Avis de Benjamin : "Arméniens et catholiques ou Arméniens catholiques ?"
L’ouvrage est sous-titré "Une identité contrariée au temps de l’éveil des nationalités (18089-1888)". Du fait de sa situation, toujours entre deux voire trois empires, la situation politique de l’Arménie fut complexe.
Quoique restée fidèle à un christianisme auquel elle se convertit précocement (en 301 après J.C., le christianisme devient religion d'état dans le royaume d’Arménie), son histoire religieuse n’en fut pas moins trouble. Si aujourd’hui si l'Église apostolique arménienne domine très largement en Arménie à près de 90% et auprès des Arméniens résidants en Iran, par contre l’Église arménienne catholique minoritaire dans le pays est très majoritaire dans les états d’émigration (tels la Syrie, le Liban, la France et les USA).
Le concile de Chalcédoine définit en 451 la doctrine christologique : deux natures et une seule personne en Jésus-Christ. Le monophysisme (avec Eutychès) se développa en réaction au nestorianisme, il prétend que le Sauveur n'a qu'une nature divine, sa nature humaine ayant été assumée par sa nature divine. Condamné en 451 au concile de Chalcédoine, le monophysisme ne bénéficia pas des retombées d’efforts de conciliation engagés par l’empereur Justinien pour ramener cette pensée dans l’orthodoxie.
Les partisans de cette doctrine sont à distinguer des miaphysistes affirmant que Jésus-Christ possède une seule nature, à la fois humaine et divine. L’Église apostolique arménienne relève de ce courant de pensée. D’ailleurs le 8e canon du IIIe concile œcuménique, tenu en 553 à Constantinople, rappelle que la formule miaphysite reste légitime dans son interprétation de l’union selon l’hypostase. Chaque personne du Dieu trinitaire est une hypostase substantiellement distincte.
Ainsi l’Église apostolique arménienne n’a jamais rompu les ponts ni avec Rome ni avec Constantinople. Le phénomène des Croisades débouche notamment sur la création d’un royaume d’Arménie en Cilicie qui perdure de 1100 à 1375 (alors que Saint-Jean-d’Acre est tombé aux mains des mamelouks en 1291). Cette principauté, réduite progressivement de taille, a pour derniers souverains notamment des seigneurs descendants de la famille poitevine des Lusignan. La fin de cette principauté est d’ailleurs hâtée par la querelle entre les Lusignan d’un côté qui veulent un rapprochement avec Rome de l’Église apostolique arménienne et d’autre part les Hétoumides qui s’y refusent.
En 1439 le catholicos de l’Église apostolique arménienne dont le siège est à Sis (Kozan aujourd’hui) accepte d’entrer dans la juridiction de Rome, mais cette décision n’a guère de conséquences. La résidence de ce siège catholicossal est fixée à Antélias (près de Beyrouth) depuis 1930, suite à la fin désastreuse en 1920 du protectorat français sur la Cilicie.
En fait la date de rupture est 1740 avec l’établissement du Patriarcat catholique arménien de Cilicie à l'initiative d'Abraham Ardzivian qui prend le titre de Patriarche de Cilicie. Les Turcs, inquiets de cette sujétion à Rome, tentent de limiter, par diverses mesures, l’exercice du culte catholique arménien. Au cours du XIXe siècle, il y a l’échec de trois tentatives d’union entre certains chrétiens arméniens favorables à des liens plus étroits avec Rome et d'autres qui sont hostiles à cette option.
Ce siècle voit par ailleurs une partie de l’Arménie qui tombe dans l’escarcelle russe (donc le siège d’Etchmiadzine établi par Saint Grégoire l’Illuminateur) et la création d’un millet catholique dans l’Empire ottoman en 1830 sur recommandation de la France et avec l’appui de l’Autriche, de l’Espagne et du royaume de Naples.
À travers l’histoire des Arméniens dans l’Empire ottoman au XIXe siècle, ce sont nombre des soubresauts agitant cet empire en déclin qui sont revisités avec notamment les luttes d’influence entre Russes, Français et Anglais sur le gouvernement de La Porte. L’intervention de troupes de Napoléon III en 1860 et 1861, suite à des massacres de chrétiens au Liban et en Syrie, débouche sur l’autonomie du Mont-Liban. Toutefois se produisent de nouveaux troubles à Zeytoun (Süleymanlı aujourd’hui) et Marache en 1862.
Cette résistance arménienne de 1862 marque un renouveau dans le mouvement de libération nationale arménien. Ce dernier manque d’unité pour les raisons diverses que l’on explique ici. Du point de vue de l’évolution de la doctrine de l’Église catholique, on voit que, dans la question de l’infaillibilité du Pape décidée le 18 juillet 1870, les évêques des églises orientales étaient bien divisés. Parmi les prélats favorables, on trouve Mgr Hassoun, archevêque-primat de Constantinople puis Patriarche des Arméniens catholiques, une personnalité clivante au sein de la communauté arménienne.
C’est durant ce concile de Vatican I qu’un schisme arméno-catholique se produit. En effet par la lettre apostolique Reversurus, Pie IX avait essayé d’imposer des évolutions importantes dans l’Eglise Arménienne catholique afin la rapprocher largement des exigences du rite latin. Cet alignement ne fut pas goûter positivement par tous les prélats arméniens. L’action des jésuites et des religieuses dans le domaine éducatif est approchée ; les premiers pratiquent avec outrance le rite latin dans leurs établissements.
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