Avis de Patricia : "Avez-vous déjà remarqué jusqu’à quel point il est difficile pour un être humain […] de se remettre en question et de faire marche arrière ?"
L’ouvrage est sous-titré Psychologie des croyances: religions, conspirationnisme, pseudosciences. Les explications fantaisistes des origines du COVID et des moyens d’en guérir, ainsi que la communication de Donald Trump basée sur des faits généralement déformés ou des informations irrationnelles, amènent à se demander comment et pourquoi de nombreuses personnes peuvent accepter des propos souvent irrationnels ou du moins porteurs de croyances pseudo-scientifiques.
L’ouvrage est divisé en quatre parties: la fabrication de croyances irrationnelles, le pourquoi des adhésions à ces croyances, l’addiction aux croyances de ce type et la culture scientifique comme antidote à ces croyances. Les développements sont toujours très fouillés. Face à la complexité, selon l’auteur nous allons vers la simplification en :
« - En empruntant des raccourcis mentaux
- En éliminant, en ignorant ou en soustrayant une multitude de facteurs
- En isolant d’autres facteurs qui nous semblent plus "évidents", connus ou faciles à traiter
- Puis, une fois sélectionné, nous tirons des conclusions et généralisations qui peuvent s’avérer appropriées, mais aussi totalement loufoqurs, irrationnelles… » (page 20).
L’objectif de l’auteur est « de comprendre les fondements, les motifs et les conséquences de la fabrication des croyances et de leur adhésion » (page 21). Selon certains chercheurs, pour traiter l’information sur l’environnement physique et social, l’esprit humain dispose de deux systèmes. L’un est basé sur l’intuition, l’heuristique (raccourci mental) et les émotions.
On retiendra « que les personnes qui versent facilement dans les théories du complot ou dans des systèmes de croyances irrationnelles ont plus tendance à percevoir des formes, des motifs ou des structures dans des images totalement abstraites et non figuratives comme le sont, par exemple, les peintures de Victor Vasarely et de Jackson Pollock. En conséquence, elles ont aussi plus tendance à interpréter l’existence de liens entre des données purement aléatoires et n’ayant aucune relation entre elles. Vous l’aurez compris, les superstitions, les légendes urbaines, les rumeurs et les croyances découlent pour la plupart de ce premier maillon de fabrication de croyances » (page 31). Selon d’autres chercheurs « le fait de s’engager prématurément en dépit d’un manque de données serait une forme de compensation à l’incertitude » (page 39).
Daniel Chabot avance qu’une étude Jan-Willem van Prooijen montre que les informations insolites se traitent mentalement plus facilement que des informations plus réalistes, les premières ont tendance à inhiber notre capacité à réfléchir rationnellement. À partir d’exemples précis, l’auteur montre, pages 40-41) que six motifs psychologiques sont à l’origine de raisonnements biaisés: mode de pensée intuitif, perception de patterns illusoires, biais d’intentionnalité, besoin de fermeture cognitive, inférence cognitive et contrôle compensatoire.
Du second chapitre, on retiendra particulièrement que :
« - Plus les personnes ont un fort besoin d’unicité, plus elles ont tendance à penser à croire aux théories du complot ;
- Celles et ceux qui croient aux théories du complot ont plus tendance à penser détenir des informations rares et secrètes à propos de divers phénomènes sociaux, politiques ou religieux
- Une hausse situationnelle du besoin d’unicité favoriserait la formation de croyances diverses » (page 44).
Daniel Chabot poursuit dans cette partie, en parlant de la théorie du contrôle compensatoire, de biais d’intentionnalité, d’attribution causale et d’un ensemble fait de croyances spirituelles, religieuses et conspirationnistes.
Le troisième chapitre évoque des traits de caractère, ont plus facilement tendance à verser dans les explications irrationnelles : la personnalité narcissique, la personnalité paranoïde, et la personnalité marquée par des traits psychopathiques, du machiavélisme ou du narcissisme. On a en fin de chapitre trois explications fantasmées de la prétendue venue d’un OVNI à Roswell au Nouveau-Mexique, dont celle de Claude Vorilhon dit Raël.
Le quatrième chapitre se clôt avec la question de la dissonance cognitive, un phénomène étudié particulièrement par Léo Festinger qui avait infiltré à Chicago les Seekers. Il s’agit d’une secte religieuse fondée par Dorothy Martin prédisant une fin des temps pour 1954 et pas la secte apparue vers les années 1620. La dissonance cognitive est décrite comme le trouble mental que les gens ressentent lorsqu'ils se rendent compte que leurs cognitions et leurs actions sont incohérentes ou contradictoires.
Si deux cognitions sont dissonantes, un inconfort psychologique apparaît. Les individus sont finalement motivés à dissiper cette excitation. Le fait d’échapper à un système de croyances dans lequel on s’est fortement engagé est difficile tant par le fait que cela oblige à reconnaître que l’on s’est laissé berner que par le fait de pouvoir regretter le temps et l’argent investis, et de rompre avec des gens auprès de qui on a nourri des relations affectives.
« La dissonance cognitive correspond au malaise et à l’inconfort psychologique ressenti par celui ou celle dont :
- Les idées, les croyances, les valeurs, les comportements ou les réactions émotionnelles sont incohérentes, se contredisent, ne s'accordent pas entre eux ;
- Ou que ses actions ne sont pas en accord avec ses valeurs, ses croyances et ses préceptes ;
- Ou encore que des faits extérieurs irrévocables viennent destituer les croyances et théories.
Lorsqu'une dissonance cognitive se produit, une forme de malaise psychologique se manifeste et peut prendre diverses formes : de la déception, de la honte, de la culpabilité, de l'embarras, de l'anxiété, de la colère… La personne qui se retrouve dans cet état dissonant cherche alors à réduire les malaises psychologiques ressentis. Elle peut bien sûr modifier son comportement en abandonnant ses croyances et en se tournant vers autre chose. Mais souvent, elle préfère réformer sa foi, en ajoutant de nouvelles croyances afin de redonner de la cohérence aux anciennes. Elle peut aussi banaliser l'importance des aspects dissonants et tout faire pour les ignorer » (pages 86-87°. Pour certains Seekers « l’autre manière de réduire cette dissonance est de plonger tête première dans le piège abscons, en accentuant son niveau d’engagement, même s’il faut pour cela modifier, amender et même rajouter des éléments aux croyances initiales » (page 87).
Dans le chapitre suivant, l’auteur étudie tant la propagation des intox que les capacités d’un individu à distinguer le vrai du faux ou les raisons de l’attrait pour les intox. Le sixième chapitre expose des explications et remèdes fantaisistes transmises autour de plusieurs épidémies. On relèvera qu’au Canada en 1885, le clergé catholique voit là une punition de Dieu pour la tenue d’un carnaval, que les deux communautés (anglophones et francophones) se rejettent mutuellement l’origine de l’épidémie de variole avec de plus une production d’un vaccin destiné à réduire la population de sa propre communauté, que les adeptes de l’homéopathie voient eux aussi dans le vaccin un poison (pages 104-105).
Les six derniers chapitres sont tout aussi intéressants, ils sont regroupés dans une troisième partie intitulée "l’addiction aux croyances de ce type et la culture scientifique comme antidote à ces croyances". Ils sont suivis de neuf annexes bien rédigées et couvrant plus de quarante pages.
Pour tous publics Quelques illustrations