Avis de Benjamin : "Il y a 500 ans Luther affirme que le salut provient de la grâce de Dieu"
Rémy Hebding est journaliste et il a été rédacteur en chef de l’hebdomadaire protestant Réforme. Alors que les religions doivent relever le défi du fondamentalisme et du ritualisme, il est intéressant de se pencher sur les origines du protestantisme, un mouvement qui a su remettre en cause une institution dogmatique qui aurait dévoyé son message initial.
Rappelons que la fête de la Réformation renvoie au 31 octobre1517, le jour où Luther aurait affiché ses quatre-vingt-quinze thèses ; c’est l’action plus légendaire qu’historique qui a marqué le point de départ de la Réforme. Rémy Hebding, dans son premier chapitre, s'attache à nous montrer entre autre combien l’imprimerie connaît un grand dynamisme ; on verra que cela a deux conséquences contradictoires. La première est le tirage devenu massif des indulgences et la seconde la diffusion des thèses de Luther.
Ceci alors que l’Église se porte mal en ce début du XVIe siècle. Le bas clergé est peu cultivé, pauvre et pléthorique. Les curés titulaires se font remplacer par des desservants qui monnayent tous les sacrements pour survivre. En Allemagne une ville, certes aux conditions exceptionnelles, comme Cologne compte un personnel ecclésiastique qui représente 10% de la population totale (de 50 000 habitants). Luther revient effaré de ce qu’il a vu à Rome où règne Jules II, lors de son séjour en 1510. À la sortie des épidémies de la Grande peste, on reste globalement dans l’image d’un Dieu vengeur. Par ailleurs le Grand Schisme (1378-1417) a ébranlé les catholiques des générations précédentes qui ne savaient plus à quel pape se vouer et craignaient donc pour leur salut. Par ailleurs on assiste au passage d’une vie centrée sur les campagnes à un dynamisme issu des villes où la bourgeoisie est active.
Affichage des quatre-vingt-quinze thèses
Rémy Hebding nous livre ensuite des éléments sur les années de jeunesse de Luther. En 1505 il est devenu moine augustin à Erfut en Saxe. Dans Propos de table, Luther se réclame de l’occamisme mais Rémy Hebding montre que notre théologien fait son marché dans cette pensée, en effet Ockham s'en était déjà pris à l'autorité temporelle du pape dans ses écrits politiques et entendait séparer la philosophie de la théologie. « Si Luther se réclame de l’occamisme, c’est pour une raison liée à un parcours individuel, à sa recherche d’un signe de la grâce de Dieu à son égard et à l’égard de chaque chrétien » (page 60).
Il tire de certains écrits de saint Augustin l’idée d’un Dieu de bienfait et de compassion (page 67), c’est ce père de l’Église qui lui a permis de voir que les tourments de l’Enfer n’étaient pas une chose inéluctable. Luther s’appuie également sur la pensée de Bernard de Clairvaux, dont il retient la nécessité de trouver les capacités d’humilité et de charité.
Rémy Hebding développe le rapport que Luther entretient avec les Écritures puis comment il va rentrer en conflit avec les autorités ecclésiastiques. Il va bientôt dénoncer tous les errements qu’il perçoit dans l’Église catholique tout en s’opposant, en particulier au sujet de l’eucharistie et les images, à la pensée de Carlstadt qui fut son collègue à la faculté théologique de Wittenberg. Rémy Hebding poursuit en évoquant convergences et divergences qu’a Luther avec Thomas Münster (qui puise ses idées dans une tradition apocalyptique) et l’humaniste Érasme (défendant le libre arbitre).
Évidemment on s’attendait à ce que l’auteur nous explicite la position de Luther par rapport à la Guerre des paysans. Il en dit ceci : « Il prêche un Christ souffrant, cédant au pouvoir du méchant. (…) Or, dans ce conflit, Luther rappelle seulement le risque de confusion entre les deux règnes. (…) Pour lui, lâcher pied devant les insurgés – ou leur apporter un soutien manifeste – consisterait à transformer la Réforme en un mouvement social » (page 149). Rémy Hebding n’ajoute pas (mais fait tout pour que son lecteur le pense) qu’en se fourvoyant à soutenir un tel mouvement populaire, Luther perdait le soutien des princes et c’en était fini de la Réforme.
À la fin du dernier chapitre, Rémy Hebding écrit :
« Luther a compris la futilité et la frivolité de tous ces marchandages avec Dieu et sa conscience. (…) La Parole de vie crée des femmes et des hommes animés par l’assurance d’être aimés de Dieu. Ils en ressentent une joie communicable, parée pour la découverte de nouvelles libertés ». (page 171)
Pour connaisseurs
https://www.rts.ch/play/radio/babel/audio/a-table-avec-martin-luther?id=8581646
http://www.24heures.ch/culture/theatre/luther-penseur-bon-vivant/story/28008589