Avis de Adam Craponne : "Un passé dramatique et un avenir incertain"
Tigrane Yégavian est diplômé d’un Master en politique comparée spécialité Monde Musulman de l’IEP de Paris et d’une licence d’arabe à l’INALCO. Il s’est intéressé dans le passé aux Turkmènes d’Irak, des turcophones dans leur majorité sunnites, aux minorités de Syrie et Liban, à l’implication de la Turquie dans la crise syrienne, au récent printemps arménien baptisé "la Révolution de velours" (nommée ainsi en raison du peu de sang versé pour renverser le régime en place).
Tigrane Yegavian nous plonge essentiellement au cœur d’une civilisation chrétienne orientale qui se bat pour sa survie même s’il n’oublie pas d’évoquer ou simplement de citer les Mandéens (des juifs restés sous l’influence de Jean le Baptiste), les Shabaks (parlant un dialecte iranien, généralement chiites et vivant en Iraq), les Kurdes et les Yésidis (monothéistes iranophones pour qui le dieu unique a trois émanations). Au Kurdistan irakien et syrien, il semblerait, selon notre auteur, que de nombreuses mesures discriminatoires frappent les Turkmènes, Yésidis et chrétiens de toute obédience.
Tigrane Yégavian commence par rappeler qu’un plus d’un siècle le pourcentage des chrétiens du Proche-Orient s’est drastiquement réduit et qu’il n’y a qu’en Jordanie où leur situation ne relève pas de ségrégation ou de persécution. L’auteur passe en revue la situation des chrétiens dans chaque pays du Proche-Orient, de l’Égypte au sud à la Turquie au nord-ouest et à l’Iraq au nord-est (rien sur les chrétiens dans l’Iran des mollahs).
Il revient sur le rôle protecteur de la France, sans préciser d’ailleurs que ceci remonte aux capitulations et avance ouvertement, que non seulement ils ne furent guère secourus mais qu’en plus ils payèrent le prix de passer pour des agents de l’étranger. Aujourd’hui une très large part de ces populations vit à l’étranger, en Europe occidentale ou Amérique du nord, Amérique latine ou Australie ou en Nouvelle-Zélande. Aussi Tigrane Yégavian s’intéresse au poids de ces communautés dans plusieurs pays (la Suède a déjà eu un ministre membre de l’Église syriaque orthodoxe), à la façon dont elles maintiennent leurs traditions et à leur avenir.
Un chapitre revient sur l’abandon de la France de son protectorat non officiel (on parle de "zone d’influence" au traité de Sèvres) sur la Cilicie, l’auteur pense que Franklin-Bouillon (avec un tiret qui est oublié ici) a joué la carte turque, sans d’ailleurs préciser que ce radical (d’ailleurs socialement très modéré) a pu être séduit par la dorure laïque du régime de Mustafa Kemal. Comme l’écrit Vahan Portukalian, durant les Années folles, la présence française, en Anatolie méridionale, a irrémédiablement compromis toute coexistence entre musulmans et chrétiens de toutes obédiences. Il faut que nous ajoutions personnellement que la contestation des populations arabes de l'autorité française en Syrie a nettement orienté le devenir de la Cilicie, les maladresses dans l’Anti-Liban ont été soldées en Anatolie.
Tigrane Yégavian s’attarde sur la situation actuelle en Syrie et se demande, si dans le contexte actuel au Proche-Orient, un dialogue islamo chrétien est possible. Dans la conclusion, l’auteur avance que c’est la diaspora qui aujourd’hui est la principale force de ces communautés ; elle doit agir afin de faire des chrétiens d’orient des citoyens à part entière dans les pays à majorité musulmane et surmonter un risque d’acculturation en Occident. On apprécie la carte qui montre les foyers chrétiens persistants, en ce début de XXIe siècle, dans l'espace étudué.
Pour connaisseurs Peu d'illustrations
https://www.franceculture.fr/emissions/chretiens-dorient/minorites-dorient-les-oublies-de-lhistoire-avec-tigrane-yegavian