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La religion de la France contemporaine

La religion de la France contemporaine
Armand Colin316 pages
1 critique de lecteur

Avis de Benjamin : "Le fait religieux vu au prisme de la laïcité"

Philippe Portier  cofonde en 2021 La Vigie de la laïcité. Il est directeur d’étude à l’Ecole pratique des hautes études (EHESS) et directeur du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités au CNRS. Jean-Paul Willaime est également membre de ce dernier groupe qu’il a dirigé de 2002 à 2007 ; il a longtemps président du conseil d’administration de l'hebdomadaire protestant Réforme.  Il s’agit d'analyser, dans ce titre, les mutations qui ont récemment touché, diverses dimensions des religions de l’hexagone..

La première partie de cet ouvrage s’intitule "La religion dans l'espace privé", la deuxième "La religion dans l'espace l'espace social" et la troisième "La religion dans l'espace politique". Les cinq chapitres de la première partie sont consacrés aux diverses religions présentes en France, évangélistes, mormons et témoins de Jéhovah compris. Pour la société française, le catholicisme est devenu une « communauté d’interprétation », on est passé d’un catholicisme prescripteur sans grande concurrence spirituelle  vers un catholicisme de proposition et d’accompagnement. On note l’absence des Sikhs qui pourtant ont soulevé des problèmes (le port du turban à l'école publique mais aussi sur les photos d'identité, voir à ce propos https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=716) et des Hindous. « Dans les sociétés sécularisées où l’on a pris l’habitude de confiner le religieux dans les édifices cultuels d’une part, dans l’intimité des consciences d’autre part » (page 95), musulmans et juifs  ont une religion qui impose un certain nombre de prescriptions et donc un mode de vie en distinguant pur et impur. En conséquence leurs adeptes ont pratique d’une plus grande visibilité que les confessions chrétiennes. « Aujourd’hui, c’est plus la question de la coexistence des dieux qui est à l’ordre du jour que celle de leur existence » (page 173).  

Avec la deuxième partie sont approchées les grandes questions  sociétales : bioéthique, écologie, dialogue interreligieux, modèles économiques et engagements sociaux. On sait que le port du voile, du burkini ou de la burqa, du financement et du contenu de l’enseignement privé confessionnel, du mariage pour tous, de la PMA, de la fin de vie ont amené des prises de position d’institutions religieuses allant à l’encontre de certaines lois ou règlements  français.   « Les groupes religieux sont porteurs d’éthique, le devenir des sociétés dans lesquelles ils se trouvent et les problèmes de la vie collective ne les laissent pas indifférents et les incitent à agir (hormis toutes les expressions religieuses qui prônent le retrait du monde et s’abstiennent de participer aux débats sociaux). Ils se sentent particulièrement concernés par les questions relatives à l’éducation, à la paix tant sociale qu’internationale et par toutes les questions relatives à la solidarité avec tous ceux qui, en raison de leur situation de vulnérabilité, risquent d’être marginalisés, voire maltraités (les pauvres, les malades, les vieillards, les handicapés, les migrants, les réfugiés, les enfants, les minorités). Les rapports de genre, la question des violences sexuelles (y compris en leur propre sein), la crise climatique et des ressources énergétiques, les défis écologiques les concernent au premier chef. Les religions peuvent être facteurs de guerre ou de paix, elles peuvent renforcer les inégalités ou contribuer à les réduire, générer des violences ou lutter contre elles, être en phase avec le débat social (par exemple sur les questions écologiques) ou en décalage avec lui (par exemple en matière sexuelle) » (page 133).

Les thèmes identitaires se sont progressivement imposés sur les thèmes sociaux dans le débat public. L’État associe depuis 1983, par le biais du comité consultatif national d’éthique mis en place par François Mitterrand, les différentes confessions à la prise de décision de mesures sociétales. Depuis le vote de  la loi Debré en décembre 1959, la laïcité étatique est passée d’un régime séparatiste à un modèle recognitif. Ceci se fait car l’État se dégage du "faire famille" traditionnel reprenant les conceptions de l’Église en raison de l’avènement d’une "société des individus". Régis Debray est cité au travers de sa question: « Après la religion opium du peuple, devra-t-on considérer demain la “théologie civile du dialogue” comme l’opium des élites ? » (page 173).

