Avis de Benjamin : "Didactique de l'éthique laïque"
Cet ouvrage a connu trois éditions, la première date de 2006 ; son objectif est de vulgariser une vision philosophique de l’idée de laïcité. Selon l’auteur, les idées autour de la laïcité ont connu trois moments clés, à savoir celui de la Révolution française, celui de la IIIe République et celui qui court du milieu des années 1980 à aujourd’hui. Dès le début du livre, elle donne quatre pistes caractérisant la laïcité : organiser la coexistence des libertés d’opinion, de conscience, de croyance, espace législatif pour penser l’action politique, articulation entre la sphère publique et la sphère privée, loi ayant un rapport critique vis-à-vis de la pensée humaine.
L’auteure explique : « si la loi interdit certaines pratiques, ce n’est pas à cause de leur caractère religieux, mais parce qu’elles contreviennent au droit commun » (page 12). Catherine Kintzler montre les limites de ce qu’on nomme "tolérance", car un État peut promouvoir un culte officiel tout en se dispensant d’interdire d’autres religions ou l’athéisme et respectant les principes de respect de l’autonomie du jugement, de contingence par rapport à l’appartenance à une croyance, de séparation de la sphère publique et la sphère privée. Ce qui distingue également la tolérance de la laïcité, c’est qu’une communauté religieuse n’a pas à dicter la loi (page 19).
Si l’athée nie l'existence de Dieu, l'agnostique pense qu’il na sait pas s'il existe ou non. Alors que Locke pense qu’un athée rompt ses liens avec la société, Pierre Bayle avance que « si les athées peuvent être admis dans la société politique, c’est précisément parce que leur absence de relation à une communauté croyante et à une autorité qui transcende la société civile les rend plus vulnérables et les assujettit a fortiori aux lois » (page 17). L’auteure évoque également la pensée de Rousseau autour de la liberté civile soumise à des lois qui s’appliquent à tous (page 38) ; l’homme devenu citoyen agit sur des principes et s’élève ainsi (page 40). On relève un tableau des cinq figures contemporaines animant les débats actuels : le républicain laïque, le démocrate communautariste, l’intégriste totalitaire, le laïque intégriste et le néo-laïque partisan de "la laïcité ouverte" (pages 34-35).
Catherine Kintzler poursuit en montrant qu’en France la laïcité est fortement liée à la question de l’école. C’est l’occasion de revisiter la pensée de Condorcet. Elle déclare ensuite que l’école est une institution philosophique : « on s’y instruit des éléments selon la raison et l’expérience, afin d’acquérir force et puissance, celles qui font qu’on devient l’auteur de ses pensées et de ses actions, en libérant chacun du recours à une autorité extérieure. Cette saisie critique du pouvoir que chacun détient s’effectue par un détour consistant à se soustraire aux forces qui font obstacle à la conquête de l’autonomie et qui s’imposent comme une évidence : l’opinion, la demande d’adaptation, les données sociales. Le détour n’est autre que celui des savoirs formant l’humaine encyclopédie – laquelle comprend sans doute les religions, mais en tant que pensées et mythologies et non en tant que croyances et ciments sociaux » (pages 55-56). Gaston Bachelard a d’ailleurs posé que philosopher c’est avoir la capacité à rompre avec soi-même pour approcher avec inquiétude le vrai (pages 56-57). L’auteure poursuit en interrogeant la question du doute qu’il ne s’agit pas de confondre avec l’affirmation de la relativité des choses (page 60).
Elle pose l’utilité de connaître la pensée des Grecs et Latins de l’Antiquité, afin de mieux percevoir qu’une religion est bâtie sur des mythologies. Catherine Kintzler s’inquiète qu’au modèle de la laïcité se dresse « un retour à la pensée religieuse comme fondement de l’association politique, mais plus profondément d’une référence à ce qui fait l’essentiel de la pensée politico-religieuse : l’idée que le lien doit unir des personnes qui ont une foi commune (sans préjuger de la nature de l’objet de cette foi), l’idée que sans foi la loi n’est pas assurée, ou bien l’idée que la loi elle-même doit être un objet de foi (religion civile). Cette liaison, en tant qu’elle est considérée comme indépassable, trouve sa forme archétype précisément dans le fait religieux. La pensée politique est alors subordonnée, non pas à tel ou tel fait religieux, mais à la forme de ce qui constitue un fait religieux : la forme sacralisée du lien comme appartenance » (page 68).
La seconde moitié de l’ouvrage consiste dans un premier à présenter puis commenter successivement la Lettre sur la tolérance de Locke (datée de 1689) en l’éclairant notamment par la pensée de Bayle (exprimée au tout début du XVIIIe siècle). Dans un second mouvement est donné à regard critique le Rapport et projet de décret relatifs à l’organisation générale de l’instruction publique rédigé par Condorcet.
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