ce sont d’abord les chauffeurs et ouvriers spécialisés qui possèdent la plus grande propension à voter pour le FN.
Par contre, la croissance du vote FN puis RN entre 2017 et 2022 est principalement le fruit d’une mobilisation des salariés qualifiés. Chez les cadres, le vote RN connaît une augmentation forte puisque celui-ci passe de 10 à 17 %. Dans les groupes populaires, on assiste plutôt à une homogénéisation des comportements. La croissance du vote des employés — de 30 % à 33 % — compense en partie le léger recul du vote ouvrier. Ce vote reste par contre très rare parmi les classes populaires discriminées par les comportements racistes ».
« La clé d’interprétation de la progression de l’extrême droite dans les classes populaires se trouverait dans la combinaison d’une relégation à la fois territoriale et culturelle, qui favoriserait la diffusion de représentations identitaires parmi une fraction majoritaire d’ouvriers et d’employés. Dans cette veine interprétative, c’est la capacité idéologique du RN à imposer son agenda sur les questions qualifiées de "culturelles" qui expliquerait sa victoire auprès de groupes populaires du rural et du périurbain, alors que ces derniers seraient encore largement antilibéraux sur les questions économiques. Cette interprétation a été critiquée par les travaux des sociologues. Ils ont notamment mis en avant le fait que l’insistance sur la dimension territoriale avait tendance à masquer les déterminants structurels du vote à l’extrême droite. Ce sont bien, d’une part, les rapports de classe et de discrimination dans lesquels les électeurs se situent et, d’autre part, leurs orientations idéologiques sur les valeurs du travail qui orientent principalement ce vote ».
« L’extrême droite menace nos corps, nos vies et notre avenir. Elle menace d’abord immédiatement, chaque jour, par sa violence physique. Ne prenons pour exemple que les quinze jours ayant suivi la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024. Dans la nuit du 9 au 10 juin, à l’annonce du score du Rassemblement national aux élections européennes, quatre militants d’extrême droite commettent une agression homophobe à l’encontre d’un jeune homme de 19 ans dans les rues de Paris. Le lendemain, à Nancy, une dizaine d’individus cagoulés attaquent des manifestants antiracistes. Le 12 juin, à Toulon, une personne en situation de handicap est menacée par un homme qui finit par faire des saluts nazis. Plus tard, le 25 juin, un chauffeur de bus est traité de "bougnoule" par un automobiliste à Thiais. Ces événements ne font pas figure d’exception, bien au contraire. Il s’agit-là de journées typiques, ordinaires, habituelles pour le recensement des menaces et dégradations perpétrées par l’extrême droite ».
« En tant que députés : ils ont ainsi refusé le gel des loyers, le blocage des prix, les 2 milliards demandés par les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes. L'extrême droite est mutique - ou carrément protectrice quand il s'agit de reprendre et de partager les richesses que les milliardaires accumulent. Elle ne propose rien non plus pour partager les richesses plus largement : avec elle, les puissants de ce monde peuvent dormir sur leurs deux oreilles ».
« Tout au long du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, les journalistes politiques ont par exemple fabriqué, diffusé et commenté en continu des artefacts consolidant l'idée d'un second tour "Macron-Le Pen" à l'élection présidentielle. En 2023, dès les débuts de la grève contre la réforme des retraites, la profession a renoué avec ce journalisme de pronostics en arguant que le RN serait "le grand gagnant de la crise". Il a ainsi imposé une nouvelle fiction performative à l'agenda : la centralité politique d'un parti n'ayant pourtant joué aucun rôle dans la construction et l'animation d'un mouvement social massif, et relativement voire totalement absent du travail parlementaire ».
Il reste que l’idée majeure portée par l’ensemble du contenu est la convergence actuelle du bloc libéral avec le bloc d’extrême-droite. De plus l’approche des réseaux tissés par l’extrême droite dans les médias ou la police ne manque pas d’intérêt, comme d’ailleurs le décryptage des combats culturels (dont celui de l’opposition de l’éducation sexuelle par dénigrement de son contenu) du Rassemblement national.
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