Avis de Thierry Lamouroux : "Le bouddhisme en Chine…et uniquement là !"
Si d’aventure un ardent sinolâtre défenseur de la formule “le Tibet a toujours fait partie de la Chine, etc.”, venait à parcourir d’un œil critique cette Histoire du Bouddhisme en Chine écrite par Kenneth Ch’en, je me plais à imaginer que sa lecture l’obligerait – à son corps défendant – à revoir sa copie en la matière tant les quelques pages éparses consacrées par l’auteur au Tibet (dont il fait sans autre forme de procès une région de la Chine) sont, le plus souvent, l’occasion d’y déceler nombre de poncifs éculés (cf. ci-dessous) trahissant la méconnaissance de l’auteur en la matière.
En définitive, ce qui me vint à l’esprit à la lecture de l’ouvrage de Kenneth Ch’en, c’est que connaitre l’histoire et la sociologie du bouddhisme en Chine n’implique en rien qu’il en soit de même pour le Tibet. Mais cela ne devrait pas surprendre le lecteur : le Tibet et la Chine ne sont-ils pas deux pays distincts ?
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Ainsi est-il question du bouddhisme lamaïque (p. 403) et du lamaïsme (termes qui fleurent bon la théosophie du xixe siècle), de Padmasambhava qui aurait défié les démons tibétains, du méchant roi Langdarma, ainsi que de la magie et de la sorcellerie des tantras (p. 404), etc. Et il y est bien sûr question de la sempiternelle figure de Tsongkhapa (1357-1419) qui serait venu sauver le Tibet de la débauche où, dixit l’auteur, la religion avait dégénéré en sorcellerie et exorcisme (p. 426).
Souvenons-nous tout de même que, grosso-modo, les 13e et 14e siècles sont une sorte d’âge d’or de la philosophie au Tibet, les très nombreux penseurs et auteurs d’exception y produisant alors une littérature des plus profondes et d’une finesse à mille lieues de la sorcellerie ambiante évoquée par notre auteur. Pour n’en citer que quelques-uns, Sakya Pandita, Dolpopa Shérab Gyaltsen, Longchenpa, Karma Pakshi et Rangjung Dorje (respectivement 2e et 3e hiérarque karmapa), Pakpa Lodreu Gyaltsen, Butön Richen Drup, Sabzang Mati Panchen, Rongtön Shéja Künrik, Gyelsé Tomé, Rendawa, Dampa Seunam Gyaltsèn, etc.
Pour s’assurer de la profusion et de l’importance de ces maitres, ainsi que du foisonnement intellectuel de l’époque, il n’est qu’à se rendre sur l’excellent site Treasury of Lives (treasuryoflives.org), en particulier la section treasuryoflives.org/historical-period/14th-Century, et vous comprendrez pourquoi, même s’il est indéniable que Tsongkhapa fut de son vivant l’une des figures majeures du Tibet, il est bien loin d’y avoir vécu dans une sorte de no man’s land de la pensée bouddhique. Dès lors, écrire qu’il aurait sauvé le Tibet de la débauche et du climat de décadence générale (p. 426) qui y prévalait n’est rien moins qu’une ineptie. Une erreur de plus.
Des erreurs, y en aurait-il d'autres au fil du texte qui traite presque exclusivement de l'histoire du bouddhisme en Chine dans ses frontières d'avant 1949? Je ne saurais le dire, mais celles débusquées quant au Tibet et à sa religion m'ont suffi pour me faire une assez piètre idée de l'ouvrage.
Tout d’abord il est bien de dire clairement que cet ouvrage parle très peu du bouddhisme au Tibet et rajouterons ni en Mongolie, et d’ailleurs pas du tout comment des peuples qui ont été intégrés à l’Empire chinois depuis aussi longtemps que les Tibétains, mais sans discontinuité comme les Mosos ont assimilé le bouddhisme de façon originale.
"Histoire du bouddhisme en Chine" est donc essentiellement un livre sur la réception du bouddhisme par les gens de l’ethnie han (c’est-à-dire les Chinois de race chinoise). Maintenant je ne m’attendais pas à trouver ici une large part faite au bouddhisme tibétain. Si je veux en savoir plus sur celui-ci je lis un livre qui lui est consacré. Avec "Histoire du bouddhisme en Chine" cela est peu choquant, et cela est beaucoup plus scandaleux de voir les éditions Rocher proposer un "Dictionnaire du Bouddhisme" où ne sont évoquées que les domaines japonais et chinois au sens strict.
