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Hippocrate initié

Hippocrate initié
Presses universitaires de Rennes349 pages
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Avis de Patricia : "Corps et esprit sont intimement unis dans un rapport étroit (Dr Léon Vannier)"

L’ouvrage est sous-titré Courants ésotériques et holisme médical en France durant l’Entre-deux-guerres. Dans l’Entre-deux-guerres, des docteurs entendent conjuguer  la médecine moderne avec des pratiques traditionnelles revisitées ou des thérapies tenant compte de dimensions ésotériques, psychiques ou physiologiques.  

Le contenu relève des histoires des courants ésotériques, des religions, des sciences et de la médecine.  Dans l’ésotérisme, Léo Bernard classe le magnétisme, le spiritisme, la théosophie et l’occultisme. Le holisme médical se décompose en «  quatre grandes composantes, dont les trois premières peuvent être rattachées aux marges médicales : le naturisme médical, l’homéopathie, les réflexothérapies et le holisme médical "officiel" » (page 23).

Le premier chapitre s’intitule "Végétarisme, naturisme et magnétisme". On peut lire page 29 : « Les prescriptions thérapeutiques de la médecine naturiste, qui englobent conseils alimentaires et recours à des médications mettant en jeu des agents naturels tels que l’eau, l’air et la lumière, ainsi que des recommandations hygiéniques et sportives, n’ont pas attendu le xxe siècle pour être édictées. De même, les conceptions étiologiques des médecins naturistes s’enracinent dans une longue histoire médicale. Baubérot indique que le médecin Théophile de Bordeu (1722-1776) aurait été le premier, dans les années 1760, à parler de "médecins naturistes" ou "imitateurs de la nature" pour qualifier "les médecins qui prennent la nature pour guide ; les observateurs ou les expectateurs". Ces médecins se méfient des remèdes et se gardent de déranger le cours des maladies, car ils prennent acte d’une tendance naturelle de certaines maladies à se guérir d’elles-mêmes ».  

Dans ce chapitre sont développées les idées notamment de « l’abbé Sébastien Kneipp (1821-1897)  [qui] soignait ses malades depuis le milieu des années 1850 par le biais d’un système alliant eau froide, exercices et utilisation de plantes médicinales » (page 32). Ceci nous rappelle  qu’à la même époque la notion d’exercice illégal de la médecine est déjà installée en France afin de permettre de contrecarrer les actions de prêtres ou religieuses. Les tintinophiles liront avec intérêt que le Dr Georges Dujardin-Beaumetz (citoyen français) publie de nombreux articles  dans la revue théosophique Le Lotus bleu, que édite le commandant de marine Dominique-Albert Courmes (1843-1914) pour le compte de la Société théosophique. Est un membre très actif de celle-ci, après la mort des deux précédents, le médecin belge Ernest Nyssens (1868-1956), président de la Société végétarienne de Belgique et directeur de la revue La Réforme alimentaire, publiée outre-quiévrain depuis 1897.

Le second chapitre se nomme "Homéopathie, analogie et typologie". D’entrée Léo Bernard précise que « les homéopathes se reconnaissent dans une formule fondamentale nommée la " loi de similitude " » qui domine leur approche thérapeutique et qui peut être résumée ainsi : les semblables guérissent les semblables et une substance provoquant certains symptômes à doses fortes peut, une fois administrée à doses faibles, voire infinitésimales, soigner un individu souffrant de ces mêmes symptômes. Cependant, il existe presque autant d’homéopathies que d’homéopathes. Depuis le fondateur Samuel Hahnemann (1755-1833), plusieurs dissensions opposent ces médecins entre eux, notamment entre unicistes, partisans du remède unique, et pluralistes, qui n’hésitent pas à combiner l’emploi de plusieurs médicaments homéopathiques pour un même malade » (page 113).

On apprend que le développement  de l’homéopathie,  durant l’entre-deux-guerres dans l’hexagone  doit beaucoup au Dr Léon Vannier (1880-1963), une figure  profondément lié aux courants ésotériques de son temps. Avec  des connaissances homéopathiques, il entend s’intéresser à tous les domaines de la médecine: chirurgie, ophtalmologie, gynécologie, obstétrique, oto-rhino-laryngologie, pédiatrie, psychiatrie.  On retiendra, pris à la page 129 : « Henri Favre a connu son heure de gloire comme physiognomoniste du Tout-Paris, et sa foi en cette science, qu’il mêle à l’étude de la main, repose sur un spiritualisme revendiqué, comme en témoigne le discours qu’il fait tenir au personnage principal des Batailles du ciel (1892), un ouvrage qu’il a coécrit avec sa fille Céline : « "Le corps, on peut l’affirmer sans craindre de démenti, est le tabernacle de l’âme. La forme de ce tabernacle indique quelles sont les aptitudes, les tendances, les aspirations de l’esprit qui le doit habiter. Pour qu’une créature humaine atteigne la valeur physique, la valeur morale, la valeur intellectuelle dont elle est susceptible, il faut qu’on ait, pour ainsi dire, modelé le corps et le caractère de l’enfant suivant les indications que la Providence a gravées sur son visage et dans sa main".  Cette citation résonne avec certains passages essentiels de La Doctrine de l’homœopathie française (1931), publiée trois décennies plus tard par Vannier ».

