Avis de Patricia : "Le racisme peut tuer à petit feu les âmes et les corps"
Rachid Bathoum est membre de l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM) basé à Liège en Belgique. On lui doit en 2022, en collaboration avec Carlo Caldarini, Les dégâts des discriminations ethno raciales sur la santé. Enquête qualitative: Rapport pour la Région Wallonne. Il est d’origine marocaine et son ouvrage sort peu de temps avant que ne se tienne au Musée Royal d’Art et d’Histoire de Bruxelles le Forum académique belgo-marocain commémorant les 60 ans de l’accord du 17 février 1964. On lui doit, pour le site internet d’Étopia l’article "Le racisme nuit gravement à la santé des personnes et de leur entourage" consultable ici https://etopia.be/blog/2023/03/20/le-racisme-nuit-gravement-a-sa-sante-et-a-celle-de-son-entourage/. Le contenu s’est appuyé sur le témoignage de dix personnes essentiellement d’origine marocaine et marginalement ayant des attaches avec l’Algérie. Cette enquête a été réalisée en 2019.
L’ouvrage est publié alors que l’affaire Naomi Musenga, concernant les circonstances du décès le 29 décembre 2017 de Naomi Musenga à Strasbourg, débouche six ans plus sur la mise en examen de l’opératrice du SAMU pour "non-assistance à personne en danger" (voir https://www.nouvelobs.com/sante/20180509.OBS6428/naomi-musenga-morte-apres-avoir-appele-le-samu-en-vain-6-questions-sur-un-scandale.html et https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/12/affaire-naomi-musenga-l-operatrice-du-samu-mise-en-examen_6210485_3224.html). En écoutant l’enregistrement, on peut se demander si, sans son accident africain, Naomi Musenga n' aurait pas reçu un autre type de réponse (https://www.youtube.com/watch?v=HfOeUM1PbEg).
Dans l’avant-propos, l’auteur pointe le fait qu’on se soit penché sur les problèmes des immigrés sous différents angles mais rarement dans le domaine de la santé. Il précise : « au risque de violer les normes de la sociologie dite "scientifique" et une certaine forme de "neutralité axiologique", nous proposons une analyse de ce que les témoignages nous suggèrent pour combattre le nouveau racisme et l’absurdité daltonienne qui pérennise le privilège blanc » (page 17). « Le but de cet ouvrage est de dévoiler les épreuves de l’humiliation et de l’injuste, de la violence, de la dignité et de la souffrance. Des souffrances difficiles à exprimer, il est important de s’en saisir et les faire parler au nom de ceux et celles qui les endurent. Il s’agit de les politiser et d’en être les porte-voix » (page 19).
Pour son introduction, Rachid Bathoum écrit : « Le but de cet ouvrage est de comprendre au mieux les inégalités raciales et leurs implications sur la santé des personnes racisées. (…) Il s’agit, d’abord d’identifier les formes des violences racistes au quotidien et montrer en second lieu, au-delà des variétés des temps et des contextes, une relative constance dans le mode de fonctionnement de ces violences raciales, de leurs impacts et de l’épistémologie qui les soutient » (page 30).
Le premier texte avance notamment que le racisme est largement subtil, systémique et durable. Il est certainement plus fort lorsque la personne postule pour arriver à un niveau de responsabilités importantes ; on lui interdit de crever un certain plafond de verre d’après ce que nous avons personnellement observé. Rachid Bathoum pensent que les discriminations ne font que entretenir ou exacerber les inégalités injustes en matière de pouvoir, de ressources ou d’opportunités entre les groupes sociaux.
Les personnes du groupe racial dominant « ont la conviction que tout ce qu’ils ont dans la vie (la position hiérachiquedans l’emploi, l’acquisition d’un logement, les postes de travail occupés…) est dû à leurs propres efforts » (page 63). Il y a un déni global du fait que les personnes racisées souffrent régulièrement de leur statut. Les actes ouverts de racisme sont effectivement ponctuels, pour la raison que certains se voient récusés cette qualification. Cet article s’intitule : "Quelques éléments de clarifications et considérations conceptuelle".
Les autres contributeurs sont Tilila Bathoum, Daniel Bizeul, Saïd Bouamama, Sarah Degée, Altay Manço, Abdeslam Marfouk. Ce sont là un médecin urgentiste, un socio-économiste, des sociologues, des psychologues et un économiste. Tous sont belges, à l’exception de Daniel Bizeul actuellement enseignant à l'Université d'Angers et chercheur au CRESPPA de Nanterre.
Ces contributions se nomment : "Est-ce du racisme ? Pour une analyse raisonnée des situations à dimension raciale", "Au fond de la classe : discrimination systémique des jeunes issus de l’immigration à l’école belge francophone", "Regard des Belges sur l’immigration : le verre à moitié plein", "Carrière des discriminés : les dégâts invisibilisés. Charge mentale et coûts humains des discriminations", "Maladie des discriminations ethno-raciales : quelques preuves et arguments épidémiologiques".
Dans tous les cas, il s’agit d’évoquer les multiples conséquences de marques de rejet qu’ont subi depuis souvent leur enfance les personnes interviewées. Les situations évoquées sont analysées dans un langage abordable et à la fin de chaque texte, on renvoie à des références d’ouvrages de niveau universitaire afin que le lecteur le désirant puisse prolonger la réflexion avec de nouveaux outils.
Le sentiment de malaise perçu, surtout dans l’enfance, renvoie parfois plus aux conditions économiques des parents qu’à un racisme, selon nous. Par ailleurs certains discours pouvant être foncièrement compassionnels peuvent être mal reçus par ceux à qui ils sont destinés, car ils rappellent la situation de marginalité culturelle des intéressés. Ceci est bien illustré page 112 avec un dialogue autour de la difficulté possible pour une fille maghrébine à faire admettre à sa famille qu’elle souhaite faire des études de médecine et un autre où un professeur s’inquiète des répercussions du respect du ramadan lorsqu’on est en pleine période d’examen.
Par ailleurs se savoir soumis à des vexations passées ou à venir crée une fragilité, une poussée d’angoisse et une fatigue. Ceci peut avoir, car nous l’avons personnellement remarqué, des répercussions sur les actions des personnes discriminées. Leur possible erreur vient alors confirmer le statut d’infériorité en matière de capacités dont ils ont été soupçonnés a priori. Cette dimension de charge mentale trouve sa place dans la dernière contribution.
Cette dernière est cosignée par Tilila et Rachid Bathoum, elle ne pointe pas les maladies psychosomatiques pouvant apparaître du fait d’un stress dû à l’atmosphère de travail imposé aux personnes racisées. On y parle des conséquences possibles sur la santé de la qualité des logements et d’accès plus difficile à des soins de qualité sans venir ajouter des exemples d’insalubrité d’appartements (Aubervilliers et Marseille sont deux villes françaises bien connues en la matière) et de niveaux de pollution aujourd’hui facteurs reconnus sur la durée de vie (une comparaison avec le niveau de pollution dans les Yvelines et la Seine-Saint-Denis est corrélé à la sociologie des habitants de ces deux départements parisiens).
Les deux auteurs évoquent longuement les complications cardiovasculaires apparaissant chez des patients d’origine étrangère. Ils appellent à une approche globalisante pour l’amélioration de la santé de ces derniers. Signalons, pour les lecteurs de ce site s’intéressant à la question de la laïcité, qu’aux pages 186-187 on peut voir combien pour des témoins l’interdiction du voile fait ressentir cette laïcité comme un moyen « de lutte contre les religions en général et contre l’islam en particulier ».
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