Avis de Benjamin : "L’homme qui a lu la Bible, personne ne l’empêchera ensuite, si on les lui met entre les mains, de lire Voltaire et Renan (Pierre Quillard, Bulletin officiel de la Ligue des droits de l’homme 1908)"
La plupart des contributions ici produites sont le fruit d’un colloque Nouvelles approches de l’histoire de la laïcité française depuis 1905 tenu en 2005. Quelques autres articles sont issus d’un autre colloque tenu dans le même lieu et la même année qui fut intitulé Migrations, religions et sécularisation. Ces projets ont reçu un financement du syndicat USA-éducation et du German Marshall Fund (institution indépendante et apolitique qui a pour ambition de promouvoir les relations transatlantiques, en encourageant un échange d'idées et une coopération accrue entre les États-Unis et l'Europe).
On compte vingt-cinq textes répartis en cinq parties, ces dernières sont respectivement nommées : La loi de séparation et la crise des inventaires (1905-1906), Mise en œuvre et acceptation de la loi de séparation, Laïciser la société, la maladie et la mort, Autour de la question scolaire, La laïcité aujourd’hui. Nous avons sélectionné de présenter la plupart de toutes les contributions mais pas la totalité d’entres elles.
Rémi Fabre revient dans le détail sur les conditions d’élaboration de la loi de 1905. Des dernières lignes, on retiendra que « tous ceux qui ont joué le jeu du réalisme ont obtenu quelque chose. Les ultras de la déchristianisation, en revanche, sont restés sur leur faim, comme les croisés de Dieu et du pape. (…) La loi n’est pas un revolver braqué sur l’Église, mais la République garde les yeux fixés sur elle » (page 75).
Guillaume Tronchet évoque les conditions dans lesquelles se déroulent les Inventaires, et en prolongement Laurent Joly pointe le fait que cette crise des Inventaires permet à l’Action française de s’imposer dans le courant nationaliste au détriment de forces plus anciennes entrant dans une période de fossilisation.
Les affrontements lors des inventaires furent un épiphénomène et assez étonnamment, pour Magali Della Sudda, un grand moment de modernisation de la vie politique avec d’un côté une forte implication de la gente féminine derrière notamment la Ligue patriotique des Françaises (mouvement satellite de l’Action libérale populaire réunissant des catholiques ralliés à la République mais entendant bien orienter cette dernière dans une optique cléricale) et par ailleurs par la massification des méthodes de propagande moderne (tracts, pétitions, appel de la presse à des témoignages ou des tribunes de personnes engagées n’étant pas journalistes…).
Philippe Portier présente l’évolution, sur un siècle, du ressenti de l’épiscopat français vis-à-vis de la loi de 1905. Notons que Mgr Panafieu, archevêque de Marseille à l’orée du XXIe siècle déclarait en 1997 : « La laïcité ne s’identifie pas au néant éthique (…). Elle a besoin de références pour éclairer le comportement des citoyens. Les religions de notre pays – et singulièrement l’Église catholique – avec leur projet sur l’homme (…) auquel elles donnent une valeur d’éternité peuvent devenir les ferments les plus riches d’une "laïcité ouverte" » (page 235).
La question de l’application des principes de laïcité en Algérie et dans les colonies, pour l’Afrique occidentale française est un objet d’étude pour Robert Achi et Simon Duteuil. Pour faire concis, de l’autre côté de la Méditerranée, les oulémas réclament l’application de la loi de 1905 pour pouvoir se dégager de l’interventionnisme de l’administration.
