Avis de Benjamin : "Un passage au gouvernement se terminant par un coup d’état mais laissant de nombreuses séquelles"
Le salafisme souhaite une lecture littérale de l’ensemble des textes de l'islam et donc un retour à l’image qu’il semble porter des pratiques en vigueur dans la communauté musulmane à l'époque du prophète est des califes bien guidés. Il est pleinement le fruit d’un islam sunnite et entretient des rapports très conflictuels avec le chiisme.
Les Frères musulmans sont nés en Égypte dont ils ont été chassés par Nasser et ont rejoint l’Arabie saoudite toutefois s’intéressant aux questions sociales, remettant en cause l’alliance privilégiée de la famille des Saoud avec les USA, ne montrant en conséquence par la totalité adhésion aux décisions royales et tentant de remettre à l’ordre du jours le djihad contre les mécréants dans une perspective tiers-mondiste, les frères musulmans ont dû quitter l’Arabie saoudite. Aujourd’hui il y a donc deux types de salafisme, celui des Frères musulmans soutenu par la Turquie ainsi que le Qatar et celui proche du wahhabisme. Leurs idées de contrôle de la société sont semblables mais les Frères musulmans sont plus en phase avec certains aspects de la modernité.
L’ouvrage montre que les frères musulmans ne sont en rien dans l’origine des Printemps arabes qui ont secoué la Tunisie et l’Égypte. Au sujet de la Société des Frères musulmans, l’apport du fondateur Hassan el-Benna (grand-père de Tariq Ramadan) est capital au niveau de l’organisation. N’est pas à négliger son espoir de nouveau califat, mais plus immédiatement il d’agit « de mener une contre-offensive culturelle à la modernité et d’opérer une réislamisation individuelle, sociale, mais également politique » (page 26). Il faut connaître l’influence de penseurs comme Youssef al-Qaradâwi (dont les livres ont été interdits à Ryad en 2015) qui pense que la charia prime sur toutes les lois s’inspirant des Droits de l’homme.
Joue également un rôle de premier plan de Sayyid Qotb qui évoque « la souveraineté divine absolue de Dieu sur terre, qui s’oppose de manière radicale à la souveraineté démocratique moderne, celle du peuple et des élus. La légitimité des gouvernements repose donc sur leurs continuels application et respect de la loi divine. Ils doivent non seulement être musulman mais adopter le Coran comme Constitution. (…) Pour Sayyid Qotb, toutes les sociétés non musulmanes sont mécréantes. Toutefois, même les sociétés qui se disent musulmanes mais acceptent de se soumettre à d’autres lois que celle d’Allah sont mécréantes ! Ces dernières, malgré leur respect du culte et des obligations religieuses, ne sont pas au service de Dieu l’unique dans l’organisation de leur vie. Par conséquent, un État islamique est loin d’être simplement un État gouverné par des hommes de religion ! La société entière doit se soumettre à la Loi divine et cette société n’existera pas avant que ne se forme une communauté d’hommes décidés à servie Dieu, et Dieu seul, de tout leur cœur. Alors et alors seulement, cette communauté vraiment musulmane sera en mesure d’instaurer une société musulmane et un État musulman. Il faut d’abord convaincre la société avant d’instaurer l’État islamique » (page 67).
Divers chapitres montrent comment, dans les deux pays étudiés, les Frères musulmans s’emparent de larges pouvoirs. Bien vite en Égypte ils imposent des mesures (dont une nouvelle constitution) qui les coupent des autres forces du pays (y compris les salafistes du parti Al-Naour proches du wahhabisme). En Tunisie, Ennahda gouverne dans le cadre de coalitions. En 2014 il s’appuie sur le parti séculier Nidaa Tounes du défunt président Beji Caïd Essebsi et en 2019 son chef historique Ghannouchi accède à la présidence de l'Assemblée nationale grâce à un accord avec le parti libéral Qalb Tounes. Toutefois Ennahda entend porter des projets comme la polygamie ou l’IVG qui rencontrent de larges oppositions, dont celle de M. Batikh mufti de la République. Ce parti islamiste n’a pas mené les réformes sociétales attendues pour une amélioration des conditions de vie des Tunisiens.
Au bout de deux ans en Égypte et de onze ans en Tunisie, un coup d’état met fin au pouvoir des Frères musulmans. La question est de savoir si les présidents Sissi et Saïeb modifie réellement l’emprise de l’islam sur l’environnement de leur population. L’islam, autrefois associé au fatalisme et au mysticisme, porte maintenant l’image de la violence. Le rêve califal des Frères musulmans s’est largement perdu dans les sables des lieux d’action de Daech. Un regard critique sur l’histoire de l’islam, une réflexion sur une possible sécularisation de la société et une tendance à briser les tabous (dont l’apostasie) pointent d’ailleurs plus en Tunisie qu’en Égypte. Certains médias portent ces mouvements. Les annexes, au nombre de douze, traitent de thèmes variés comme les personnalités politiques tunisiennes, une chronologie allant de 2010 à 2021 de la vie politique tunisienne, un discours de Chokri Belaïd à la veille son exécution en février 2013 (le procès de certains de ses assassins ou complices se déroule au début 2024) où il dénonçait les actions des dirigeants d’Ennahdha.
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