Un peuple introuvable: Formons, enfin sérieusement les citoyens

Rappelons que le Bazar de l’Hôtel de ville est connu des Parisiens pour ses campagnes publicitaires sur le thème des moins x % et que l’une fut même chapeautée dans les années 1980 par un "J’en suis toute ristournée".

Alain Pintureau est psychosociologue de métier. Il commence par pointer que tous les hommes politiques appellent à redonner la parole au peuple et se centrer sur les aspirations des classes populaires. On est même surpris de voir David Lisnard, maire Les Républicains de Cannes depuis 2014 mais il est vrai aussi président de l’association des maires  France depuis 2021, constater le 30 août 2023 que les enfants n’échappent pas à la pression identitaire du fait que la carte scolaire enferme les moins nantis, sans faire pour le moins du monde allusion à la concurrence de l’enseignement privé.  

Alain Pintureau se donne dans ce livre pour objet de « faire comprendre les mécanismes d’éloignement de la vie politique des citoyens les moins nantis (matériellement et culturellement) et les raisons d’évolution de leur nombre » que « le sujet est la définition d’une stratégie pédagogique par les partis politiques et les gouvernements, permettant de produire un désir et des moyens suffisants pour inciter à l’action politique », que « l’objectif est d’encourager concrètement les lecteurs à utiliser les méthodes d’animation qui renforcent la liberté de pensée et d’expression… tout au long de la vie » (page 10).

Par la suite l’auteur relève notamment la forte abstention aux élections (encore plus prononcée chez les jeunes), que selon un sondage les êtres humains ne sont pas le fruit d’une longue évolution selon 71% des musulmans et 27% de l’ensemble des jeunes français. Il note aussi que plus d’un tiers des moins des 35 ans serait favorable au port du voile dans l’espace public, ce qui ne veut rien dire d’ailleurs car évidemment par exemple une patiente peut venir voilée dans un hôpital. En fait Alain Pintureau en vient à dire que l’identité civique est en sérieuse perte de vitesse.

Notre auteur rappelle que le président Macron avait prétendument un projet fou d’émancipation des personnes et de la société et invite à regarder ce qu’il en ait découlé dans les faits, en matière d’exemplarité. Alain Pintureau se limite prudemment aux relations étrangères en évoquant une légion d’honneur décerné Narendra Modi qui a réduit drastiquement les libertés des médias dans son pays (et ajouterons-nous encourage un discours de haine des Hindous envers les musulmans).

En entrée du second chapitre, notre auteur rappelle que Gérard Collomb en 2018 souhaitait des populations qui ne soient ni face à face ni côte à côte en France. Il y a un risque tant de communautarisme que d’affrontements entre catégories sociales. Plus avant, Alain Pintureau liste les valeurs de la droite politique et du PS (selon sa charte de 2014) et relève qu’Emmanuel Macron restait dans le vague en parlant de bienveillance (ce qui a en plus un aspect de condescendance). Pour notre auteur se dégagent des aspirations de justice, respect, solidarité, autonomie.

Après avoir relativisé tout projet en citant l’Anglais George Box qui, dans son ouvrage The Art of statistics, écrivait que «certes, tous les modèles sont faux, mais quelques-uns sont utiles », il propose de présenter les besoins humains fondamentaux qu’il évoquera ensuite de nombreuses fois par BHF ce qui ne manquera pas d’énerver un certain nombre de lecteurs. Au niveau 1 il place les besoins physiologiques : santé-sexualité, au niveau 2 le besoin de sécurité qu’elle soit matérielle ou psychologique, au niveau 3 les besoins corrélés entre eux d’appartenance, d’être reconnu et de se différencier et au niveau 4 le besoin de réalisation de soi. Ces dernières idées ont été conceptualisées au départ par Jean-Marie Faverge mais révisées par notre auteur. Alain Pintureau pointe un clivage des perceptions politiques au sein de la société française.

Ses remarques ne sont pas d’ailleurs toujours pertinentes selon nous, en effet il n’y a pas contradiction selon nous à être contre le voile et pour l’abaya à l’école, en compagnie de Mélenchon pointé ici (page 69), nous sommes des millions à le penser. Avec un tel exemple, le discours pas tout-à-fait faux de voir le leader de la France insoumise passer de la défense de valeurs (ici le statut des femmes dans la société à une séduction de l’électorat potentiel des citoyens français musulmans, en prend un coup dans l’aile. L’idéologie woke, non sans danger communautariste, « offre un panel de possibilités pour tenter de concilier le puissant besoin d’affiliation dans le groupe des pairs et le besoin d’être reconnu » (page 72). Rappelons que pour Camus « Mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde ».

Les chapitres trois et quatre fourmillent d’idées que nous laisserons découvrir. Ils s’intitulent respectivement "Former à la liberté de pensée pour diffuser réellement le pouvoir politique"  et "Réparer les déchirures du tissu social ? … Mieux intégrer tout le peuple, pour sauver le modèle républicain". Il s’agit de mettre en œuvre des stratégies d’animation destinées à intéresser et implique le peuple dans le débat politique, c’est un appel à une gouvernance pédagogique.

Notons que les problèmes rencontrés à l’école ne sont pas nouveaux.  L’auteur rappelle fort pertinemment que le ministre Jean Zay promulgua le 1er juillet 1936 une circulaire qui avançait que « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements » (page 110). Ajoutons personnellement qu’alors sont visés tracts, fournitures scolaires  ainsi que les insignes politiques.