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Quand les juges disent la laïcité

Quand les juges disent la laïcité
Larcier Intersentia334 pages
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Avis de Benjamin : "Multiples facettes de la laïcité dans les sociétés belge et française"

L’ouvrage est sous-titré Perspectives belges et françaises. Il est le fruit d’un colloque organisé à l’Université Saint-Louis-Bruxelles les 19 et 20 mai 2022 et intitulé Le juge garant de la laïcité, mais laquelle ? On trouve là des contributions de Xavier Delgrange, Luc Detroux, David Koussens, Hélène Lerouxel, Michel Leroy, Chrisrine Pauti, Claude Proeschel, Marie-Françoise Rigaux, Florence Rochefort, Caroline Sägesser, Bernard Stirn, Vincent Valentin, Sébastien Van Drooghenbroeck et Jogchum Vrielink. On trouve là des Belges et des Français mais aussi un Canadien David Koussens de l’université de Sherbrooke au sud-est du Québec.

La première partie entend montrer qu’en l’absence de définition univoque de la notion de laïcité, les juges sont amenés à trancher nombre de situations sujettes à des interprétations opposées. Les contours de celle-ci évoluent d’ailleurs en fonction du changement des rapports qu’un État entretient avec les divers cultes existant à un moment donné sur son territoire. Par ailleurs, un pays peut se déclarer laïque comme la Turquie et limiter la liberté de religion pour des confessions minoritaires. « Pour analyser si et à quel degré un État est laïque, il faut plutôt rechercher si les fondements de la laïcité (liberté de conscience et de religion, séparation de l’Église et de l’État, neutralité de l’État à l’égard des conceptions de la vie bonne, égalité morale des citoyen.ne.s) sont effectifs dans la gouvernance politique et juridique » (page 20). « Au final, on se rend compte que le législateur ne se contente souvent que d’énoncer des principes, qui à bien des égards peuvent sembler abstraits et imprécis, qu’il s’agisse de la laïcité (quand le mot lui-même est énoncé dans le dispositif juridique), ou de neutralité, de la liberté, de l’égalité, voire même de la Séparation de l’Église et de l’État » (page 21). Le sens final de la règle de droit est du ressort du juge, à partir de ce qu’il trouve dans l’œuvre du législateur ; sont cités ici la présence d’une statue de Jean-Paul II sur la place de Ploërmel (qui n’est pas en Vendée mais en Bretagne) et l’interdiction d’adoption de foulard aux enseignantes d’une école belge. La question de base de la première partie est en conséquence : « Les juges sont-ils donc toujours bien des "garants.e.s de la laïcité" ? Et  si oui ; de quelle(s) laïcité(s) s’agit-il ? » (page 24). Il s’agit donc d’observer comment les juges comprennent la laïcité et voir si leur parcours et leur subjectivité pèsent sur leurs décisions.   

La seconde partie du livre est intitulée "Des enjeux" ; elle est subdivisée entre "Tensions inhérentes aux régimes des cultes en Belgique et en France " ainsi que "Questions spécifiques". On verra que des juges remettent en cause la clarté des lois, c’est toute la dimension de l’interprétation qui est explorée. « De nombreuses juridictions (nationales et supranationales) ont désormais la compétence d’invalider des normes à portée générale [or, dans de tels contextes,] il n’est plus rare que des juges mettent directement en cause la responsabilité du législateur lui-même » (page 25).

La première contribution revient sur les allers-retours entre Conseil d‘État et législateurs autour du port de signes religieux à l’école. En Belgique, autour du même sujet, ce sont Conseil d‘État et Cour constitutionnelle qui ont joué au ping-pong. On retiendra que c’est le législateur qui a le dernier mot, les décisions des juges sont temporaires. Outre-Quiévrain, la Cour constitutionnelle a considéré que les expressions diverses cultuelles  étaient un élément du droit à l’épanouissement culturel et social.

