Avis de Benjamin : "Un récit détaillé des raisons du vote de la loi de 2004, de son élaboration et de ses conséqueces"
Iannis Roder est professeur agrégé d'histoire dans un collège ZEP de Seine-Saint-Denis, membre du Conseil des sages de la laïcité mais aussi directeur de l'Observatoire de l’éducation à la Fondation Jean-Jaurès. Alain Seksig est un ancien directeur d’école élémentaire à Paris et référent laïcité de l’académie de Paris, devenu IA-IPR Vie scolaire et référent laïcité de l’académie de Paris. Il a été membre du Haut conseil à l’intégration et responsable de sa mission Laïcité de décembre 2010 à juin 2013. Il est actuellement secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité. Milan Sen est collaborateur parlementaire de Mickaël Vallet (sénateur socialiste de Charente-Maritime) et corédacteur en chef de la revue Le Temps des ruptures.
Dans l’introduction, il est rappelé que l’Affaire des foulards de Créteil constitue une rupture au sein du jeu politique français. La laïcité sujet de discorde entre droite et gauche devient une fracture transpartisane. L’école de la République est traditionnellement porteuse de la foi dans la science, la confiance dans le progrès et la foi dans la raison. « L’école doit permettre l’émancipation de la tutelle parentale. (…) Émanciper, ce n’est pas détruire les appartenances multiples des enfants, c’est leur permettre de s’en délaisser ou de les épouser en toute connaissance de cause, en toute liberté, avec un consentement éclairé, sans imposition de l’entourage familial notamment » (page 11).
Le contenu de l’ouvrage est explicité page 17. « L'objectif de ce livre consiste donc, dans un premier temps, à retracer l’histoire du problème posé par le port de signes considérés comme religieux à l’école, en passant notamment par l’Affaire de Creil en 1989 et la circulaire dite Bayrou de 1994. Dans un second temps, l’analyse se centrera sur la commission Stasi, son travail mais aussi l’évolution des positions de ses membres. Sur les vingt personnalités qui composaient cette commission, seule une poignée était a priori favorable à l’interdiction du port de signes ostensibles à l’école, avant que celle-ci entame ses travaux. Or, au moment de rendre leur rapport, dix-neuf votent en faveur de leur interdiction, un seul s’abstient. Tout le nœud de la compréhension de la loi de 2004 se trouve ainsi dans cette évolution : comment l’expliquer ? Quels témoignages, arguments, quelles réflexions leur ont fait prendre conscience de la nécessité d’interdire le port de signes religieux ostensibles à l’école ? La dernière partie du livre permettra de revenir en détail à la fois sur les effets immédiats de la décision législative du 15 mars 2004 mais également sur les attaques récentes que subit cette loi, dont nous célébrons cette année les 20 ans » (page 18).
On apprend en fait que le premier cas de port de voile dans un établissement secondaire relève d’octobre 1985 à Créteil, non médiatisée elle aboutit à l’interdiction de signes ostentatoires dans ce collège, avec l’approbation de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Éducation nationale. En 1989, le ministre est alors Lionel Jospin répond qu’il est favorable à une laïcité bienveillante, ouverte à la différence. En conséquence, si après dialogue avec les élèves et leur famille, il y a volonté de garder le voile, on doit accueillir l’enfant. Il met en avant que l’école lui ouvrira l’esprit et lui permettra d’accéder à l’émancipation. En fait à cette époque, il y a 153 collèges où des jeunes filles arrivent avec un foulard sur la tête. Toutefois certains ministres socialistes et nombre de militants dont sur une toute autre ligne et cela aboutit à une motion chèvre-choux en provenance de la rue de Solférino.
Les positions du PCF, de l’UDF et du RPR sont exposées dans leur évolution et diversité interne. Intéressante est de rappeler la position d’alors du député vendéen Philippe de Villiers qui se proclame « pour une laïcité moderne, respectueuse du droit à la différence et de la liberté de conscience » (page 52).
Le troisième chapitre propose un large tour des opinions s’exprimant cette fois dans l’ensemble de la société (dont celles de plusieurs responsables religieux). On avait d’ailleurs cité, dans un chapitre précédent, le grand rabbin Goldmann qui avait déclaré que « ceux qui refusent aux enfants musulmans le droit de porter le tchador et aux enfants juifs la kippa sont intolérants. Aujourd’hui, ce ne sont plus les religieux qui font preuve d’intolérance, mais les laïques » (page 48).
Ceci est évidemment l’occasion de revenir au texte Profs, ne capitulons pas, paru dans le Nouvel Observateur, cosigné par cinq intellectuels (dont Régis Debray, Élisabeth Badinter et Catherine Kintzler) déclarent qu’ « il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose que ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes. Si l’on veut que les professeurs puissent les y aider, et l’école rester ce qu’elle est – un lieu d’émancipation –, les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école ».
Le quatrième chapitre expose les avis du Conseil d’État de novembre 1989 et de 1992 mais aussi la circulaire de François Bayrou (imposant une interdiction des signes ostentatoires). Cette division se clôt en pointant les contradictions agitant la période étudiée. « Entre 1994 et 2003, ce sont environ une centaine de jeunes filles qui sont exclues des établissements scolaires, très majoritairement dans les premiers mois qui suivent la publication de la circulaire Bayrou, comme nous l’avons vu. Nombre de ces exclusions sont annulés par les tribunaux, voire par le Conseil d’État, puisque, par définition, la circulaire Bayrou n’a pas force de loi » (page 87). La première partie de l’ouvrage se clôt ainsi.