Ce chapitre est très fourni, toutefois on peut regretter l’absence d’informations autour d’Ignatz Von Peczely, un médecin hongrois, ayant vécu au XIXe siècle, car il est considéré comme le père de l’iridologie moderne. En effet cette discipline, justement sujette à caution, est basée sur l’idée que l’examen de la structure et de la pigmentation de l’iris permet un diagnostic.

L’Église tenta encore une fois de se mêler de médecine au début du XXe siècle puisque le pape Pie XI (1857-1939) lors de l’audience qu’il avait accordée à Fortier-Bernoville (25 sept. 1896 – 9 déc. 1939).  Cette rencontre de 1930 est rapportée ainsi par ce dernier  (médecin de l'hôpital privé parisien  Léopold-Bellan): cette rencontre ainsi : « Le Saint-Père voulut bien nous [les délégués homéopathes français] accorder une audience privée le 3 septembre, et après avoir étendu sa bénédiction sur nos malades, nos familles et nous-mêmes, il nous parla pendant dix minutes dans un excellent français et manifesta sa sympathie pour la Doctrine homœopathique. Il savait, nous dit-il, que les Homœopathes avaient l’habitude de “minimaliser” la matière, ce qui ne pouvait être que conforme à l’esprit du christianisme ; il ajouta que nous étions les médecins du corps, tandis que lui-même avait la charge de soigner les âmes » (page 173).

L’ostéopathie est évoquée dans ce second chapitre, alors qu’elle a des pratiques assez semblables avec des techniques vues dans le chapitre suivant. L'ostéopathie est fondée sur des manipulations manuelles  du système musculosquelettique et des techniques de relâchement myofascial, le but étant de remédier aux troubles fonctionnels du corps humain. 

La raison, pour trouver l’ostéopathie dans ces pages, semble être le rôle joué par le Dr Robert Lavezzari (1886-1977) qui fut d’abord homéopathe. Il y aura une abondance d’articles consacrés à l’ostéopathie dans L’Homœopathie française. En février 1924, dans L’Homœopathie française, il publie un texte visant à faire connaître l’ostéopathie. Pour les fondateurs américains de cette discipline, l’ostéopathe pratique diverses manipulations manuelles  afin d’éliminer d’éventuels obstacles à la bonne circulation du sang,  cette mauvaise circulation empêchant le bon fonctionnement des différents organes du corps humain. Lavezzari est l’un des premiers disciples français de Rudolf Steiner, il adhère donc à la Société anthroposophique dans les dernières années de la Belle Époque.

"Réfléxothérapie, astrologie et radiations" est le titre du troisième chapitre. En 1912, le Dr Jean Vaquier (1888-1951) écrit que la réflexothérapie est une  « méthode générale de thérapeutique par laquelle on guérirait les troubles fonctionnels des organes en agissant sur leurs centres nerveux au moyen d’irritations périphériques » (page 175).

Il s’agit, dans la partie consacrée à la réflexothérapie, d’étudier en particulier le contenu de la revue La Côte d’Azur médicale éditée par le Dr Jules Regnault (1873-1962). Ce dernier est un chirurgien et ancien professeur d’anatomie à l’École médicale navale de Toulon. Adepte de la spondylothérapie, il pense  que différents organes du corps sont en lien avec des vertèbres précisément définies, et la sollicitation artificielle de ces vertèbres permet de soulager le patient. 

La chiropratique est peu répandue en France dans l’Entre-deux-guerres, pour certaines pratiques elle a été légalisée par décret en 2002 en France. Pour celle-ci, les perturbations fonctionnelles du système locomoteur, conséquences neurologiques des perturbations neuro-musculo-squelettiques, sont localisées sur la colonne vertébrale et le bassin. Ces interférences nerveuses amènent des états douloureux ou des perturbations fonctionnelles, voire organiques, jouant sur l'état de santé général. L’acupuncture est présentée dans ce troisième chapitre car, pour le Dr Paul Ferreyrolles et George Soulié de Morant, il s’agit là d’une  thérapeutique par réflexothérapie.

L’astrologie médicale est  d’abord portée par la traduction des travaux spécialisés de l’homéopathe anglophone et ottoman Megher Duz (1852-1912) où on reconnaît d’ailleurs une certaine influence du médecin français Papus (1865-1916) et d’Alfred John Pearce (1840-1923). L’influence des taches solaires,  sur les accidents aigus des maladies chroniques, sont des objets d’étude de la part des docteurs Gaston Sardou (1859-1943), Maurice Faure (1871-1948), de l’astronome Joseph Vallot (1854-1925) et Paul Carton (1875-1947). Ce dernier est médecin-assistant à l'hôpital-sanatorium de Limeil-Brévannes, partageant des opinions politiques et sociales proches de celles de l’Action française,  et très lié à l’officier de marin Georges Hébert (rénovateur de l'éducation physique civile) qu’il conseille.