Ecrire ce qui vient, est le fruit d’une erreur d’interprétation de la pensée de Kenneth Ch’en « Tsongkhapa fut de son vivant l’une des figures majeures du Tibet, il est bien loin d’y avoir vécu dans une sorte de no man’s land de la pensée bouddhique. Dès lors, écrire qu’il aurait sauvé le Tibet de la débauche et du climat de décadence générale (p. 426) qui y prévalait n’est rien moins qu’une ineptie. Une erreur de plus ».
Cette erreur relève-t-elle d’un intégrisme bouddhiste, j’espère que non.
L’auteur dit que Tsongkhapa lutta contre la décadence des mœurs dans certains monastères. La phrase suivante se poursuit d’ailleurs en énumérant toutes les dérives qui se produisaient au Tibet et qui d’ailleurs se produisaient dans la Chine des futures 18 provinces soit la Chine historique (l’auteur ne juge pas que seul le bouddhisme tibétain est en proie à l’action de gens malhonnêtes) et se produisent aujourd’hui régulièrement en Thaïlande.
La phrase est :
« Un réformateur, Tsongkhapa, s’éleva contre ce climat de décadence générale et proposa de revenir au mode monastique traditionnel »
Il proposa et non pas il fit un miracle et agit tout seul, allusion à « écrire qu’il aurait sauvé le Tibet de la débauche et du climat de décadence».
A partir de là toutes les interprétations ne sont pas permises, surtout les plus ineptes…
Au fait quand on sait pas quoi dire, on dit rien, cela évite d'accuser d'incompétence sans preuve, au nom de sa propre incompétence sur la Chine... et d'arguments spécieux sur le Tibet...
N’en déplaise à M. Benjamin qui dans la réponse qu’il me fit montre plus de savoir-faire dans le calembour potache bien de chez nous que d’un minimum de savoir de l’histoire du bouddhisme au Tibet, des erreurs, il y en a. Et plus que ces erreurs elles-mêmes – les meilleurs de nos sinologues, indianistes ou tibetologues en commettent aussi dans leurs travaux, là n’est pas le problème –, ce qui est beaucoup plus dommageable dans cet écrit, c’est le fait que l’auteur n’ait pas ici pris la peine de fonder son propos sur des sources historiques sérieuses. Elles ne manquent pourtant pas. Ainsi les erreurs relevées ne sont-elles pas le fait d’un défaut d’analyse, défaut au sens de déficience, mais bel et bien d’une absence d’analyse, et ce au profit d’antiennes piochées certainement dans quelques écrits de vulgarisation sur le Tibet et sa religion. Voire de quelques brochures émanant des chancelleries chinoises très pointilleuses dès lors qu’il est question du Tibet.
C’est par hasard que je suis arrivé sur ce blog, Gregoire de Tours, vos critiques de livres d’histoire. De prime abord, il offre aux lecteurs une certaine liberté d’y déposer leurs avis, ou critiques, relatifs aux ouvrages historiques qu’ils ont eus entre les mains, et non pas de simples fiches scolaires de lecture. Et c’est encore au hasard que je dois d’y avoir trouvé une entrée relative à ce livre de Kenneth Ch’en dont certains passages n’avaient pas manqué de me laisser perplexe. L’auteur y prend le parti d’un Tibet chinois, soit. Mais qu’il assume alors sa position et traite, avec tout le sérieux que cela demande, du bouddhisme dans cette prétendue région tibétaine de Chine ! Ou bien qu’il fasse preuve de prudence (honnêteté ?) intellectuelle et prévienne son lecteur que face à l’étendue du sujet – le bouddhisme au Tibet – il serait préférable que celui-ci se retourne vers quelques sources autrement plus autorisées en la matière que la sienne. Si selon ce même parti-pris le Tibet en est réduit à n’être, depuis des lustres, qu’une province chinoise (quand bien même la syntaxe dont fait usage B. n’aide guère à la compréhension de son propos, un paragraphe de sa réponse évoque des “Tibétains intégrés depuis longtemps à l’Empire chinois” ; on saluera ici la rigueur et la précision historique de son argument), comment se fait-il que l’auteur en sache si peu sur le bouddhisme dans cette partie de l’Empire chinois ?