La dernière partie traite de la laïcité, du champ scolaire et des militances politiques. «Les autorités civiles et une (…) part de l’opinion publique ont été amenées de plus en plus à admettre que les religions constituaient des ressources utiles pour la paix sociale, et qu’en soutenant les valeurs républicaines, elles se révélaient être des apports précieux pour le "vivre ensemble" » (page 213). Il est rappelé que le Rapport Debray, rédigé à la demande du ministre de l’Éducation Jack Lang et publié en 2002, a pour objet d’introduire l’étude des religions dans la scolarité des élèves et qu’il déboucha notamment sur la création d’une section d’études religieuses au sein de l’Ecole pratique des hautes études (EHESS). En matière de solidarité (domaines sanitaire et social), du point de vue politique (notamment pour la médiation en 1988 autour de la situation en Nouvelle-Calédonie), de conseils en amont d’une décision « l’État associe les forces religieuses à son propre travail de régulation politique » (page 227).

 

Le dernier chapitre de ce volet propose d’analyser la religion dans la société sous l’angle culturaliste avec notamment les idées de Pierre Manent et Rémi Brague, l’angle écologiste avec la pensée de Dominique Bourg ainsi que l’angle délibératif à travers les conceptions de Paul Ricœur et Jean-Marc Ferry. Pour Philippe Portier  et Jean-Paul Willaime, les espérances déçues de la modernité en matière d’augmentation du niveau de vie, d’amélioration de la santé de diminution des conflits armés, d’ascenseur social, de paix sociale débouchent sur un  renforcement des attentes à l'égard des traditions religieuses porteuses d’une espérance infaillible (celle d’un bonheur céleste). Dans cette phase d’ultramodernité, la sécularisation (action de soustraire lois et modes de vie de l’influence des doctrines religieuses) de la société progresse globalement et progressivement, ce qui amène les religions à recomposer ou réaffirmer leurs discours. Ceci se fait alors qu’aujourd’hui un peu plus de la moitié des Français se disent sans religion.  La décatholicisation s’est aussi accompagnée par une grande diversification de l’offre religieuse portée notamment par des personnes issues de familles françaises de l’outre-mer ou de l’étranger habitant très largement au sein des agglomérations de plus de 500 000 habitants. 

« Que faire de la croyance religieuse dans cet univers qui entend ne dépendre que de ses propres raisons ? Pour répondre à la question, les pays occidentaux ont inventé la "solution laïque". Dans sa définition la plus générale [Portier, 2016], celle-ci articule deux grands principes d’agencement. Le premier est d’ordre téléologique : alors que le modèle d’Ancien Régime se structurait autour de l’unité de foi, la solution laïque vise à préserver la liberté publique de conscience de tous les membres de la communauté sociale, croyants et non croyants, dont elle affirme l’égalité juridique. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 signale cette mutation dans son article X, qui apparaît comme le moment inaugural, au plan juridique, de ce nouveau régime d’existence collective : "Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ". Le second est d’ordre instrumental. Pour répondre à l’objectif de liberté, lui-même associé à l’exigence d’égalité, il convient que l’État, qui assure ce qu’Ernest Renan, dans son discours de 1882 sur la Nation, appelait déjà le " vivre ensemble" , se sépare des Églises et affirme sa neutralité à l’égard de toute conception du bien : rien, dans sa conduite des affaires du pays, ne doit faire accroire qu’il serait favorable à telle ou telle position métaphysique ; installé dans la sphère de l’immanence, il doit protéger de manière équivalente toutes les intelligences du monde, sans en rejeter ni en privilégier aucune » (page 215).

Dans leur conclusion les auteurs se revendiquent de « Jürgen Habermas (qui) a tenté, à partir du tournant des années 1990-2000, d’ouvrir une troisième voie, en appui sur le concept de post-sécularisation. Certes, explique-t-il notamment dans Entre naturalisme et religion (2008), les sociétés n’ont pas renoncé au vaste mouvement de dissociation d’avec le récit religieux qui les marquent depuis l’âge classique. Mais par une sorte de réaction face à l’expansion de la rationalité instrumentale et d’une sécularité qui risque de "dérailler", elles redécouvrent l’importance des sources culturelles, y compris religieuses, pour alimenter la solidarité civique et l’universalisme » (page 297).

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

Note globale :

Par - 513 avis déposés - lecteur régulier

513 critiques
05/04/24
ENQUÊTE. Quelle place la religion et la spiritualité occupent-elles dans nos vies ?
https://www.ouest-france.fr/societe/religions/enquete-quelle-place-occupe-la-religion-la-spiritualite-dans-nos-vies-02c49048-ed0a-11ee-a793-3d15ad53aa4e
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