Le médecin nantais Julien Bretéché (1900-1961) publie en 1935 Astrologie psychologique et médicale où il écrit : « Pour nous les particularités du corps physique, la modalité des réactions physiologiques, la nature des instincts, les traits saillants du caractère, l’agencement de l’intellect, ne sont pas unis entre eux par des rapports de cause à effet, mais seulement par des rapports de coïncidence dus à l’identité des radiations cosmiques qui déterminent à elles seules toute la personnalité innée » (page 293). La Côte d’Azur médicale, à partir de 1926 est le principal organe de l’astrologie médicale.

Le quatrième chapitre a pour nom "Holisme, christianisme et tradition". On se reporte à la page 21 pour comprendre de quoi il s’agit.  « À partir du xixe siècle, une attitude nouvelle se développe, stimulée entre autres par les travaux de Louis Pasteur (1827-1895) et sa découverte des microbes. Elle met en exergue l’influence néfaste d’éléments extérieurs à l’organisme dans le processus de la maladie, renforce les liens de la médecine avec les sciences naturelles et compartimente le corps humain en autant de spécialités médicales. À partir de cette période, le holisme médical désigne plus spécifiquement le corps des médecins s’opposant à cette tendance et à ce qu’ils considèrent comme ses excès : ils entendent maintenir une vision du corps humain, de la maladie et de son traitement qui ne coupe pas les ponts avec leurs prédécesseurs. Or, ces médecins se trouvent aussi bien au sein de la faculté que parmi les marges du milieu médical, et le holisme médical a donc cet avantage qu’il permet d’englober sous une même étiquette certains représentants de la médecine " académique" (professeurs de faculté, membres de l’Académie de médecine) et des  "francs-tireurs de la médecine" (médecins diplômés qui ne se rattachent pas aux principales institutions officielles) ».

Le docteur René Biot (1889-1966) fonde l’Institut lyonnais d'endocrinologie et de psychologie en 1936. Pour ce dernier, médecin catholique, le docteur n'a pas à soigner spécifiquement un organe ou une maladie, mais il doit s’intéresser à un être humain dans sa globalité: corps, psychisme, travail, famille, milieu social. Il s’est d’ailleurs spécialisé dans l'endocrinologie, une discipline où pn se penche vers des mécanismes subtils qui règlent le fonctionnement de l'organisme où le psychisme joue une certaine part.

En 1915, au sein de l’ambulance-laboratoire du Rond-Royal,  Biot devient  le collaborateur d’Alexis Carrel qui a reçu le prix Nobel de médecine en 1912. Il s’en suit des échanges durant près de trente ans. On doit à Alexis Carrel, non seulement des idées eugénistes, mais aussi un ouvrage sur La Prière et ses effets curatifs et un livre L’Homme, cet inconnu où il déclare croire en la télépathie. Selon lui, le médecin généraliste doit tenir compte « à la fois la physiologie et la médecine, les lois de l’hérédité et l’influence du milieu, de la psychologie et la mystique » (page 269).

Dans sa conclusion, l’auteur énumère les nombreux points (l’eugénisme, la psychanalyse, la radiesthésie, la sociabilité maçonnique, la place des femmes …) qu’il n’a pas traités dont le mouvement d’opposition à la vaccination sous l’impulsion notable du docteur Paul Chavanon (1898-1962), appliquant l'homéopathie à l'ORL, est le leader en France.

On relèvera, tirées de la page 320, ces phrases : « L’essor du holisme médical a forcément été permis par une forte demande populaire, qu’il vient d’ailleurs alimenter. Le rôle joué par ces patients, qui peuvent également être médecins, dans le développement de ce milieu médical comme dans l’influence exercée par les courants ésotériques sur celui-ci, mériterait d’être approfondi : la doctrine médicale de Léon Vannier n’aurait pas été la même s’il n’avait pas eu pour patiente Céline Bessonnet-Favre. De même, les croyances religieuses et spirituelles les plus diverses auxquelles adhèrent ces patients ont pu se voir renforcées à la suite de leur expérience avec un ou plusieurs médecins holistes, dont certains ont appliqué des connaissances relevant de l’ésotérisme médical sur leur personne. À l’inverse, cette application s’est probablement le plus souvent opérée sans qu’ils n’en aient même conscience, et la présence des courants ésotériques dans nos vies se dévoile alors devant nous, dans toute son ampleur ».

Léo Bernard a pris grand soin de fournir un index des noms de personnes et une bibliographie très conséquente. Cet ouvrage est une adaptation d'une thèse, soutenue par notre auteur, qui a été couronnée par l'Institut maçonnique de France.

 

 

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Patricia

Note globale :

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