Le second texte pose la question de la neutralité du juge face au fait religieux en particulier lors d’audiences et jugements. Le cas de Mayotte est exposé, en signalant notamment que si depuis 2010 les juges cadiaux sont congédiés, par contre en matière civile on peut être jugé soit selon le droit musulman soit par le droit commun et que par ailleurs la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école n’est pas appliquée.

Suivent  quatre témoignages de juge. Le premier déclare que la laïcité est un concept simple qui suscite des débats vifs et des jugements largement critiqués. L’un d’eux montre que la Belgique est plus en situation ne neutralité inclusive que de laïcité. Un autre évoque, à travers de nombreux exemples, le fait que la laïcité française est en construction constante. Sont signalés là en particulier le maintien de régime d’inspiration concordataire dans certains départements d’outre-mer et de métropole, l’interdiction à un prêtre de se présenter à un concours de recrutement de l’enseignement public (ceci depuis 1902) ou la question du port de signes religieux au travail (avec un apport significatif par la loi du 8 août 2016 dite loi El Khomi).  Un dernier écrit expose le rôle de la Cour constitutionnelle belge dans les questions de laïcité (sont évoquées ici parmi d’autres, les questions d’avortement et d’euthanasie), un usage est fait d’elle dans des proportions bien moindres qu’avec le Conseil d’État.

Le second volet propose cinq chapitres, divisés en deux parties : "Tensions inhérentes aux régimes des cultes en Belgique et en France" et "Questions spécifiques".  Vincent Valentin expose les diverses dimensions qu’a prise, selon les époques, la question du subventionnement des cultes en France. Son étude veut « contribuer à la prise de conscience de l’abandon progressif du régime de laïcité libérale établi en 1905, et de nos jours souvent défendu contre lui-même. L’acceptation des subventions n’en est qu’un aspect, bassement matériel sans doute aux yeux des thuriféraires de l’interventionnisme. La prise en charge par l’État de la responsabilité d’une garantie de liberté religieuse réelle est une telle subversion du principe de la séparation que le consensus dont elle semble faire l’objet est la marque indiscutable de la fin de la parenthèse libérale ouverte lorsque le Concordat et le gallicanisme avaient été rejetées » (page 192). Rappelons qu’outre des subventions pour des lieux de culte, l’État permet une aide indirecte par le biais fiscal avec le don aux associations en lien avec une religion.

La contribution suivante propose de faire un historique du régime des cultes depuis l’indépendance belge ; on voit que les cultes bénéficiaires d’une prise en charge de leurs ministres sont au départ deux et à partir de 1835 quatre (catholique, protestant à quoi se sont ajoutés anglican et juif). Les demandes de reconnaissance de culte sont la condition pour une aide financière à une autre religion, au XIXe il n’y a que deux demandes ;  une seule est acceptée (le protestantisme libéral), celle provenant de schismatiques catholiques menés par l’abbé Charles-Henri Helsen est rejetée. L’islam en 1974 et l’orthodoxie en 1985 sont admis dans ce club. Aujourd’hui Bruxelles entend s’appuyer sur les représentants du culte pour enrayer des poussées de radicalisme et promouvoir un vivre ensemble apaisé. Or l’article 21 de la Constitution belge limite drastiquement l’influence étatique sur les cultes. Toutefois la menace de retirer le titre de religion reconnue est un moyen de pression possible et cela a été fait par la Belgique avec la communauté musulmane.

Le dernier segment de la seconde partie de l’ouvrage contient trois textes. Ce sont respectivement : "Les anti-IVG sur la scène judiciaire en France (1994-2020) : quels enjeux laïques, La neutralité du juge devant l’arbitrage opéré par le législateur entre la liberté religieuse et l’émergence d’un droit animalier" (il est question là de l’abattage rituel israélite par étourdissement et non l’abattage rituel musulman par égorgement), "Port des signes convictionnels dans la jurisprudence belge : du bon usage de la jurisprudence strasbourgeoise". 

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

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