La seconde partie s’intitule "De la commission Stasi à la loi de 2004". Elle comprend trois chapitres respectivement intitulés "Le choix d’une commission", "La commission Stas à l’épreuve des réalités", et "Du rapport Stasi à la loi". On apprend là que le rédacteur du rapport Stasi fut le conseiller d’État Rémy Schwartz secondé notamment par Laurent Wauquiez alors auditeur au Conseil d’État. Georges Dupon-Lahitte président de la FCPE est hostile à une loi, toutefois je n’ai pas trouvé là https://www.voltairenet.org/article11993.html, les propos qui lui sont prêtés page 109. On comprend toutefois qu’une interdiction redoublerait pour lui le nombre d’élèves voulant de porter par esprit de rébellion, pour lui ce qui compte c’est que le jeune suive les cours dont le contenu sera émancipateur. Certains représentants, comme le recteur de la Grande Mosquée de Paris, avance dans le même ordre d’idée que le port du voile sera un phénomène transitoire et que les filles dépasseront cette action provocatrice. D’autres insistent sur le caractère discriminatoire, vis-à-vis des musulmans qu’auraient des prohibitions. Cependant une jeune d’origine turque vient expliquer que son père lui imposait, contre sa volonté, le port d’un tchador dehors et à l’école.
Les recommandations de la Commission Stasi, autres que l’interdiction des signes religieux sont balayées, dont celles de déclarer fériés, dans les établissements scolaires, des fêtes religieuses juives ou musulmanes. Patrick Weil précise qu’ « interdire le voile protège la majorité des élèves musulmanes qui ne le portent pas et ne souhaitent pas le porter, au détriment certes de la minorité qui le porte, par choix ou non » (page 139). Ses idées sont que l’école doit être un temps de respiration laïque, où l’élève est protégé des pressions religieuses prosélytes, il a le droit d’être différent par rapport à sa différence potentielle.
Dans les années, qui suivent le vote, de la loi du voile, Jean-Luc Mélechon voyait dans ce vêtement un signe de soumission patriarcale et déclarait que le NPA en présentant sa candidate voilée faisait du racolage (page 141). Rajoutons personnellement que toujours dans ce même article de Libération du 4 février 2010, il déclarait : « En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes ». En septembre 2023, rappelons-nous que Manuel Bompard déclare au nom des Insoumis, au sujet de de l'interdiction de l'abaya à l'école que « cette décision ouvre la voie à des situations de discrimination en raison d’une pratique religieuse, donc de l'islamophobie ». En 2019, aux côtés justement d’Olivier Besancenot du NPA et accessoirement de la CGT, de la FSU et de l’Union syndicale Solidaires, Jean-Luc Mélechon appelle à une Marche contre l’islamophobie, dans le texte en question on lit notamment « STOP aux discriminations qui visent des femmes portant le foulard, provoquant leur exclusion progressive de toutes les sphères de la société » et sont évoqués des projets et des lois liberticides à l’encontre des musulmans (voir https://www.liberation.fr/debats/2019/11/01/le-10-novembre-a-paris-nous-dirons-stop-a-l-islamophobie_1760768/ ). Les auteurs voient dans cette initiative une contestation manifeste de la loi de 2014 (page 188).
Cependant Jean-Pierre Obin, dans un rapport, souligne que les manifestations d’appartenance religieuse sont multiples et se relèvent notamment par un refus d’assister à des cours d’EPS et la contestation du contenu de certains cours (la loi de l’évolution, l’existence de la Shoah…). En étant très sensibles aux enjeux discriminatoires, les nouvelles générations ont du mal à accepter ceux qui, à leurs yeux, briment l’expression religieuse. Cette dernière est devenue une marque d’identité pour certains et ces derniers ont du mal à accepter qu’on restreigne l’affirmation de leur religion dans l’espace public. Est présenté un sondage, commandé par la LICRA et Le droit de vivre en 2021, au sujet de l’approbation ou non de la loi de 2004 par les Français. Un large différent générationnel saute aux yeux.
Le dernier chapitre de ce livre se termine en parlant de l’interdiction de l’abaya, forme originale de contester de nouveau la loi de 2004. Ce vêtement étant à classer, selon les auteurs, comme un marqueur religieux par destination (ou procuration préfèrerons certains). Cette qualification avait été produite dès 2017 par le Conseil d’État. Certains se demanderont, en s’appuyant sur les arguments d’Aristide Briand refusant l’interdiction de la soutane, quels pourraient bien être les autres marques d’une religiosité islamique qui se mettront à apparaître à l’école.
Nous citerons l’ultime paragraphe de la conclusion : « La République a fait l’école et l’école a fait la République. Les ennemis de celles-ci l’ont bien compris. Pour que l’école continue son œuvre émancipatrice, pour que la République, le modèle politique que les Français se sont choisi, soit préservée, la laïcité doit être sauvegardée et, avec elle, la loi du 15 mars 2004 » (page 199).
Pour connaisseurs Aucune illustration