Avis de Patricia : "L’accueil des étrangers"
Cet ouvrage est une synthèse des échanges tenus lors des États Généraux des Migrations, a été écrit par Sophie-Anne Bisiaux avec le concours d’un comité de lecture où l’on trouve Nadia Benslimane (Médecins du Monde), Thierry Lebeaupin (EGM, AL Besançon), Claire Rodier (Gisti), Marie-Christine Vergiat (Ligue des droits de l’Homme) et Annick Vernay (EGM, AL Bordeaux). Il a été dirigé par Camille Deltombe et coordonné par Alice Donet.
« L’objectif des États Généraux des Migrations (EGM) depuis leur création est de réunir des acteurs sur l’ensemble du territoire national pour dénoncer les politiques migratoires actuelles, et imaginer ensemble des alternatives plus hospitalières et plus solidaires, fondées sur le respect des droits fondamentaux, la nécessité d’un accueil digne et la défense de la liberté de circulation et d’installation pour toutes et tous. » (page 15)
En 1832 François Guizot, chef de gouvernement sous la Monarchie de juillet, demande à son administration de bien «s’assurer que les réfugiés auxquels elle donne des secours ont été réellement contraints de quitter leur pays par suite des événements politiques», afin d’éviter que de simples émigrants puissent venir «usurper des secours destinés à une infortune spéciale qui ne peut obtenir, dans sa propre patrie, aucun soulagement». L'émigration visée là est alors essentiellement polonaise; elle suit l’échec de l’insurrection de 1830-1831. Dans sa préface, François Héron fait allusion à ce texte.
Le cœur de cet ouvrage est composé de plusieurs parties. La première traite de l’image type que le Français moyen se fait du migrant, à savoir un noir africain illettré et pauvre dans son pays d’origine. Cela amène à poser notamment un certain nombre de définitions comme "migrant" ou "apatride" et rappeler un certain nombre de textes (telle la Convention de Genève de 1951 qui interdit le refoulement d’une personne sans étude sérieuse de sa situation). Un exemple typique d’idée fausse soulevée dans ce chapitre est celui concernant le sexe du migrant ; aujourd’hui 48% des migrants sont des femmes et loin de vivre à la charge d’un homme ou de la société qui les accueille (grâce à des allocations diverses), leur taux d’activité professionnelle est des deux tiers alors qu’il est d’un peu moins de 50% chez les femmes non migrantes (voir pour plus de précisions https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/---publ/documents/publication/wcms_652031.pdf).
Ce premier volet s’attache également à évoquer l’origine géographique des migrants. Ce sont les Asiatiques qui constituent le plus fort contingent de migrants, largement devant les Européens qui eux-mêmes surpassent dans l’ordre les gens d’Amérique centrale et du sud réunis et les Africains (d’origine noire ou arabe). Toutefois en France il est vrai que l’immigration africaine est dominante, le phénomène étant lié au fait que ce pays avait un empire colonial s’étant de la Méditerranée au Golfe de Guinée. Par ailleurs, on apprend que les migrants allant du Nord vers le Sud ne sont pas majoritaires ainsi en Afrique migre-t-on souvent d’un pays à un pays voisin.
La deuxième partie est intitulée "C’est l’invasion". Aujourd’hui, par rapport à il y a une centaine d’années le nombre de personnes vivant dans un autre pays où il est né était de 5%, il est de 3,5% aujourd’hui. Cela aurait mérité un peu plus d’explication car cette dimension nous semble lié à la question coloniale et au fait que l’on circulait très généralement sans passeport avant 1914. On apprend que c’est le Liban qui compte en proportion le plus de réfugiés (une personne sur quatre) mais cela s’explique aisément avec la présence de Palestiniens et de Syriens, qu’en Jordanie on en compte un sur treize et en Turquie un sur vingt (alors qu’elle approche 84 000 000 d’habitants à ce jour). Pour une fois, l’organisation européenne ne pèse pas beaucoup en matière de migration, chaque pays ayant sa propre règle en matière de droit d’asile ou d’intégration de travailleurs clandestins. D’ailleurs les taux de reconnaissance du statut de réfugié diffèrent largement d’un État à un autre, ainsi en 2018, le taux d’acceptation en première instance variait entre 11% en République tchèque et 68% en Espagne.
