Avis de Patricia : "Des idées saugrenues sur des comportements jugés aberrants"
Cet ouvrage était sorti dans une édition plus onéreuse il y a quelques années. Dans l’introduction, il est rappelé à travers le cas de l’épilepsie que l’interprétation des causes d’une maladie, a fortiori liée au fonctionnement du cerveau ou au psychisme, souvent renvoyait autrefois à l’action de démons. Toutefois dès l’Antiquité, certaines individualités se détachent du discours dominant et ainsi Hippocrate rejeta l’idée que l’épilepsie était un châtiment des dieux. Il écrivit à ce propos : « La maladie dont il s’agit ne me paraît pas plus divine que le reste... La vérité est que le cerveau est à l’origine de cette maladie, comme de toutes les autres très grandes maladies ».
Il est aussi précisé que l’étiquetage d’un état psychique dépend des références culturelles de celui qui le pose. Les troubles comportementaux des enfants nés hors mariage étaient perçus dans l’univers médiéval, comme une marque de folie liée à leur origine et non au rejet dont ils avaient soufferts. L’auteur avance d’autre part page 11 que la dépression n’existait pas à cette époque car « on pensait que la vie, le passage sur terre, était une vallée de larmes ».
D’autre part, en l’illustrant par certains exemples Boris Cyrulnik avance que nombre de découvertes ont servi de modèles d’explication ou de résolution au problème de la folie (page 19). Les psychiatres choisissent une grille de lecture et c’est à partir d’une des nombreuses théories explicatives des troubles ou du développement du psychisme qu’il raisonne. Il conclut que « L’objet psychiatrique est beaucoup trop hétérogène pour être expliqué par une seule discipline. Depuis Nabuchodonosor, toute explication a été tragique chaque fois qu’elle a été totalitaire. Mais quand elle est artisanale, elle aide à comprendre » (page 27).
Une douzaine de chapitres s’attaque à une dimension particulière de la question. Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine en ont rédigé chacun un et les autres sont proposés à chaque fois par un nouvel auteur. André Giordan livre une réflexion épistémologique, ce qui le conduit à passer en revue son histoire et en particulier son dévoiement par des régimes totalitaires mais aussi le contenu du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (désigné par DSM du fait qu’il se nomme Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders).
Les diagnostics et les traitements des obusés de la Première Guerre mondiale font l’objet d’un chapître, rappelons qu’il s’agit des soldats traumatisés par l’enfer du front (artillerie et combats d’infanterie). La question de l’addiction à l’alcool, un sujet qui n’apparaît qu’au XIXe siècle car auparavant on parle d’ivresse et ivrognerie en tant que vices.
Les rapports qu’ont entretenus la psychiatrie avec la religion (notamment l’islam) sont esquissés. Parmi les autres sujets, on apprécie la lecture faite par la médecine chinoise des maladies psychiques. Des thérapies de choc sont évoquées, parmi celles-ci on trouve l’électrochoc et les emploi du camphre, du cardiazol ou de l’insulinde. La question de l’avenir de la psychiatrie est posée notamment en lien avec l’usage des technologies nouvelles.
On retiendra ces citations:
« Pendant que la psychiatrie étend son emprise au delà de ce qu'elle sait faire, et vers qui n'en a pas besoin, ses moyens se réduisent comme peau de chagrin dans l'ensemble des pays industrialisés ».
« La psychiatrie souffre d'être la seule spécialité à traiter une part conceptuelle du corps humain qui flirte avec la métaphysique. son défi majeur pour l'avenir est alors de décider ce qu'elle doit vraiment traiter : le cerveau? esprit? la société? tout à la fois? et jusqu'où? ».
Pour connaisseurs Aucune illustration