Ma conclusion était donc que si même un fin connaisseur de la Chine comme semble l’être Kenneth Ch’en se montrait si inepte (au sens d’inaptitude à traiter sérieusement d’un sujet, comme je le suis moi-même pour ce qui touche à l’histoire du bouddhisme en Chine) dès lors qu’il s’agissait du Tibet, cela avait certainement à voir avec le fait que le Tibet n’est pas si chinois que ça !
Et que dire de la saillie conclusive de B. qui nous gratifie là d’un style et d’une grammaire que je croyais pourtant réservés aux blogs de Yahoo ou aux pages Facebook d’adolescents, je cite , “Au fait quand on sait pas quoi dire, on dit rien, etc.” ? Rien, non vraiment je n'ai rien à en dire !
Th. L
ps : je ne résiste pas à l’envie de signaler une autre perle de B., je veux parler de sa définition toute personnelle de l’ethnie Han qui serait, je le cite, “des Chinois de race chinoise”. Savoureux…
Non ce livre n'est pas un plaidoyer pour le Tibet chinois, cela n’est absolument pas le problème de l’auteur. Il montre juste un peu les apports du bouddhisme mongol et du bouddhisme tibétain sur le développement du bouddhisme en Chine. Si la Chine n’avait pas été conquise par les Mongols, le bouddhisme des Han aurait évolué différemment d’ailleurs. La question n’est pas « le Tibet n’est pas si chinois que ça ! », la question est qu’un universitaire domine très bien un sujet précis et souvent pas de façon personnelle un autre voisin. Si l’auteur parle peu du bouddhisme tibétain c’est qu’il a une histoire propre qui mérite un ouvrage sur lui.
Maintenant si on fait un ouvrage sur l’histoire du bouddhisme dans l’espace chinois au sens large il faut au minimum faire deux parties : le bouddhisme chez les Han, le bouddhisme dans d’autres nationalités (comprendre les non Han comme les Mongols, Mandchous, Mosos, Dai au bouddhisme theravāda …). Et là encore on parlera que peu du bouddhisme tibétain, car on ne fera pas l’impasse non plus par exemple sur les sanctuaires bouddhiques du Xinjiang d’aujourd’hui (Turkestan dit "chinois").
Aucun exemple concret d'erreurs, des suspections gratuites confirmées dans cette réponse de T.L. "j’ignore tout et qu’il me serait de facto bien difficile d’apprécier de façon critique". C'est pour cela que j'ai écrit "quand on sait pas quoi dire, on dit rien, cela évite d'accuser d'incompétence sans preuve, au nom de sa propre incompétence sur la Chine... et d'arguments spécieux sur le Tibet".
On est d'accord sur le fait que le titre est assez ambigu au regard du contenu. Il faut tenir compte, si on a un regard un peu critique, du fait que le livre est paru en 1964 et écrit au début des années 1960, voire avant car il y a du recyclage de cours. Ce Chinois est immigré et écrit pour un assez large public occidental, d’où un problème de trouver un titre compréhensible. L'auteur n'a en effet pas précisé qu'il ne parlerait quasiment pas d'autre chose que du bouddhisme chez les Han, aujourd'hui cela passe mal en Occident. Nettement moins à l’époque.
Au lieu que T.L. nous rabâche sa déception de ne pas voir traiter le bouddhisme tibétain, tout en souhaitant un avenir des plus autonomes pour le Tibet, je l’invite à nous montrer ce qu’il pense de livres qui aborde de front le sujet. Je suis sûr qu’il m’apprendra des choses. T.L. gagnerait à montrer ce qu’on apprend sur le bouddhisme tibétain, par quel livre on peut commencer. Et si tel livre fait une quasi impasse sur une des écoles du bouddhisme tibétain sans l’annoncer, surtout qu’il se prive pas de le dire !
Et encore moins en conclure, parce que je ne suis pas d'accord avec une de ses interprétations, que tout ce qu'il raconte sur le catholicisme doit relever de l'ânerie (rappelons que les Amish utilisent encore beaucoup d'ânes).
https://www.chine-magazine.com/le-temple-ganlu-tient-sur-un-pillier-depuis-plus-de-870-ans/