On relève ceci dans ce volet : «Imaginons qu’un ressortissant camerounais, ayant fui son pays en passant par la Libye puis la mer Méditerranée, arrive en Sicile. Si ensuite il se rend en France pour y solliciter une protection et que les autorités parviennent à prouver qu’il est passé par l’Italie (grâce a un système de collecte et de comparaison d’empreintes appelé EURODAC), celles-ci pourront alors choisir de le renvoyer en Italie. C’est ainsi que certains migrants en viennent à se mutiler en se brûlant la peau des doigts pour empêcher la reconstitution de leur itinéraire. » (page 65).
"Ils nous menacent" est le nom de la troisième partie. Est largement développé ici, dans un but d’apaisement, les craintes d’une islamisation de la société française. En prolongement, on aborde le problème de la délinquance et des attentats. Il est rappelé que les actions de terrorisme frappent bien plus les pays où l’islam est religion d’état que les autres. Le coût d’une expulsion d’un étranger en situation irrégulière est assez pharamineux et on risque d’aller vers une privatisation plus ou moins importante de la surveillance des frontières et des mesures d’expulsion (page 117).
La quatrième partie se nomme "Une seul solution: chacun chez soi". Avec une plus grande surveillance des frontières, c’est le crime organisé qui gagne quasiment toutes les parts du marché de l’immigration clandestine. Ceci n’a pas pour seule conséquence leur enrichissement mais a un coup humain très important ; nombre de personnes sont mortes du fait des conditions dans lesquelles elles ont été amenées en direction d’une frontière et on sait que maltraitances, prostitution et travail forcé sont le lot de certains candidats à l’immigration.
La question des conditions d’accueil aliment la dernière partie et on ouvre là des perspectives qui paraîtront originales à certains. On retiendra ceci :
« Or, plus les frontières sont fermées, plus les migrants tendent à s’installer durablement dans le pays d’accueil, car il faut alors « rentabiliser » le coût économique (prix du visa, du passage...) et humain (prise de risques, violences physiques et psychologiques...) de leur franchissement. C’est ainsi que de nombreux sans-papiers (souvent arrivés de manière irrégulière avec un visa de court séjour) se sédentarisent dans le pays de destination, de peur de ne plus pouvoir y entrer à nouveau si jamais ils le quittent. » (page 169).
« (…) alors qu’on sait que des milliers de personnes sont déjà forcées de migrer pour survivre au dérèglement climatique, le combat écologique ne peut faire l’impasse sur la liberté de circulation comme moyen d’adaptation et outil de réparation des inégalités et des injustices. Il ne saurait donc y avoir de justice environnementale sans justice migratoire. (page 184).
Cet ouvrage synthétique brasse nombre d’idées à travers soixante questions phares, sa lecture confortera en arguments ceux qui jugent inadmissibles certaines conditions faites aux migrants. Malheureusement ce contenu risque de ne jamais atteindre ceux qui auraient le plus besoin d’en prendre connaissance. Faire passer l’idée que l’accueil des étrangers est une chance pour la France s’avèrera toujours difficile même lorsque la natalité de l’hexagone tendra encore à diminuer (ison taux est de 1,88 en 2018 et a baissé de quatre centièmes deux ans plus tard).
Pour tous publics Aucune illustration
http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_808907/lang--fr/index.htm
https://www.lematin.ch/story/emmanuel-macron-veut-mieux-expulser-les-etrangers-irreguliers-339097580276
https://www.estrepublicain.fr/economie/2021/07/10/lamine-expulse-alors-qu-il-vient-d-obtenir-son-cap-de-boulanger