Avis de Benjamin : "La longue histoire de la laïcité"
L’auteur est docteur en théologie et histoire, il a enseigné à l'Université catholique de Lyon. L’ouvrage parcourt une large période allant de la Gaule sous la domination de l'Empire romain, jusqu'à la loi du 24 août 2021 sur les séparatismes qui revisite le contenu de la loi de Séparation de 1905. Des questions diverses apparaissent comme qui propose religion civile romaine, la liberté de conscience, la liberté des cultes, la neutralité religieuse de l’État, la déconfessionnalisation des cimetières, la laïcisation des personnels de l'enseignement public…
Ce cheminement se fait à travers neuf chapitres respectivement intitulés : L’héritage de l’Antiquité et du Moyen Âge, Autour de l’édit de Nantes et de sa révocation, L’émergence de la laïcité à la fin de l’époque moderne, De la Révolution à la mise en place des cultes reconnus (1789-1815), Les évolutions du modèle des cultes reconnus (1815-1880), La laïcisation au sein du système des cultes reconnus (1880-1905), À l’époque de la Séparation (1905-1918), Le XXe siècle (1918-1989), Les dernières décennies.
Au côté des divers dieux, se met en place dès le règne du premier empereur Auguste le culte impérial. Ce dernier concerne d’abord et longtemps uniquement les magistrats et les militaires. Ce n’est qu’à partir de 250 qu’il est rendu obligatoire pour tous les sujets de l’Empire, d’où la persécution des chrétiens qui sont une communauté s’y refusant. L’empereur Dèce oblige de sacrifier tant à l’Empereur qu’aux dieux de Rome, dans le but de rétablir la prospérité du pays. A contrario, sous Théodose à la fin du IVe siècle, il y a tant interdiction des sacrifices que fermeture des temples.
À l’époque médiévale, papes et souverains sont parfois en conflit ; Henri IV dans le Saint Empire et Charles VI en France le sont pour les investitures des évêques et Philippe le Bel au sujet du pouvoir temporel. Ce dernier limite en particulier grandement l’action des tribunaux ecclésiastiques. Notons que l’édit de Fontainebleau confie en 1540 la poursuite des protestants à des juges civils. Le contenu de l’Édit de Nantes, instaurant (tout en la limitant géographiquement) la tolérance entre les seuls cultes catholiques et calvinistes est commenté largement.
Dans le troisième chapitre, on note particulièrement l’exposé des idées de Pierre Bayle qui désire une tolérance générale en matière de spiritualité, ceci concernant également les athées et souhaite un État déconfessionnalisé. La pensée de Condorcet trouve une bonne place là aussi ; pour ce dernier « la tolérance s’oppose au fanatisme, qui se nourrit des croyances irraisonnées » (page 43). De la partie suivante, tournant autour de Concordat, on retiendra spécialement qu’aucun texte provenant du pape ne peut entrer en vigueur sans l’accord du gouvernement et que si les cultes ont le monopole des inhumations (rendant très difficile les enterrements civils) dans les cimetières il y a un carré pour les non-catholiques. Au moment de la promulgation du Concordat la France compte 550 000 calvinistes (dont 115 000 résidant dans la Gard) et 145 000 luthériens en Alsace ou à Montbéliard alors que les juifs sont environ 60 000 et les autres Français sont environ 29 400 000.
Sous la Restauration sont votées la loi sur le sacrilège et la loi sur les congrégations. Dans l’enseignement secondaire les jésuites reviennent et pour les filles s’installent les Dames du Sacré-Cœur, toutefois pour des raisons administratives, que Françoise Mayeur explique dans "Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, tome 3", l’enseignement datholique secondaire n’ouvre que peu d’établissements. Le personnel enseignant doit appartenir à une congrégation autorisée. La loi Falloux sur l’enseignement a facilité en 1850 l’ouverture des écoles privées dans le secondaire et place les instituteurs publics sous la tutelle des curés. Les congréganistes peuvent même diriger des écoles publiques (art. 31) et les communes ne sont plus tenues d’ouvrir des écoles publiques si elles entretiennent déjà une école privée libre (art. 36).
L’ensemble des lois de laïcisation, prises à la Belle Époque, est présenté. Le décret du 3 septembre 1940 autorise les religieux à enseigner dans le privé. Jacques Chevalier, secrétaire d’État à l’Instruction publique, rétablit l’enseignement des devoirs envers Dieu, à l’école publique, par un texte du 10 décembre 1940 mais son successeur annule cette directive trois mois plus tard. Toutefois les nouveaux programmes du printemps 1941 font appel « aux valeurs spirituelles et à la foi chrétienne ».
En novembre 1945, l’assemblée des cardinaux et évêques métropolitains publie un texte qui souffle une certaine acceptation d’un État laïque. On y relève certes un regret que la République ne proclame pas son respect pour la loi divine mais aussi une condamnation du cléricalisme. Cette dernière est définie ainsi : « l’immixtion du clergé dans le domaine politique de l’État, ou cette tendance que pourrait avoir une société spirituelle à se servir des pouvoirs publics pour satisfaire sa volonté de domination » (page 132). D’autres mesures prises par les gouvernements de Vichy, comme des aides financières diverses à l’enseignement catholique, sont évoquées ici. Les nombreuses lois favorisant le développement des écoles privées sous la IVe et la Ve République sont présentées en prolongement.
Le dernier chapitre expose les questions liées au port du voile dans les établissements d’enseignement mais aussi les interrogations que suscite le contenu des prises de parole de Jean-Paul II lors de ses deux visites en France. En 2005, ce dernier traite la loi de Séparation de l’Église et de l’État comme « un évènement douloureux et traumatisant » pour l’Église car « ne reconnaissant pas à la vie religieuse et à l’Institution ecclésiale une place au sein de la société » (pages 162-163). Deux pages sont consacrées à faire connaître la durée d’existence et les recommandations émises par l'Observatoire de la laïcité. Bien entendu le dernier chapitre se clôt par l’exposé de la loi du 24 août 2021 ou loi contre le séparatisme.
Sans se référer précisément aux paroles de Michel Debré sur le risque de voir deux jeunesses aux valeurs incompatibles qu’il refusait en défendant sa loi de financement de l’enseignement privé, l’auteur rappelle ce risque mais l’auteur voit cela par rapport à des établissements auquel il serait souhaitable de refuser une demande de contrat. Pour lui la liberté de l’enseignement est un droit constitutionnel qui ne peut exister sans financement de la part de l’État.
Pour connaisseurs Aucune illustration