Par ailleurs à Madagascar, une polémique intervient entre le député socialiste SFIO du Rhône Francis de Pressensé fils de pasteur (ce qu’oublie de préciser Simon Duteuil) et président de la Ligue des droits de l’Homme et Victor Augagneur ancien député-maire de Lyon au Parti socialiste français de Jaurès et ayant refusé de rejoindre la SFIO. Ce dernier fut nommé gouverneur général de Madagascar le 3 novembre 1905 où il s'efforce de soustraire les Malgaches à l'influence des missionnaires protestants (perçus comme des agents au service de l’Angleterre) plus qu’à celle des religieux catholiques. Francis de Pressensé s’en offusque et accuse le gouverneur général de n’être pas dans un esprit laïque de respect de la liberté de conscience. C’est Albert Picqué, gouverneur général suivant, qui voit le décret, daté du 11 mars 1913, fixant la Séparation de l’Église et de l’État à Madagascar. Pour avoir une vision complémentaire de cette polémique, porteuse en sourdine de la vision des colonisés qu’a alors la Ligue des droits de l’homme, on se reportera aux pages 287 à 298 de l’ouvrage Francis de Pressensé et la défense des Droits de l’Homme de Rémi Fabre.
La laïcité n’est pas le déni du fait religieux et elle irrigue l’ensemble de l’ordre juridique français toutefois les lois de laïcité ne s’appliquent pas à l’origine dans nombre des possessions coloniales françaises et connaîtront une exception sur le continent européen avec le retour de l’Alsace-Moselle dans le giron français.
Corinne Bonafoux s’intéresse aux actions entreprises par la Chambre bleue horizon pour dans un cas apaiser les tensions avec le Vatican (reprise des relations diplomatiques) et en conséquence avec les évêques français (mise sur pied d’associations diocésaines). Elle passe ensuite aux tentatives du Cartel des gauches de relancer une dynamique laïque. La forte mobilisation de catholiques de tout l’hexagone fit que le Concordat et les lois Falloux furent maintenues de Alsace-Moselle car elles y avaient été préservées par les autorités allemandes entre 1871 et 1918. L’Église de France accepte progressivement la neutralité de l’État mais entendent influencer ce dernier afin que la législation s’inspire de l’esprit du christianisme que porte le catholicisme français.
Marion Fontaine parle du maintien de la culture catholique dans l’Entre-deux-guerres chez les familles de mineurs venus s’installer dans le Nord et le Pas-de-Calais. Séverine Mathieu compare laïcisation des médecines française et anglaise. La notion d’exercice illégal de la médecine s’installe en France sous le Consulat et un peu plus d’un demi-siècle après outre-manche. Cela permet de contrecarrer les actions de prêtres ou religieuses, celles-ci pouvant relever de la délivrance de remèdes traditionnels ou de pratiques mystiques. La culture médicale laïque se renforce au fur et à mesure que la culture hygiéniste se développe. L’Église de France réagit notamment par une forte présence lors de l’inauguration de la statue de Laënnec à Quimper (ce statue étant connu pour sa morale imprégnée de catholicisme) le 15 août 1868, la création de la faculté de médecine catholique à Lille en 1876 et une association de médecins catholiques en 1884. La plus grande réticence des médecins français à remédier à la douleur, jusqu’à la Première Guerre mondiale, par rapport aux médecins anglais, relève d’une culture doloriste empreinte de catholicisme.
Christian Chevandier, en prolongement, raconte les étapes de la laïcisation des hôpitaux français. Il rappelle que les premiers hôpitaux furent fondés par les évêques des royaumes francs sous les Mérovingiens. Les sœurs hospitalières disparaissent et les hôpitaux passent sous la tutelle municipale dans les années de la Révolution française. La Restauration permet le grand retour des religieux dans les hôpitaux, de plus des ecclésiastiques sont présents au conseil d’administration des hôpitaux. Le personnel des congrégations quitte progressivement les hôpitaux, l’expulsion des Augustines en 1908 de deux hôpitaux parisiens marque la fin de ce mouvement de retrait. Émile Combes, en tant que ministre de l’Intérieur (il est alors aussi Président du Conseil), préconise la mise en place de formations d’infirmières qualifiantes. C’est ainsi que la première école d’infirmière, dispensant un enseignement initial, ouvre en 1907 à la Salpêtrière. L’auteur évoque les conditions de la présence des aumôneries. On apprend, en marge du sujet traité, que les hôpitaux ne sont plus réservés aux indigents du fait de la loi de décembre 1941.
