Avis de Kingsale : "la pierre dans le sang"
Michel et Jacques Guyot, deux frères nés à Bourges après la guerre. Passion de jeunesse : l'équitation. Ensuite, ils sont l'un et l'autre saisis de la maladie de la pierre : il leur faut un château à sauver, puis deux, puis trois, puis quatre et d'autres encore ! Après une première expérience sur un château du XIXe, ils rachètent en 1979 Saint-Fargeau, une énorme bâtisse de brique rose, de cinq ailes autour d'une cour flanquées de six tours, construite au XVe par Antoine de Chabannes et remaniée au XVIIe par Le Vau pour la Grande Mademoiselle (1), habitée ensuite par les Le Peletier (dont le régicide), puis les Anisson du Perron dont descend Jean d'Ormesson, qui a fait de Saint-Fargeau le personnage principal de son roman Au plaisir de Dieu, et confié à l'auteur de ces lignes qu'enfant il passait son temps à sonder les murailles pour essayer de retrouver le portrait de Michel Le Peletier par David que sa fille, fervente royaliste, avait ou caché ou détruit.
Cocasse est le récit de l'entrevue au ministère entre les deux frères Guyot, à peine trente ans, et les responsables de la Culture interloqués mais plutôt contents que des particuliers veuillent se charger de ce fardeau écrasant (p. 78-79). Car sur les deux hectares de toitures, une bonne partie s'est effondrée, le reste fuit de toutes parts. L'escalier d'honneur a disparu et il va falloir le reconstruire entièrement, aucune pièce n'est habitable... Il leur faut des ressources pour financer les travaux. C'est en 1982 qu'ils lancent le spectacle historique avec quelque six cents acteurs bénévoles qui va assurer la renommée de Saint-Fargeau (2) et permettre de restaurer pas à pas le château. Cela ne leur suffit pas : la ferme attenante est mise en vente en 1984 et ils réussissent à convaincre les banquiers de les aider sur ce nouveau pari. Elle sera transformée en ferme pédagogique, une première, et le succès sera à nouveau au rendez-vous. Des chambres d'hôtes sont installées dans le château et ses dépendance, un musée des vieilles locomotives à vapeur voit le jour en 2000, c'était un rêve d'enfant que Michel Guyot concrétise. Comme il le dit : On y va, on fonce, on passe du rêve à la réalité. Les gens adhèrent au projet parce qu'ils perçoivent son dynamisme et son enthousiasme, et en même temps, ils saluent le challenge...
En 1987, après avoir fait une tentative à Ancy-le-Franc au cours de laquelle il y réalise d'importants travaux, Jacques Guyot décide de voler de ses propres ailes et rachète pour lui-même et sa famille le château solognot de la Ferté-Saint-Aubin (3). Il a lui aussi fort à faire car le château a été partiellement incendié. Comme son aîné, il ne se contentera pas de restaurer superbement et d'animer avec ses enfants le château, il lui en faudra d'autres, dont le dernier est Bridoire, en Dordogne. Quant à ses enfants, devenus grands, ils sauveront à leur tour d'autres châteaux... Pendant ce temps, Michel peaufine le spectacle de Saint-Fargeau, si important pour faire vivre le château. Un des plus vivants passages du livre est la succession de gags, volontaires ou non, qui émaillent le spectacle (p. 127-149). Puis il reprend ses acquisitions, Arrabloy, non loin de là, et près d'une dizaine de manoirs, mas, châteaux ou ruines dans le Sud qu'il affectionne, dont Oppède est le plus notable. En val de Loire, il fait une brève incursion en 2012 à Selles-sur-Cher, alors abandonné et pillé, mais le revend devant l'impossibilité de mener de front la restauration de ce château et l'entretien de Saint-Fargeau. Selles est maintenant définitivement sauvé par l'acheteur que Michel Guyot a choisi, un viticulteur de talent, dont le métier offre une animation toute trouvée au site.
Mais sa deuxième grande aventure va être Guédelon, à quelques lieues de Saint-Fargeau, un défi fou, puisqu'il s'agit cette fois de construire avec les matériaux trouvés sur place et les méthodes du Moyen Age un château fort. Il innove une fois de plus en faisant le pari que cette expérimentation archéologique fera avancer les connaissances sur les méthodes utilisées à l'époque, pari largement gagné si l'on fait le compte de la moisson de renseignements obtenus à partir des différentes expérimentations. L'idée a germé dans la tête de Michel Guyot vers 1994. Il a fallu trois ans de recherches préalables en castellologie à l'équipe réunie par lui (Maryline Martin, Nicolas Faucherre et Christian Corvisier, plus l'architecte en chef des Monuments historiques Jacques Moulin) pour parvenir à l'ouverture du chantier, dirigé par Maryline Martin avec Florian Renucci en chef de chantier. On se reportera à la notice wikipedia pour le détail des méthodes utilisées, des métiers auxquels il est fait appel et des matériaux trouvés à proximité ou fabriqués dans les ateliers du chantier (4). Le 3 septembre 2016, Arte a diffusé un reportage sur Guédelon. Fait étonnant, alors que la caméra montrait Saint-Fargeau, on s'attendait à voir surgir Michel Guyot, on a juste revu Maryline Martin qui tenait la vedette. Le père de Guédelon n'a même pas été mentionné. On le savait modeste, mais à ce point !
Laissons-lui au moins le mot de la fin : Cette action, pour moi, c'est la recherche du Beau associée à la sauvegarde du patrimoine, la préservation d'un site unique et exceptionnel, d'une athmosphère, d'un climat, d'une ambiance naturelle qu'il faut perpétuer à tout prix. Quand je suis face à quelque chose de beau, je me dis que ça ne peut pas disparaître ...
(1) http://www.chateau-de-st-fargeau.com/chateau.php
(2) http://www.chateau-de-st-fargeau.com/spectacle.php
(3) http://www.chateau-ferte-st-aubin.com/la-saga-des-guyot/
(4) ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Gu%C3%A9delon
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