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La laïcité: histoires, théories et pratiques

La laïcité: histoires, théories et pratiques
Hermann et Kala117 pages
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Avis de Benjamin : "La laïcité n’est pas une opinion mais la liberté d’en avoir une"

Dans sa préface, Daha Chérif Ba, professeur de l’université de Dakar, rappelle les trois principes de la laïcité : liberté de conscience et manifester ses opinions dans le respect de l’ordre public, séparation des institutions politiques et organisations religieuses avec non-reconnaissance et non-subvention des cultes, égalité de tous devant la loi. Il en tire un certain nombre de conséquence dont le fait que la laïcité n’est pas une opinion mais la liberté d’en avoir une.

Avec l’introduction, on apprend qu’une Déclaration universelle sur la laïcité, a été rédigée pour le centenaire de la loi de Séparation à l’initiative du Français Jean Baubérot, de la Canadienne Micheline Milot et du Mexicain Roberto Blancarte (la découvrir ici https://www.lemonde.fr/idees/article/2005/12/09/declaration-universelle-sur-la-laicite-au-xxie-siecle_719649_3232.html).

Daha Chérif Ba revient sur l’histoire grecque antique pour pointer que le religieux et le politique ont largement été liés dans l’histoire, et se retrouvent dans la dimension du lien social. Les Pères de l’Église reconnaissent l’égalité de tous devant Dieu sans pour autant réclamer la fin de l’esclavage. Il y a donc un ordre poral égalitaire dans le domaine religieux et un ordre civil inégalitaire.

Pour Marsile de Padoue  (1275-1342), un médecin et théoricien politique « l’homme a deux destinées avec la chute originelle : une qui est personnelle liée à son salut éternel, et une autre idée à la paix civile, donc à l’organisation de la communauté humaine, qui est le bonheur humain terrestre depuis qu' « il a cette autonomie avec le libre arbitre. C’est pourquoi, il distingue, en référence à ces deux destinées sur le sort individuel et le sort collectif, la morale religieuse axée sur l’individu avec l’Évangile et la morale politique ou morale naturelle (pour nous la politique tout court) axée sur l’organisation sociale telle que l’établit la conception aristotélicienne. C’est d’ailleurs ce qui l’a amené à distinguer le domaine de la foi de celui de la raison et à rejeter toute vassalisation de la dernière pour la première contrairement à saint Augustin » (page 29).

Rajoutons personnellement que Le Défenseur de la paix qu’il rédige avec Jean de Jeandun est dédié à l'empereur Louis de Bavière.  Terminé en 1324, cet ouvrage est utilisé dans les années qui suivent par ce dernier dans son conflit avec le pape Jean XXII. Marsile rédige d’autres ouvrages dont le De iurisdictione imperatoris in causis matrimonialibus (De la juridiction de l'empereur dans les causes matrimoniales) qui sert à montrer que l'empereur était armé du droit de statuer sur le divorce de Jean de Luxembourg dit l’Aveugle (tué à la bataille de Crécy en 1346) car c'est une des choses qui tombe sous la puissance de la loi humaine. S’appuyant sur l’Évangile, Marsile avance qu’en matière des affaires civiles, les détenteurs du pouvoir religieux ne doivent avoir aucune mainmise.

Notons de notre propre chef que cette querelle entre l’Empereur et le pape suit de peu d’années le règne (1285 à 1314) de Philippe le Bel qui écrit « Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface, soi-disant pape, peu ou point de salut. Que ta grande fatuité sache que nous sommes soumis à personne pour le temporel ». Philippe le Bel limite d’ailleurs le rôle des tribunaux ecclésiastiques, ceux-ci ne devant plus juger que des affaires concernant les clercs et encore les clercs criminels pris en flagrant délit sont justiciables des cours séculières. 

Malick Diagne poursuit en citant les travaux de l’Anglais Guillaume d’Ockham (1285-1247). « Selon lui, le rôle de l’Église étant exclusivement de favoriser le salut des âmes, elle ne doit avoir aucune prétention à exercer un quelconque pouvoir politique » (page 30). L’auteur expose d’autres pensées et d’autres moments de l’histoire européenne de la sécularisation, telles les années de gouvernement en Angleterre de Cromwell et évidemment l’époque des Lumières et celle de la Révolution française. Il remonte jusqu’à l’époque contemporaine à travers notamment la pensée de Marcel Gauchet.