Dans le monde médical, le courant hygiéniste porte une morale sanitaire laïque. Dans le domaine des funérailles, malgré le monopole communal des pompes funéraires communales, les traditions religieuses demeurent et un rituel laïque n’arrive pas à s’imposer. Pierre-Yves Baudot conte la progressive laïcisation de la mort entre 1887 et 1904. Trois lois-clés sont exposées, la première est la loi de 1884 qui « interdit toute distinction à raison des croyances du défunt et des circonstances du décès ». La seconde du 15 novembre 1887 laissant la liberté des funérailles civiles ou religieuses en s’appuyant sur des volontés testamentaires ou de la famille. La dernière établit le 28 décembre 1904 le monopole municipal des pompes funèbres, consacrant la perte du monopole des fabriques et consistoires sur la fourniture du matériel funéraire. Mgr Freppel député monarchiste du Finistère et évêque d’Angers se scandalise des décrets de 1804 et de 1804 qui avait accordé ce privilège.
C’est au fur et à mesure que se développent les enterrements civils que l’Église essaie d’obtenir des funérailles religieuses pour des personnes qui ont toute leur vie montrer un grand scepticisme en matière d’existence d’un Dieu, voire un anticléricalisme féroce (illustrons nous-même cela par le cas d’Édouard Herriot). Le discours catholique, entourant toute personne acceptant l’extrême onction, est celui d’une atmosphère de sérénité et d’absence de souffrances dans les derniers moments. L’auteur relève que la femme mariée, ne pouvant alors accomplir aucun acte juridique sans l’accord de leur mari se retrouve là pouvoir décider du caractère civil ou religieux de leurs funérailles. C’est la loi du 8 janvier 1993, portée par Jean-Paul Sueur secrétaire d’État aux collectivités locales et alors maire socialiste d’Orléans qui met fin au monopole communal en matière de funérailles. Cette information est fournie par un article d’Emmanuel Bellanger "La mort laïcisée, neutralisée et rationalisée" qui suit complète le texte de Pierre-Yves Baudot.
Rémy Schwartz montre les conséquences immédiates ou plus lointaines des trois principes fondamentaux portés par la loi de 1905. La laïcité ici posée a affirmé la liberté de conscience, le principe de Séparation de l’Église et de l’État et a permis la libre manifestation des convictions de tous. Il est question là des processions, des sonneries de cloches, de neutralité des services publics et de liberté de conscience des agents publics (notons qu’il faut attendre la fin du XXe siècle pour qu’une personne des trois fonctions publiques se hasarde à porter un signe religieux ou à procéder à un acte religieux sur son lieu de travail)… L’auteur expose les particularités des aumôneries présentes notamment pour les prisons et dans l’enseignement. Il omet de préciser que la circulaire Monory de 1988 prévoit qu’en cas de demande en ce sens des parents d’élèves, la création d’une aumônerie est obligatoire est obligatoire lorsqu’il y a un internat, même si ceux-ci ne représentent qu’un très faible pourcentage de l’effectif total de l’établissement. Certains aumôniers scolaires pénétraient en soutane dans un lycée après le vote de la loi de 2004…
Rémy Schwartz expose les particularités des aumôneries présentes notamment pour les prisons et dans l’enseignement. Il omet de préciser que la circulaire Monory de 1988 prévoit qu’en cas de demande en ce sens des parents d’élèves, la création d’une aumônerie est obligatoire est obligatoire lorsqu’il y a un internat, même si ceux-ci ne représentent qu’un très faible pourcentage de l’effectif total de l’établissement. Certains aumôniers scolaires pénétraient en soutane dans un lycée après le vote de la loi de 2004… De façon plus globale, l’ auteur montre les conséquences immédiates ou plus lointaines des trois principes fondamentaux portés par la loi de 1905. La laïcité ici posée a affirmé la liberté de conscience, le principe de Séparation de l’Église et de l’État et a permis la libre manifestation des convictions de tous. Il est question là des processions, des sonneries de cloches, de neutralité des services publics et de liberté de conscience des agents publics (notons qu’il faut attendre la fin du XXe siècle pour qu’une personne des trois fonctions publiques se hasarde à porter un signe religieux ou à procéder à un acte religieux sur son lieu de travail)…
La quatrième partie s’attaque à une question incontournable celle de la laïcité scolaire qui d’ailleurs évoque, sous la plume de Laurent Besse, un cas qui n’en relève pas à savoir les Maisons des jeunes et de la culture. La conception de la laïcité qui s’y développe suit l’évolution de la pensée de la Ligue de l’enseignement en la matière. Laurent Frajerman nous informe sur les tensions autour de la défense de la laïcité, au sein de la Fédération de l’Éducation nationale.
