Avis de Benjamin : "Illusion que l'homme, en tant que démiurge, peut parvenir seul à se rendre pleinement maître de son destin (Jean-Paul II)"
Dans l’introduction, Olivier Camy rappelle qu’aujourd’hui certaines communautés de croyants font passer une loi, qu’elles qualifient de divine, devant les lois de la société dans laquelle ils vivent. « Au bout du compte, il semble que loi divine et loi démocratique, foi et raison soient entrées en conflit à la faveur de ce qu’on appelle généralement le "retour du religieux" ou encore sa "radicalisation" » (page 8).
Il s’agit ici de présenter après une petite dizaine de contributions. La première évoque les capacités législatives en terre d’Islam. Sans l’équivalent d’un pontife, l’établissement de la loi à partir d’interprétations du Coran suit des chemins divers. Le pouvoir politique s’appuie sur les autorités religieues pour gagner en légitimité. Le Calife al-Ma’mûm cherche à imposer en 827 la doctrine du Coran créé, toutefois un de ses successeurs al-Mutawakkil rejette une vingtaine d’années plus tard le mutazilisme pour revenir à l’idée du Coran incréé (ce qui réduit considérablement la place du raisonnement rationnel dans son interprétation). On ne s’appuie plus ensuite sur le seul Coran, mais on se réfère également à la Shari’a (progressivement mise en place prenant place sous le gouvernement des omeyyades et des abbassides). On retendra qu’alors que la législation du monde de tradition chrétienne a pour but « d’assurer la paix civile, à l’intérieur d’un cadre étatique, et, par-là, de garantir des droits des individus (à la vie, à la propriété, etc.), sujets ou citoyens, le but éminent de la loi islamique est d’abord et avant tout de permettre à tout musulman d’obtenir le salut éternel » (page 28).
Le second texte traite de la comptabilité et de l’incompatibilité entre les préceptes religieux et la législation civile pour l’Égypte. Dans ce pays il y eut deux vagues de sécularisation la première sous le règne de Mahammad Ali (ou Méhémet Ali) au début du XIXe siècle et une seconde avec le président Nasser (au milieu du XXe siècle). Le quatrième document parle de la situation en Israël où « la question de la relation entre société et religion soulève au moins deux problèmes distincts : le premier est d’ordre politique, celui des rapports entre l’Église et l’État ou encore la question d’une religion officielle, prise en charge par un État, ou plus généralement la séparation des pouvoirs entre État et institutions religieuses. Le second problème est culturel et concerne la place des symboles, traditions, coutumes d’origine religieuse au sein de la culture et du droit d’un État moderne séculier » (page 76). Il est noté qu’en matière de mariage et de divorce, on doit avoir recours aux tribunaux religieux (selon la confession des intéressés).
La troisième contribution, cosignée de Frédéric Charlin et Isabelle Moine-Dupuis, expose les contradictions en matière juridique sous la Restauration. En effet la Charte maintient les acquis fondamentaux obtenus par la Révolution et jette les bases d’un régime constitutionnel inédit. Elle concilie tant bien que mal le "droit divin" hérité de l’Ancien Régime, le socle des principes de 1789 (libertés politiques et économiques) et l’héritage institutionnel et administratif de l’Empire. La Restauration, qui n’est pas précisément réactionnaire, associe plutôt le conservatisme moral au libéralisme politique. La Charte fait référence à "la divine Providence" du catholicisme, le roi de France est un monarque qui "octroie" à ses sujets, le drapeau national reste blanc à fleurs de lys » (page 48). En abolissant le divorce par la loi du 8 mai 1816, en rétablissant en 1819 et en 1822 le délit d’outrage à la morale et la religion (le délit de blasphème n’existait plus en France depuis que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), en posant une loi sur le sacrilège en 1825, ainsi qu’en maintenant le Concordat napoléonien, ce régime va plonger le pays dans un univers d’affaires juridiques parfois en lien avec la persistance de l’usage du Code civil.
La cinquième contribution porte sur la laïcité au pays du soleil levant, un pays qui passe à la fin des années 1940 d’un régime où l’Empereur est un dieu à une constitution plus ou moins laïque. La sécularisation est combattue par la droite qui entend présenter certains rituels shintoïstes comme des coutumes et laisser des offices religieux se dérouler dans les sanctuaires et en particulier celui de Yasukuni (où sont déifiées les âmes de plus de deux millions de soldats japonais morts de 1868 à 1951, y compris celles de criminels de guerre).
Le texte suivant rapporte certaines idées de Léo Strauss et pose la question de l’inadaptation des intégristes musulmans à l’esprit du Coran et de la Shari’a. On retiendra particulièrement que « l’intégrisme choisit ici de se référer sans le dire à un corpus interprétatif ancien (en général le corpus des VIIe au IXe siècle selon Jacques Berque). Ce corpus est dès lors figé, transformé en loi positive au risque de l’archaïsme, "en se privant des possibilités de l’Islam originel " » (page 110). L’auteur conclut, en s’appuyant sur Al-Fârâbi, que des gouvernements fourvoyés falsifient le message religieux en pointant les régimes intégristes ou fondamentalistes.
L’avant-dernier dernière contribution se donne pour mission de réactualiser l’impact de l’ouvrage de Kant intitulé La Religion dans les limites de la simple raison. Au cours de son article, il cite de nombreux auteurs tels Pierre-André Taguieff, Jean Birbaum, Olivier Roy, Ernest Bloch, Levinas et Descartes. Il conclut : « rechercher Dieu dans le monde, c’est donner des gages au surnaturel et à la superstition. Cette recherche d’un Dieu dans le monde définit le numineux, le sacré, signant un registre sans altérité et, comme on le trouve également chez Girard, une violence qui se paie du prix de la forclusion de l’altérité et qui, s’ignorant elle-même est le contraire exact de la sainteté » (page 124). Pour comprendre mieux la portée de ce texte, on se référera à la conclusion de l’ensemble de cet ouvrage. Olivier Camy avance ici que Alain David pense à une « religion (qui) participe de la Raison morale, de sa loi qui, selon Kant, relève d’une certaine foi, d’un appel vers la liberté supposant une sortie du monde » (page 148).
Le dernier texte revient sur l’encyclique Fides et ratio publiée le 14 septembre 1998 par le Vatican. Jean-Paul II. Le contenu, en pointant l’apport prépondérant de saint Thomas d’Aquin, cherche à éclairer les hommes sur les différents courants philosophiques qui ont traversé les sociétés occidentales lors des derniers siècles. Le pape espère en une nouvelle dynamique entre raison et foi. Dans la conclusion de l’ensemble de cet ouvrage, Olivier Camy écrit que là C. Trottman démontre que pour le pape polonais « la foi catholique est indissociable d’une recherche de la vérité, que la sagesse biblique s’appuie sur une délibération rationnelle, même si à la fin "la raison butte (…) sur la croix, la souffrance rédemptrice de l’innocent" » (page 148).
Le sommaire est composé ainsi :
· Introduction
· Sharīʿa : aperçus sur un concept
· D’une codification l’autre. L’appel à la loi islamique médiatisé par la raison politique
· La religion d’État dans le droit pénal (et accessoirement civil) moderne
· Embrasser ou rejeter la loi divine ? La présence insaisissable de la loi divine en Israël
· Le principe de laïcité dans la Constitution japonaise
· Le conflit religion/raison à l’époque des simulacres
· Le religieux dans les limites de la simple raison
· Originalité et enjeux de l’encyclique Fides et ratio
· Conclusion
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