Qu’est-ce-qu’un islam libéral ?

Omero Marongiu-Perria Omero Marongiu-Perria est un catholique converti à l’islam à dix-huit ans, alors qu’il rentre à l’université de Lille pour des études de sociologie qui l’amèneront à soutenir une thèse intitulée L'islam au pluriel. Étude du rapport au religieux chez les jeunes musulmans dans le Nord de la France.  Il est notamment membre statutaire du laboratoire Centre interdisciplinaire d’études sur l’islam dans le monde occidental (CISMOC)  de Louvain. Baudouin Heuninckx est docteur en droit et ingénieur civil. Faker Korchane a été journaliste pour les questions religieuses et professeur de philosophie, il est iman et co-fondateur de l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite (voir https://mutazilisme.fr/accueil/). Michaël Privot est docteur en islamologie et notamment collaborateur scientifique auprès du Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations (CEDEM) de l’université de Liège.

Le terme "Ijtihâd"  caractérise l'effort des oulémas, muftis et imams (chez les chiites) afin d’atteindre les justes avis juridiques. Le choix possible d’une théologie libérale se fait dans la volonté d’historiciser  les textes de référence. Les quatre co-auteurs entendent s’appuyer sur la démarche rationnelle du mu’tazilisme historique (une école de théologie musulmane qui se définit clairement au IXe siècle à Bassorah et Bagdad) et de l’herméneutique des textes de l’islam puisant dans la démarche historico-critique.  Cette théologie de l’islam entend concilier la religion musulmane et les valeurs héritées des Lumières. Pour les mutazilites, l’homme a un libre arbitre, chaque individu étant responsable de ses actions et de ses choix. En mettant en exergue les notions d’"autonomie"  et de "responsabilité", il s’agit de permettre au musulman de  poursuivre en toute sérénité son propre cheminement intellectuel et spirituel.

Dans un entretien, Faker Korchane avançait que « Concernant le Coran, les mutazilites considèrent qu’il est créé par Dieu à un moment donné et constitue un message adressé aux hommes, mais cela veut aussi dire qu’il tient compte des données de son contexte. S’il est en arabe, c’est parce qu’il a été révélé à un peuple en arabe. L’arabe n’est pas une langue sacrée mais la langue d’un peuple à qui le texte était adressé. Cela veut dire aussi qu’on trouve des éléments qui font référence à des évènements historiques et circonstanciés. On doit donc lire le texte et distinguer ce qui est éternel, ne bouge pas, de ce qui est circonstanciel. Pour ce qui est du rapport à la tradition, à la sunna, les mutazilites insistent sur le fait que la religion se fonde d’aborde sur le Coran. Si une tradition est en contradiction avec le texte coranique, elle doit être rejetée, peu importe la chaine de transmission, le contenu du propos. Ce qui compte par-dessus tout, c’est la cohérence avec le Coran et avec les données rationnelles.».  (voir https://campuslumieresdislam.fr/assets/media/korchane-min.pdf )

Pour les auteurs, ce qui distinguent les courants dits libéraux (ou réformés) de toutes les religions monothéistes par rapport à leurs concurrents conservateurs, c’est le rapport à l’altérité. Les théologiens musulmans ont progressivement intégré des concepts issus de la culture grecque après avoir assimilé des traditions religieuses diverses présentes en Arabie avant la naissance du Prophète. Il est rappelé  nombre de personnalités critiques du champ religieux musulman agirent au XXe siècle afin d’historiciser les textes de l’islam et mettre en débat dogmes et dimensions normatives de cette religion. Malheureusement ils furent parfois ostracisées ou tuées.

Omero Marongiu-Perria propose de décliner une théologie islamique libérale en plusieurs points. Le premier a trait à la contextualisation du message reçu par Mahomet en termes adaptés à la culture de ses contemporains. Le second se porte sur l’historicité du texte coranique qui nous est parvenue. Le troisième porte sur la sacralité du Coran. Le suivant est de faire preuve le plus souvent du raisonnement face aux textes. Un autre est en rapport avec un discours de coercition « qui entrave une relation saine à l’islam » (p. 35). Le Coran n’est pas un texte atemporel et intemporel. Il ne s’agit pas de jouer aux exégètes en faisant dire au Coran qu’il donne une recommandation par rapport à des questions qui nous sont contemporaines et dont les habitants de la péninsule rabique n’avaient pas la moindre idée au moment de l’Hégire.

La seconde partie, rédigée par Michaël Privot, se demande par quels outils du patrimoine religieux lui-même (les Textes fondateurs de l’islam), on pourra conduire à l’élaboration de bases pour un islam libéral. Faker Korchane, pour la division suivante, invite à repérer dans tout discours sur le divin la part humaine. Les discours commençant par "l’islam dit que" ont un contenu pouvant ne renvoyer qu’à une interprétation. Les musulmans ont trop pris l’habitude des discours normatifs alors qu’il pourrait  mener, guidés ou pas, une interrogation continue autour de l’angle  pour aborder un texte afin de le comprendre par eux-mêmes.  Le dernier auteur Baudouin Heuninckx,  invite à réfléchir autour de la question en islam du libre arbitre et de son corollaire la responsabilité humaine. Il est évident que notre présentation est succincte et très réductive. Cet ouvrage pose de très intressantes questions et ouvre de larges perspectives pour une adaptation plus facile de la pratique de l’islam dans un univers contemporain en terre musulmane ou non.

On apprécie une présentation, en une cinquantaine de mots à chaque fois, des penseurs musulmans historiques cités, des grandes figures du mutazilisme, et d’auteurs contemporains ma jours de l’islam libéral. On a également un glossaire des termes issus de la langue arabe.