La question de la scolarisation est le lieu d’affrontement majeur entre les militants laïques et les défenseurs d’écoles privées sous tutelle diocésaine. En 1945 le responsable de la question laïque au syndicat national des instituteurs (principale organisation de la Fédération de l’éducation nationale) est le tourangeau d’origine Paul Delanoue, adhérent communiste depuis 1926. Il a notamment comme mission la création d’un mouvement des Amis de l’école laïque qui débouche sur la création d’une association de parents d’élèves qui prend le nom de FCPE. En décembre 1945, il fut chargé du lancement du Cartel d’action laïque à l’initiative du SNI.
Pour cette période précédant l’entrée dans la Guerre froide, les communistes la lutte laïque est un combat secondaire. « Si Paul Delanoue anime la bataille laïque du SNI, il considère qu’elle doit évoluer et veut la réorienter contre la bourgeoisie, accusée d’abandonner les traditions républicaines. Cela permet à Delanoue, sans sacrifier l’orthodoxie marxiste, de refuser l’idée que le combat laïque soit un dérivatif de la lutte des classes, puisqu’il l’y intègre. (…) Autrement dit, il place la bataille laïque comme un élément d’une offensive d’ensemble pour un régime socialiste en France, objectif du PCF » (pages 468-469).
En désaccord avec la plus grande partie des autres dirigeants de son syndicat (plutôt proches des idées socialistes), il refusa, en janvier 1946, de continuer à diriger la commission d’action et de défense laïque dans le SNI. Il fut temporairement remplacé par l’Auvergnat Jean-Auguste Senèze puis en septembre 1946 par Clément Durand instituteur alors en Mayenne (il enseigna ensuite en Seine-et-Oise). Il s’opposa au décret Poiso-Chapuis du 22 mai 1948 (finalement jamais appliqué) qui prévoyait de donner des aides financières, destinées aux parents des écoles privées, aux associations familiales catholiques. Il fut le porte-parole des analyses du SNI lors des Etats généraux de la France laïque (18 juillet 1948) et présenta un rapport sur la défense de l’école laïque. Pour lui, la défense de l’école laïque ne peut associer des catholiques et des non-catholiques.
Arthur Plaza expose les stratégies du MRP, parti politique démocrate-chrétien, afin de résoudre, à l’avantage de l’Église, la querelle scolaire. Sont évidemment évoquées toutes les lois qui, sous la IVe République et au tout début de la Ve République, renforcent le pluralisme scolaire. Bruno Poucet traite en prolongement de l’application de la loi Debré, de la loi Guermeur, de l’échec du grand service public en 1984, les actions de Jack Lang et François Bayrou, les conséquences de la loi de 2005.
La dernière partie entend poser de nouveaux questionnements : financement public d’églises catholiques, problèmes posés par les sectes au regard de la laïcité, représentation de l’idée de laïcité chez les Français, l’intégration relative de personnes juives ou musulmanes appartenant à diverses vagues migratoires ou étant nées dans l’hexagone.
Si l’importante migration juive, suite à l’indépendance des pays d’Afrique du nord, a été bien gérée dans un premier temps, la question du soutien réel ou supposé aux politiques d’Israël et un renouveau identitaire juif pose aujourd’hui quelques problèmes. Cependant de nos jours par son importance numérique et ses revendications singulières, c’est la communauté musulmane qui vient de plein fouet se heurter aux valeurs laïques. La question des sectes a amené à qualifier certains cultes de sectaires à partir du moment où exploitation, sujétion de membres et non-respect du cadre démocratique entraient en jeu.
Pour connaisseurs Aucune illustration