La deuxième partie commence à la page 51 et est particulièrement originale car elle permet de faire le tour de la conception de la laïcité et de la sécularisation dans divers pays. Près d’une vingtaine de pages concernent la France. Si on passe vite par exemple sur les cas de l’Allemagne (ou une loi réprimant le blasphème existe toujours et où le contribuable indique quel culte il entend soutenir financièrement), de la Suède (avec en 1995 le vote d’une loi réalisant une certaine séparation des religions et de l’État)  ou de la Belgique, on a des focalisations de quelques pages sur le Sénégal, la Tunisie, la Turquie, les USA.

La république du Sénégal est depuis l’origine qualifiée de démocratique, sociale et laïque. Elle compte une majorité de musulmans à savoir 97%, à côté de 3% de chrétiens et l’animisme cohabite chez certaines personnes avec les deux religions citées.  En 1963 le président Léopold Senghor déclare de façon significative : « Laïcité, pour nous, n’est ni l’athéisme, ni la propagande antireligieuse. J’en veux pour preuve que les articles de la constitution qui assurent l’autonomie des communautés religieuses. Notre loi fondamentale va plus loin qui fait de ces communautés les auxiliaires de l’État dans son œuvre d’éducation, de culture » (page 82).  Dans ce pays, des chefs religieux ont pu aider à déjouer des crises. Le Président jure le respect de la Constitution devant la Nation et devant Dieu. Aujourd’hui les communautés religieuses pèsent sur l’aménagement du vivre-ensemble. C’est un pays où les rapports homosexuels sont passibles de peines de prison.

En Tunisie, le premier président du pays Habib Bourguiba au moment du ramadan de 1964 déclarait : « Quand le jeûne épuise les forces physiques de l’homme au point de le contraindre à cesser toute activité, aucun dogme n’est en mesure de justifier cette carence. C’est d’ailleurs l’avis du Mufti. Il vous le dira lui-même. La religion est faite pour atténuer les difficultés de la vie et non pour les accroitre, ce qui explique que des dérogations sont prévues pour atténuer la rigueur de certaines pratiques. D’ailleurs, toute notion de pénitence et de rédemption par la souffrance est étrangère à l’esprit de l’Islam. Toutes les pratiques du Culte relèvent d’intentions logiques et sans mystères. Lorsqu’elles se révèlent incompatibles avec les nécessités de la lutte pour la vie, la religion elle-même prévoit des dérogations ». Habib Bourguiba n’hésitait pas alors à boire un verre de jus d’orange en public, en plein ramadan. Ces informations proviennent de nous-même afin de comprendre mieux que la situation a pu évoluer dans ce pays.

Cependant à son époque une femme musulmane ne pouvait se marier avec un non-musulman. L’article premier définissait la Tunisie comme « un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la république son régime ». Si la Constitution de 2011 garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes, la mouvance islamique entend contester depuis toujours bien des mesures sociétales.  

La Constitution de la République tunisienne du 25 juillet 2022, que  Malick Diagne  ne pouvait connaître en rédigeant ce livre, commence ainsi « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux ». Son article 5 annonce que « La Tunisie constitue une partie de la nation islamique. Seul l’Etat doit œuvrer, dans un régime démocratique, à la réalisation des vocations de l’Islam authentique qui consistent à préserver la vie, l’honneur, les biens, la religion et la liberté ». Toutefois l’article 27 confirme que « L’Etat garantit la liberté de croyance et de conscience ». Malgré la pression des mouvements féministes, la succession reste toujours inégalitaire entre un fils et une fille. Par ailleurs l’homosexualité est réprimée.

Si aux USA le pluralisme religieux est reconnu, les pièces d’identité peuvent révéler une appartenance confessionnelle et la dimension divine est omniprésente dans l’État. Cependant l’incroyance est acceptée. Au Québec, l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État en juin 2019 a rendu caduque ce que Malick Diagne   écrit. Cette loi est la première à stipuler que « L’État du Québec est laïque » (article 1). Elle interdit le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité coercitive (un policier ou un juge) mais aussi aux enseignants du réseau scolaire public francophone. En effet une dérogation a été accordée en avril 2021 aux écoles anglophones, par  un jugement de la Cour supérieure du Québec.      

Il est dommage que l’on  n’évoque pas un cas atypique, celui de l’Uruguay.  Là depuis 1919, deux ans après la date de la Séparation de l’Église et de l’État, Noël porte le nom officiel de "Journée de la famille", l'Épiphanie ou jour des Rois mages est devenu le "jour des enfants", la fête de la Vierge est devenue le "jour de la plage" et la semaine de Pâques est devenue la "semaine du tourisme".

Notre présentation de cet ouvrage est largement chargée de compléments d’informations personnelles. Ceci n’enlève en rien l’intérêt du contenu proposé mais il nous a semblé nécessaire d’actualiser certaines données et apporter un éclairage personnel sur quelques points abordés.

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

Note globale :

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